Repenser la relation entre ''Sciences et Savoirs'' - Scientifiques rebelles et crise écologico-climatique : dialogue entre Livia Garrigue, journaliste, Julian Carrey, Jérôme Santolini et Florence Volaire, 3 scientifiques. 3 liens : 1) blogs.mediapart.fr, pour le texte intégral; 2) scientifiquesenrebellion.fr; 3) Wikipedia.org Jean-Baptiste Van Helmont, scientifique rebelle du XVII e s.
Le 14 octobre, le jet de soupe sur un tableau de Van Gogh par deux activistes a suscité des insultes et une âpre controverse stratégique sur les actions supposément " contre-productives " dans ...
Billet de Blog Livia Garrigue Journaliste à Mediapart
*Florence Volaire est écologue, écophysiologiste et agronome, et travaille depuis plus de 30 ans sur les stratégies d'adaptation des plantes à la sécheresse, et sur les mécanismes impliqués dans la survie des espèces herbacées aux sécheresses sévères avec des applications en sélection végétale, problématique centrale face à aux perturbations des rythmes de vie des espèces sous changement climatique.
Julian Carrey, qui a longtemps travaillé sur l'utilisation de nanoparticules magnétiques en cancérologie, étudie désormais des procédés de stockage de l'énergie électrique sous forme chimique, et l'utilisation de l'énergie solaire concentrée pour la métallurgie.
Jérôme Santolini, lui, mène ses recherches depuis vingt ans sur le rôle biologique des oxydes d'azote dans les phénomènes de stress oxydant, de symbiose et de communication cellulaire, et s’intéresse à leurs utilisations dans les processus industriels (agrochimie, agroalimentaire...) et leur impact sur nos systèmes écologiques et socio-techniques.
Extraits
Jérôme Santolini - Les savoirs sont un objet politique. Nos connaissances doivent éclairer les choix individuels et collectifs du quotidien et servent de base aux politiques publiques.
Les savoirs ne sont pas neutres, ils façonnent notre représentation du monde et la façon dont nous concevons notre rapport au monde, notre organisation sociale, nos éthiques individuelles.
La séparation entre savoirs et pouvoirs et une illusion : les savoirs ont été pendant des décennies au service d'un projet de société injuste, toxique, suicidaire.
L'injonction à la neutralité, cette bipartition “activisme/science” est une manœuvre pour préserver la capture des connaissances au service d'intérêts particuliers et contre l'intérêt général. (...)
Le Club - Les institutions de la recherche sont-elles elles-mêmes à la hauteur des enjeux de l’urgence climatique ?
Julian Carrey - Le CNRS commence à nommer des référents “développement durable” dans ses laboratoires... Autrement dit, le CNRS vient d'arriver en 1987, alors que tout le monde a compris depuis l'impasse et l'oxymore que représente ce concept.
Les institutions scientifiques incitent toujours les scientifiques à œuvrer pour la croissance économique et l'innovation, quelle que soit la nature de l'innovation et sans réflexion systémique sur le rôle potentiel des sciences face à l'urgence environnementale.
Jérôme Santolini - Nos institutions se caractérisent par une forte inertie qui les empêche de percevoir l'évolution des systèmes, les changements profonds, et de s'y adapter. (...) Les financements de recherche publics doivent être impérativement mis au service de la redirection écologique et sociale, pas en soutien de développements industriels fossiles et périmés.
Florence Volaire - On passe vite pour de dangereux idéologues (...)
Le Club - Quel est le rôle spécifique des scientifiques vis-à-vis de l’urgence climatique, et leur savoir est-il un pouvoir ?
Julian Carrey - Il faut bien séparer le savoir et le pouvoir, et de manière très claire. Une partie de l'origine des problèmes auxquels nous assistons est dû au fait que les pouvoirs économiques et politiques sont concentrés au sein d'une minorité qui fait tout pour conserver son mode de vie et poursuivre l'exploitation de la Nature et des humains.(...) Il s'agit à mon avis plutôt d'inventer de nouvelles formes démocratiques adaptées aux enjeux de long-terme et capables de prendre de véritables mesures de justice sociale.
Jérôme Santolini - Les scientifiques n'ont pas et n'ont jamais détenu de pouvoir politique per se. Ils ont été enchâssées pendant longtemps dans un projet de société structuré autour du développement industriel, économique, financier...
Ils continuent majoritairement de servir un projet politique dépassé.
Mais de nouvelles formes de savoirs (écologie, épidémiologie, anthropologie...) ont émergé (...) [qui entraînent] la condamnation du modèle néolibéral d'une démocratie des experts et la mise en accusation des relations entre les scientifiques et la puissance publique (...)
La vraie et seule question est comment remettre les savoirs et les scientifiques en démocratie, comment éviter leur capture par une minorité et s'assurer que nos connaissances restent un bien commun. (...)
Le Club - L’enjeu du partage des savoirs et de leur vulgarisation est stratégique pour la politisation des défis écologiques auprès du plus grand nombre. (...) ?
Jérôme Santolini - (...)repenser (...)la problématique du partage des savoirs, et commencer par bannir un langage (comme vulgarisation) qui scinderait le monde en deux : les sachants et les ignorants. Nous sommes tous des sachants (...) légitimes dans leur sphère propre. Une des grandes erreurs de nos sociétés (...) c'est d'avoir disqualifié toutes les formes anciennes de savoirs qui pourtant avaient assuré la survie et l'épanouissement de l'humanité (...). Partager le savoir, c'est ouvrir le champ de la connaissance à d'autres formes de savoirs, à d'autres acteurs. (...) une opportunité exceptionnelle pour reconstruire un monde commun.
Florence Volaire – il faut mettre sur la table dans le débat public, la grande question sous-jacente et cruciale des relations entre nos modes de vie occidentaux et la dégradation de la planète. Sciences humaines et sociales ainsi que sciences du vivant et de la terre proposent des solutions pour informer des options sur les choix sociétaux nécessaires. (...) le débat doit avoir lieu, et nos instances dirigeantes doivent traduire en politiques publiques massives les orientations collectivement définies pour une transition écologique radicale.