Pour un poème déchirant de Charlotte Delbo : ''Rentrer du camp rentrer dans le rang après l'histoire'' 3 Liens 1) couverture folio de ''Prière aux vivants pour leur pardonner d'être vivants''; 2) youtube radiofrance.fr, chronique de Laurent Delmas; 3) blog de Marie-José Annenkov ''inventeursdeelectures.overblog.com''.

Le poème de Charlotte Delbo dont j'ai recopié quelques lignes/vers évoque le défi de réintégrer la vie quotidienne après avoir ''vécu'' à Auschwitz.

Comment retrouver ''une vie normale'' après l'horreur ? 

Elle pose la question du sens de la vie
et aussi du mot ''histoire'' qu'elle utilise  avec un petit “h”, celui de l’expérience individuelle qui souligne la différence entre les vécus personnels et la manière dont ces expériences sont ensuite intégrées dans le récit collectif.

Je pense à un vers de Nuit et Brouillard '' Que le sang sèche vite en entrant dans l'histoire'' où Jean Ferrat utilise lui aussi l'histoire sans majuscule ce qui peut, là, être vu comme une critique de la manière dont les événements tragiques sont assimilés et parfois banalisés par le récit historique. Ils perdent leur intensité et leur signification personnelle, devenant des exemples parmi d’autres dans une narration plus large.

Les deux mettent en exergue la tension qui existe entre l’expérience individuelle et la manière dont elle est perçue et représentée par la société  ce qui met en évidence la complexité de la mémoire et de l’histoire, et la manière dont elles sont façonnées par les structures sociales.

Je me dis que ceux, surtout parmi les politiques, qui ont la volonté d'entrer dans/faire partie de/marquer, écrire l'Histoire, avec un grand ''h'' ( évidemment...) devraient lire ce poème.   

Rentrer du camp rentrer dans le rang

après l'histoire

le tous les jours

après le maquis

le traintrain de la vie.

 

Nous disions

que la vie sera belle quand elle sera libre

que la vie sera ardente quand nous serons libres

tout sera simple transparent

tout nous sera rendu avec la liberté

la beauté, l'amour, l'amitié

tout

(...)

 il n'y aura qu'à vivre

quoi de plus simple,

de plus facile

à celui qui sait souffrir

à celui qui sait mourir ?

Rentrer

Qui de nous osait penser plus loin ?

(...) 

c'est pour se remettre à vivre

à vivre tous les jours

à travailler et à faire des dettes

à vendre du savon

parce qu'on ne sait pas faire autre chose

(...) à être à l'heure

parce qu'au travail il faut être à l'heure. 

(...) 

de quoi rêviez-vous dans votre là-bas ? 

De manger à votre faim

de dormir à votre sommeil

d'aimer à votre amour

à manger à dormir à aimer

vous l'avez depuis que vous êtes rentrés.

L'histoire c'est fini

soyez heureux comme tout le monde

l'histoire

c'est un moment

maintenant 

c'est la vie.

Et pourquoi vouliez-vous revenir ?

 

Sortir de l'histoire

c'est entrer dans la vie

essayez donc, vous autres et vous verrez.