Saleté/ immonde/haine - À propos de ''Saleté'' de Robert Schneider, mis en scène par Hans Peter Cloos : lien 1, théâtre contemporain.net. Quelques notes/citations autour du syntagme de ''saleté'', d'''immonde''prises en particulier dans un article ( en lien 2) de Anne Elaine Cliche sur erudit.org; ''Les naufragés'' de Patrick Declerck et ''Le Journal'' de Saint-Denys Garneau

Publié le par Claire (C.A.-L.)

" Personne n'ignore que la malpropreté éteint dans l'homme toute énergie morale, et le dépouille toujours  d'amour propre et de cette dignité de l'âme, qui est la mère des grandes vertus et des nobles actions"
imbrication du  physiologique  et du moral dans l'étiologie  de l'habitat : conséquence de la saleté sur l'organisme et la conduite.

Où l'hygiéniste exprime les angoisses de son époque et la toute puissance de la science capable de résorber tous les maux de la société. 
 
À l’occasion, en février 2012, de la découverte de la pièce "Saleté", créée par la compagnie « Labyrinthes » jouée à Paris en 2009, dans une mise en scène de Hans Peter Cloos...                                         

                                                    Texte, de Hans Peter Cloos, du 4 octobre 2008

« Schneider : un nouvel auteur autrichien qui me fascine. Voici « Saleté » (« Dreck »). Dans « Saleté », c’est un étranger, un exclu, un clandestin, qui parle de son pays d’accueil. Il a pour nom Sad, il est Arabe et immigré clandestin. Dans un texte grandiose, Sad parle de lui et du pays duquel il vient, de ses souvenirs, de ses rêves et de ses espoirs. En des termes pleins de poésie et souvent très directs et provocants, il décrit sa vie dans une ville allemande, la découverte qu’il a de sa différence, et du mépris affiché par les autres. Il se fait humblement bouc émissaire, il fait sien les préjugés les plus absurdes. Pourtant, il laisse toujours entendre sans la moindre ambiguïté qui sont les véritables responsables. « Saleté » est une pièce où le racisme et la xénophobie sont vus d’une toute autre perspective – par le regard chargé d’émotion d’un étranger sur la vie chez nous.

J’entends donner à ce texte toute sa beauté et toute sa force. Je travaille pour cela avec un acteur très particulier, Florian Carove ; il est jeune, Autrichien et plein de talents. Le spectateur doit être très près de l’action. L’espace doit être petit, et intime. Sad s’y présente devant un petit groupe de témoins, qui sont les spectateurs. Le théâtre implique. Il est là pour rendre curieux du monde. »

(*) Robert Schneider vit seul, lui aussi, dans un village des Alpes autrichiennes. En retrait du monde, pour écrire, comme Thomas Bernhard, et comme Thomas Bernhard, d’ailleurs, il écrit des romans et des pièces de théâtre sur son pays. Robert Schneider connaît lui aussi un succès international. Son roman « Frère Sommeil », publié en France aux Éditions Calmann-Lévy, a été traduit en vingt quatre langues et littéralement encensé par la critique, dans son pays comme partout ailleurs ; il a été adapté au cinéma et transposé en livret d’opéra. »

                                                                       ***

Extraits de quelques textes trouvés sur internet à partir d’une recherche autour du mot " saleté »

 Mythologies Barthes Saponides et détergents . Liquides purificateurs (javel) ; Détergents (omo, paic) ; poudres saponides ( lux, Persil). La légende implicite de ce genre de produits repose sur l’idée d’une modification violente, abrasive de la matière. Le produit « tue » la saleté. Les poudres sont des éléments séparateurs. Leur rôle idéal est de libérer l’objet de son imperfection circonstancielle : on « chasse » la saleté, on ne la tue plus. Dans l’imaginaire omo, la saleté est un petit ennemi malingre et noir, qui s’enfuit à ttes jambes du beau linge pur, rien qu’à la menace du jugement omo.

              Si vous n’avez pas beaucoup de temps, lisez celui-là : excellent !, de Anne Elaine Cliche ( Québec)

                                            « Présentation : l’immonde. Ceci n’est pas un thème. »

Notre littérature marquée par une dé-figuration insistante, celle du déchet, de l’immonde, de la déjection ; celle aussi de la langue et de l’histoire en proie à la déperdition.
Un corps-chose, formule dans une matière textuelle ce qui sans voix, ni mot se décline dans des signes comme boue, glaire, bave, merde, cadavre, pus, ordure, plaie, sang.
AUTEURS : DUCHARMES : honte retournée en valeur/ARQUAIN/BLAIS/VLB/LA ROCQUE/GAUVREAU : pétrification exploréenne/GARNEAU/TREMBLAY : honte de soi/BIGRAS : honte des origines :
BEAULIEU :honte suppliciante et sacrificielle don’t la violence est l’ultime sublimation .

                                                   L’immonde est une épreuve, pas un thème.
Pas une figure, mais un hors-monde d’où nous venons et où il nous arrive de revenir dès que l’ordre symbolique qui
fonde l’espèce s’effrite, se décompose - pour un seul ou pour l’ensemble.

                                      L’envers du monde / lien avec sacré, extase, folie, sublime.
             Peut-être l’immonde n’est-il jamais que le support de l’écrit,
ce contre quoi le verbe se déploie.

                                                         Et la souillure, son envers incarné.

Plusieurs écrivains rappellent cette proximité, inquiétante qui soude la loi qu’est la parole au réel innommable.
Comme si l’énonciation, acte de dire, en tant que tel, nous plaçait toujours dans l’injonction de l’extrême, au seuil de la disparition.
                                                    Posture apocalyptique de tout discours.

Arthur Schnitzler (contemporain de Freud) « ... On se dit dévoué, carriériste etc. alors que seule parle une horreur qui n’est pas toujours celle de la mort, une jouissance obscure de l’effraction, une satisfaction de ne pas être l’autre qui souffre et qui meurt. Une passion d’enfant à connaître les secrets de l’âme, les recoins du corps et les affres du désir. »

(...) Quand le réel du monde fait retour dans le texte, la voix, le corps, la lettre, c’est parce qu'elle est aussi la part infigurable, cachée, secrète, im-montrable, au coeur du sujet, gardée en lui, comme une chair impossible.
Est immonde ce qui nous anéantit, nous réduit à cette condition d’imposteur, de trou, de rat... Ce qui nous arrache à l’espèce et nous regarde comme une chose expulsée.
Est immonde ce qui nous met hors du monde.
Humiliation, néantisation, déstructuration, désubjectivation.
Le XXème s. a inventé l’abolition de l’homme, degré de dissolution à un degré de puissance inédit.

L’immonde est dans le regard de la haine, parce qu'il traverse l’image du corps, dénie l’apparence humaine encombrante et décide de la matière abjecte ; regard démiurgique et cadré qui permet, (dans le cadre du miroir brisé), au nazi d’aimer ses enfants, sa femme etc sans cesser d’accomplir sa besogne d’extermination.

 
L’immonde est cette part destituée de l’image, celle de l’autre comme moi-même, part déjetée, rompue du semblable, parce que des-identifiée, retournée au réel d’une matière sans nom. Il a traversé le miroir à cause de sa peur, déclarée et travestie en « raison », du regard qui, de là, lui revenait et qu’il a cru pouvoir aveugler.

Ce regard, qui dans toute image vous attend, vous fissure parce que justement, il vous regarde.
La fonction du regard et ses pouvoirs déstructurants.

 
Regard comme  vecteur de la honte, facteur d'évanouissement qui interdit le témoignage et frappe celui qui veut parler, d'imposture, d'artifice, de pauvreté, pouvoirs d'inversion, de retournement du monde.

                                   La honte est le signal d'une  rencontre frontale avec l'immonde
                                     dont l'écriture serait à la fois le paiement et la restitution.

La honte ? C'est un effet de mise à nu de quelque chose d' "irregardable" à la place où je suis et qui m'ordonne le désaveu de ma parole...L'horreur dévoilée est l'invisible et tant que tel. Le sujet qui s'éprouve violé, effracté, imposteur, sans légitimité.

                                  Les naufragés de Patrick Declerck coll Terre Humaine PLON, 2001

Cette plongée dans la lecture de l’univers des clochards suscite à la fois élans de sympathie qui rapprochent et de dégoût qui mettent à distance et rejettent. Or le dégoût pour la crasse, les microbes, les poux,le pus, signe culturellement ce qu'une société décide de mettre dehors. un des liens culturels fondamentaux (avec le culte des morts) est la sublimation s’appuyant sur le dégoût commun pour les choses décrétées abjectes.
                                     Les marginaux divers, gueux et clochards ont toujours existé.
                         Ils désignent la souillure : ce qui n’est pas à sa place selon un certain ordre
                                                      et le menace de bouleversement.
Dégoût = essence de la chose indicible, informe, gluante, grouillante et que provoque ce qui dans la société est souffrance, placé dans une zone réelle ou imaginaire, une limite, périphérique, intermédiaire, une zone d’attente de « reclassement » ou d’abandon et de précipitation dans la mort.
                                                                   
                                                     
                                                   Le Journal de Saint-Denys Garneau

Amorces de récits, projets ébauchés comme autant de noyaux d'effondrement. Une matière première; objet, cause de la narration.  Une tradition d'écriture dont la scène est toujours celle d'une destitution.  Scène du fantasme qui révèle la réserve de dépossession  fondatrice du sujet.
Toute puissance du regard de l'autre qui peut sans effort toucher en nous le réel le plus voilé, le dévoilant pour la honte de celui qui sent fuir son secret, son rien secret qu'il ne soupçonnait pas à ce point effroyable avant de le perdre.
Destitution/dévoilement
Enigme/messe noire, ordure indépassable et sublime projet de roman inaccompli,
livré au futur comme en attente de la révélation de cette scène fondatrice, désigne aussi la place inévitable de l'écrivain dont la position subjective vise à exhumer la Chose.               
Exhumation  qui passe par une profanation du secret mais qui consiste à construire une cache nouvelle qui ne voilera plus l'infigurable néant mais en dira l'impossible par l'abjection qui est encore un masque.
L'écrivain écrit qu'il n'écrit pas, qu'il n'a pas encore commencé à dire. Il draine donc toujours cette chose immonde et secrète qu'il force au-devant de la scène. Comme sa honte ET sa causalité. 
Cette Chose qui se pare de lambeaux de chair, c'est la fiction, une mascarade.

L'écriture de ceux pour qui la langue n'arrive pas à céler l'image dans sa consistance -de face- et dont la parole est structuralement empêchée avant d'être interdite paye toujours sa dette à la Chose, elle peut devenir création, car cette chose immonde, on ne peut la projeter sur l'autre, la devenir pour la faire disparaître sans reprogrammer la catastrophe. CF Tremblay et son théâtre hanté par la déchéance et l'impuissance.
Quand l' immonde, occasion d'une rencontre avec l'insoutenable devient 
occasion d'une vérité enfin prononçable.

                           Vérité qui profane la langue pour la rendre à son tranchant premier.
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