Quelques extraits/notes pris·es dans un article de Pierre Pachet sur la ''Némésis'' redéfinie comme vengeance, colère contre le conflit lui-même. Exemple pris dans L'Iliade, épopée racontant La guerre de Troie et aussi ''la colère d'Achille'' 2 Liens ;1) cairn.info, article intégral de P. Pachet; 2) Wikipedia illustration Nemesis Getty Villa
Sur une scène de l'Iliade : en colère contre la colère Pierre Pachet Dans Littérature 2010/3 (n° 159), pages 103 à 107
Nemesis Getty Villa 96, source Wikipedia - Némésis, déesse de la mythologie grecque est aussi un concept : celui de la juste colère (des dieux) et du châtiment céleste. Paul Mazon, en commentaire des Travaux et des jours d'Hésiode, l'associe à la « conscience publique, l'opinion et, par suite, à la crainte de cette opinion ». Elle est également la déesse de la vengeance. Son courroux s'abat en particulier sur les humains coupables d’hybris (démesure, mégalomanie).
Pas forcément attendre l'apaisement venu du temps qui éloigne de la douleur mais changer de point de vue
''La Némésis est bien le surgissement, du cœur même du conflit, d’un moment d’emportement, de colère contre le conflit.'', Pierre Pachet
Extraits/Notes
(...) Dans l’exercice des passions aussi chaotique qu’il paraisse, peut advenir le début d’institution d’un ordre qui permet de sortir de l’enchaînement de la violence.
Pour le constater, il est intéressant de remonter en deçà de la tragédie, vers l’épopée.
Vers l’Iliade, par exemple, un sommet dans la description de la violence continue.
C’est l’un de textes de l’histoire de la culture où la violence humaine est représentée le plus crûment, sans aucune atténuation, (cf Simone Weill L’Iliade ou le poème de la force).
La violence humaine y est représentée dans ses effets non seulement sur ceux qui la subissent, mais également sur ceux qui l’exercent.
Les premiers sont, comme l’exprime Simone Weil, devenus de la pierre tout en restant vivants, transformés donc en pire que cadavres : terrorisés par la peur et transformés en pierre.
Ce que fait la violence sur ceux qui l’exercent apparaît dans le chant 23 de l’Iliade.
Dans ce chant, Achille s’est abstenu de se battre en raison d’une querelle qui l’opposait à Agamemnon, querelle relative à une prisonnière qu’Agamemnon lui avait enlevée.
Vexé, il pleure sur le bord de la mer et se retire du combat.
Du côté des Achéens, la guerre ne s'arrête pas et son ami Patrocle est tué.
Achille est donc partiellement responsable de la mort de Patrocle, puisqu’il n’était pas présent pour le défendre.
Dès lors, la mort de Patrocle lance en Achille, lorsqu’il l’apprend, mécaniquement, une fureur démesurée.
Tous les guerriers de l’Iliade, Achéens ou Troyens, sont habités par une puissance qui, temporairement, leur fait oublier la peur de la mort et les rend presque invincibles tout en les conduisant souvent à la mort.
Mais Achille, lui, est habité ici par un sentiment plus puissant encore, la colère.
L’Iliade est consacrée à cette colère qui le pousse à massacrer indistinctement tous les Troyens qui se trouvent sur sa route, jusqu’à un point où il conduit le massacre si loin que les puissances divines elles-mêmes, horrifiées, décident d’intervenir pour interrompre le processus.
Achille est rassasié de sang, la nature elle-même est rassasiée de sang et stoppe sa fureur.
Au cœur de ce qui paraît obéir à un raisonnement et à un souci de l’ordre, peut se manifester une extrême violence.
Némésis désigne la vengeance.
La Némésis est une puissance supérieure ?
Le personnage d’Achille est décrit comme étant très susceptible/capable de Némésis, puisqu’il se met facilement en colère.
Mais la Némésis n’est pas exactement la colère :
Opposons deux passions qui forment un couple : Aidos, pudeur, réserve, sentiment de honte devant la collectivité ; et son inverse, Némésis, passion envahissante qui pousse à intervenir dans les affaires d’autrui. C'est Némésis qui fait agir.
« La question sera donc la suivante : dans un conflit où il y a deux parties, quelque chose peut-il surgir du conflit ou peut-être de la Némésis elle-même, qui permette de s’extraire du conflit, de le regarder de plus haut et d’y intervenir, non pas pour le nourrir comme on nourrit un feu, c’est-à-dire pour alimenter une force qui va vous détruire autant qu’elle va détruire l’autre ?
Y a-t-il la possibilité que quelque chose s’extraie de là ? Quelque chose qui n’est pas nécessairement de l’ordre de la raison, qui n’appartient ni à un tribunal supérieur, ni à une instance qu’on dirait aujourd’hui « supra nationale » ou supra conflictuelle, mais qui peut naître du conflit lui-même. C’est évidemment une question cruciale.
Si une puissance de ce genre existe avec cette vertu positive, c'est elle qui porte le nom de Némésis.
Némésis n'est pas la colère qui pousse à se jeter dans le conflit, comme l’a fait Achille parce que son meilleur ami a été tué : cette force qui alimente le conflit est universellement compréhensible.
Némésis est une autre force qui consiste à regarder le conflit de deux autres qui sont proches de vous et à un moment donné à s’indigner de ce conflit.
En ce sens, Némésis est une colère contre la colère, non pas une colère contre celui qui est en face de soi mais une colère contre ceux que l’on voit, à un moment précis, par un effet presque de situation ou d’optique, s’engager dans un conflit.
Désamorcer la violence, permettre de la regarder, de la transporter sur un plan où elle n’est pas destructrice. Laisser intervenir quelqu'un qui comme Achille dans l'Iliade, lui l'homme du ressentiment qui "placé à un endroit tel qu’il voit quelque chose que les deux autres ne peuvent pas voir(...) a une perception de la situation qui lui fait demander la fin des hostilités. Il sait que si les antagonistes étaient à sa place, ils agiraient de la même façon.
On peut penser à ces groupes de femmes qui en Argentine, en Russie, en Ukraine et ailleurs ont parfois joué un rôle dans les conflits contemporains. Etant parties prenantes de ce qui est en train de se passer où se battaient leurs fils, frères, pères, maris, elles sentaient en elles le désir d’intervenir.
Il est toujours posible que du sein du conflit naisse une amorce de neutralité qui ne vienne pas d’une instance supérieure.
Tirée de la lecture de l’Iliade, cette conception de la Némésis ne renvoie ni à l’enchaînement sans fin de la violence, ni au surgissement d’une instance supérieure.
Elle est bien le surgissement, du cœur même du conflit, d’un moment d’emportement, de colère contre le conflit.