Autre texte introductif ( retravaillé) centré sur les voix off dans ''Amable Tastu, une femme libre'' (?) suite à la lecture d'un article sur, entre autres, le ''bricolage lévistraussien'' de Max Caisson. Lien https://journals.openedition.org/terrain/
L'Indien, le détective et l'ethnologue
" Dans l'infinité des phénomènes qui se passent autour de moi, j'en isole un. J'aperçois, par exemple, un cendrier sur ma table (le reste s'efface dans l'ombre).Si cette perception se justifie ...
..Ce qu'on dit d'elle aujourd'hui est le résultat de textes archivés, catégorisés, qui ont éludé, érodé, au fil du temps, '' sa singularité''. On peut les appeler des traces, des restes.
En essayant de dégager certaines de ces traces de la gangue, du carcan, en quelque sorte pédagogique ( pour parler des dictionnaires et des ''littératures'' ) dans laquelle elles étaient retenues, j'ai essayé en les transformant en voix off de les faire résonner, de leur apporter une « reconnaissance », d'un ''coup d'oreille'' ( l'expression est empruntée sans doute maladroitement à Umberto Eco), venant des coulisses.
C'est à vous, lecteurs auditeurs ou spectateurs, à la manière de chasseurs – cueilleurs préhistoriques, de vous raconter l'histoire de la femme, dite ''Amable Tastu''.
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Prise de notes - des notes comme restes, ''mes restes'' - dans l'article en lien, donc, rien à voir, au bout du compte avec la problématique de l'article passionnant dont je me suis délectée.
Un rapprochement avec le bricolage dans La Pensée sauvage, selon Lévi-Strauss.
La façon dont, avec quelques restes, en les associant, on fabrique des objets (d'art).
Penser aux « collages » de certains peintres.
Travailler avec des débris d'autres discours révèle un sens d'abord dissimulé par les finalités premières de l'objet qui a fourni les restes. ''(Re)connaître'' (pour Umberto Eco ) ou connaître autrement, à partir de ces restes-là, une personne.
Ces détails, ces singularités, ces voix off ( antithèses aux préjugés discutés sur la scène expériences d'un accoutumé...
Ce qu'on dit d'elle qui avait éludé '' la singularité'' d' Amable ) qu'on pourrait appeler des restes
la « méthode des résidus » - retrancher ce « qui résulte de lois déjà connues pour réduire le phénomène à une sorte de résidu qu'on examinera en vue d'en découvrir l'explication ou la loi ». Ce bricolage est une traduction, une interprétation d'un système culturel dans un autre. La « pensée sauvage » est l'instrument d'une traduction qui fonde un code, permettant de traduire "l'autre" dans "le nôtre" et réciproquement pour se/nous mieux comprendre....
Penser sauvagement des détails pour en restituer un cosmos. Le monde est fait de fragments, de débris, de brimborions qui se font signe les uns aux autres, mais dont la signification est problématique.
1819La pensée sauvage ''associative'', est aussi une pensée géographique et cosmographique qui construit un monde habitable en fixant des repères, en ''traçant'' des chemins où l'on peut ''se retrouver''.
En suivant Lévi-Strauss pour qui l'espace ''est une société de lieux-dits, comme les personnes sont des points de repère au sein d'un groupe'', on peut en mettant en évidence des fragments, créer de ''nouveaux'' chemins-repères.
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29Un Un dispositif qui peut « indéfiniment s'élargir en fonction des dimensions et de la généralité du champ », mais aussi « se rétrécir pour filtrer et emprisonner le réel, mais cette fois à la limite inférieure du champ » (Lévi-Strauss 1962).
Umberto Eco parle de reconnaissance pour « les empreintes ( laissées par un animal), les symptômes ( sur le visage de celui qui souffre) et les indices (abandonnés par un assassin sur les lieux de son crime) ».
''La reconnaissance'' permet, à partir des traces, d'accéder aussi bien à l'individu ( le meurtrier), qu'à l'espèce (un lapin) ou au genre (animal ou être humain).
30le point de départ « insignifiant », la petite différence surprenante, l'importance incalculable de l'infiniment petit, cf. Freud dans L'Interprétation des rêves : « [...] Les plus petits détails sont indispensables à l'interprétation des rêves. Nous avons, en interprétant les rêves, accordé la même attention à chaque nuance des termes dans lesquels ils nous étaient rapportés. [...]
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3334Le reste, c'est aussi la trace que toute action humaine laisse. L'éloge du détail, c'est cet éloge de la trace, objet d'interprétation possible. Insignifiant pour le regard commun est ce qui parle le plus haut à l'ethnologue.
35Au fond, l'ethnologie est également science de détails qui sont des restes,
parce qu'elle s'instaure dans l'étonnement que le monde ne soit pas signifiant,
dans la distance entre le fonctionnement des choses que la science décrit et qui sont non signifiantes,
et le surplus que la vie humaine révèle,
et qui se révèle d'autant mieux qu'on se situe dans une certaine distance – le passé, l'ailleurs, social ou géographique, etc.
Ce surplus, qui est sens, apparaît cependant d'abord comme insignifiant, c'est-à-dire incompréhensible.
Il y a une affinité certaine entre l'art d'interpréter et l'ethnologie, en ce sens que, comme le dit Jacques Bouveresse, le « propre de l'herméneutique est, en un certain sens, d'aborder le problème de la compréhension essentiellement à partir des phénomènes d'incompréhension, dont elle étudie les sources, les mécanismes et les remèdes »
La parole devenue incompréhensible.
Dans la perspective de la culture européenne moderne, scientifique et technique, il n'y a de sens que dans l'univers humain, par l'homme, dans une culture qui n'est qu'artifice.
L'obscurité fondamentale du sens en tant que trace image d'autres traces.
Il appelle donc une interprétation, en tant que trace, et d'abord une reconnaissance de son caractère de trace, de reste.
37identifier ce détail insignifiant avec la parole ;
comme le sens qui est toujours au-delà des textes.
le déchet ultime devient le Tout.
38Mais la parole, à son tour, laisse derrière elle un déchet, un reste, une trace, qui est le mot.
Suivre la parole à la trace, s'intéresser au mot comme Sherlock Holmes s'intéresse aux lacets de soulier, s'intéresser au mot, le laisser résonner sur un parcours rétrospectif, celui des étymologies que Tzvetan Todorov appelle d'affinité, fondée sur des paronymes ou homonymes. Le mot comme un « en plus », un reste, d'où procède l'obscurité des termes, leur opacité, leur « modalité », si l'on veut – est une garantie contre une méthode symboliste sans garde-fou, où tout peut s'associer à tout .
39Un second garde-fou est le labyrinthe : un modèle abstrait de la conjecture. Il y a trois sortes de labyrinthes :
–1. Le labyrinthe crétois, celui de Thésée où, en fait, on ne se perd pas : on arrive au centre et on repart par le même chemin. Ce labyrinthe classique est le fil d'Ariane de lui-même.
–2. Le labyrinthe maniériste, qui est un labyrinthe en arbre, où il y a beaucoup de branches en cul-de-sac et une seule sortie. Sans fil d'Ariane, on s'y perd aisément. C'est le modèle de la méthode des essais et erreurs.
–3. Le réseau ou filet de pêche (la rete), qui est ce que Gilles Deleuze et Félix Guattari ont appelé rhizome : « Le rhizome est fait de telle façon que toute route y peut être en connexion avec toute autre. Il n'a pas de centre, pas de périphérie, pas d'issue, car il est potentiellement infini. L'espace de la conjecture est un espace à rhizome » (Eco 1986).
40La figure du rhizome semble être celle d'un espace fermé, mais non fini. Ce qui est susceptible d'expansion, toujours dans la même fermeture, ressemble assez à un concept ; Protoconcept, simili-concept en forme de filet, dans la mesure où il véhicule ce que la culture savante attribue à l'affectivité, car n'affleurent simultanément à la conscience que certaines des mailles du filet.
Dans l'image du rhizome, on voit bien enfin comment se combinent celle du bricolage et celle du parcours, de l'itinéraire du nomade.