Gilles Châtelet http://antioedipe.unblog.fr/2007/03/30/comment-la-pensee-des-annees-70-a-sombre-le-temoignage-de-gilles-chatelet/
..."Nous ne nous sentons pas hors de notre époque, au contraire nous ne cessons de passer avec elle des compromis honteux. Ce sentiment de honte est un des plus puissants motifs de la philosophie. Nous ne sommes pas responsables des victimes, mais devant les victimes. Et il n’y a pas d’autre moyen que de faire l’animal (grogner, fouir, ricaner, se convulser) pour échapper à l’ignoble : La pensée même est parfois plus proche d’un animal qui meurt que d’un homme vivant, même démocrate. » (Qu’est-ce que la philosophie ?)
Châtelet explique comment l'ère Mitterrand est parvenue à “émasculer une tradition de gauche combative pour installer les niaiseries des démocrates modernistes. Il s'agissait de promouvoir une capitulation élégante - à la française - devant l'ultimatum de la Main invisible, en le présentant comme un rendez-vous incontournable avec la modernité, et même comme l'utopie libertaire ayant enfin atteint l'âge adulte.” (…)
” (…) l'infatuation et l'esprit de chapelle allaient, comme d'habitude, venir à bout de l'intelligentsia française, qui était un peu le navire amiral de la subversion européenne.
Les années 60 avaient été celles du naufrage du “matérialisme dialectique” qui, peu à peu, avait perdu toutes ses griffes ; il avait fallu céder le terrain au “nietzschéisme” qui, à son tour, commençait à s'effriter.
Hegel, Marx, Nietzsche n'avaient bien sûr rien à voir avec tout cela,
mais toute grande pensée si affûtée soit-elle, périt toujours entre les mains des vestales trop zélées.
Les vestales ne manquaient pas...
Le style Cyber-Wolf, apolitique et blasé, commençait à pulluler : comment résister à la délicieuse frivolité de ceux qui se faisaient fort de “chier sur le négatif”, qui croyaient avoir enfin trouvé le secret de la jubilation permanente et prétendaient cultiver des orchidées dans le désert sans trop se préoccuper de l'épineux problème de l'arrosage ? Merveilleux Jardiniers du créatif qui voulaient s'envoler avant d'avoir appris à marcher et qui avaient oublié que la liberté, est aussi la maîtresse concrète - et souvent douloureuse - des conditions de la liberté.
La Contre-Réforme néo-libérale allait prendre sa revanche sans faire de cadeaux au Jardiniers du créatif.
Chaque idée, fût-elle la plus généreuse, être impitoyablement retournée comme un gant, ruminée pour resurgir sous la forme d'une réplique cauchemardesque…”