Remontée du 3 septembre 2011 du copié/collé d'un excellent article critique de Daniel Hameline sur "Emile, reviens vite...ils sont devenus fous" de Philippe Mérieu et Michel Develay, 1992.. Lien avec un autre article critique du même livre par Evelyne Burguière, chez Persée également

Publié le par Claire

                                       "Emile reviens vite...ils sont devenus fous", 

 ce livre analyse les critiques virulentes qui étaient déjà - et sont toujours encore -
adressées à la  pédagogie
 puérocentrisme, abandon des exigences culturelles, baisse du niveau, renonciation à  l'autorité de l'adulte, utilisation de concepts approximatifs, technicisation abusive de la didactique,  etc. Avec le recul, ce qui frappe, c'est le caractère répétitif de ces attaques et leur actualité. Les  réponses faites ici ne cherchent pas, elles, à polémiquer vainement. Bien au contraire, elles  s'efforcent de comprendre et de faire avancer le débat ; elles proposent de nouvelles analyses   permettant de dépasser des oppositions stériles ; elles n'esquivent aun problème et tentent de se coltiner la complexité des choses humaines, tout en esquissant un horizon plausible. [...] 
 
[...] Philippe Meirieu et Michel Develay ont décidé de s'engager. Évoquant la figure d'Emile, le personnage emblématique du traité de Rousseau sur l'éducation, ils se proposent de passer au crible les discours actuels sur l'École et la pédagogie. Ils se placent ainsi résolument du côté de l'élève, en s'efforçant de distinguer ce qui l'aide à grandir de ce qui l'abîme, ce qui promeut son humanité de ce qui le condamne à la dépendance ou à la violence. C'est pourquoi ils prennent au sérieux les critiques et les objections qui mettent en question le rôle des Sciences de l'Éducation, la fonction de la pédagogie, la légitimité de la démocratisation du système éducatif, la référence aux Droits de l'enfant, l'abandon des contenus disciplinaires. Sur tout cela, ils cherchent à comprendre le point de vue de leurs adversaires, rappellent les acquis des recherches en matière éducative, clarifient les enjeux essentiels et affirment leurs convictions. Écartant radicalement la tentation de traiter toujours l'échec par l'exclusion, ils dessinent ici, sur la question essentielle de l'École, les contours d'une « utopie de référence » pour une société qui en a terriblement besoin.
 
                                         Ce qu'en pense  Daniel Hameline

 

S'il est une chose intellectuellement manquée dans ce livre, c'est son titre. Ce dernier aura-t-il réussi la captatio benevolentiae commerciale qu'il est censé produire ? Cela n'est pas impossible. Il faudrait interroger les chiffres de vente. Mais si l'on attend de ce libellé une indication claire sur la pensée qui va se déployer dans l'ouvrage, l'apostrophe au « héros » de Jean- Jacques paraît particulièrement propice au contresens.

Qui parle ? La première interprétation qui m'est venue à l'esprit n'était pas la bonne. Sans doute était- elle saugrenue.

J'ai entendu l'apostrophe à Emile comme une antiphrase : le cri prêté par les auteurs à ceux qui dénoncent le complot que les « pédago- gistes » seraient en train de fomenter contre l'instruction républicaine.

Car chacun sait que de bons esprits tiennent aujourd'hui pour « fous », — et même criminels — , ce Meirieu et ce Develay, ainsi que leurs semblables, les militants « pédagos » devenus « spécialistes » de l'éducation au sein de la 70e Section des universités... Mais on imagine mal, dans un second temps, nos modernes sectateurs de Condorcet interpellant « Emile » avec une telle familiarité...

Ce sont donc bien les auteurs qui interjettent appel auprès de l'élève de Jean- Jacques.

La « Lettre à Emile » qui ouvre le livre, de même que le post-scriptum qui le ferme, confirment l'interprétation.

Est-ce alors, de la part des auteurs, une profession de foi rousseauiste ?

C'est risquer inutilement la prise de parti, alors que leur propos effectuera, à l'égard du pédagogisme, un éloge des plus mesurés. Et, conséquence non subsidiaire, les « ils » « devenus fous » désignent alors leurs adversaires : le qualificatif est peu courtois, annonçant très mal l'irénisme et la hauteur de vue qui vont caractériser l'ouvrage.

Il n'était pas mauvais que Meirieu et Develay prennent ainsi position dans le débat contemporain sur l'École.

Ils y confirment ce que leurs écrits antérieurs annoncent : que leur propos est désormais détenteur d'une autorité qui rend leur avis à la fois sérieux, précieux et digne d'estime.

 

Ils confirment d'abord une connaissance ample et maîtrisée de ce qui s'est publié récemment sur l'école à destination de l'opinion publique : pour qui n'a ni le temps ni le courage de lire cette littérature essayiste,

souvent décevante, parfois navrante, leur livre est une excellente mise au point.

 

Une conception éthique du débat qui est toute à l'honneur des auteurs. Il se montrent polémistes certes, et vigoureux, mais ils ne franchissent jamais les bornes de l'incivilité, ils résistent au penchant pamphlétaire comme à la pratique du mépris.
Ce respect de l'adversaire, même quand ce dernier selon toute apparence ne le mérite guère, loin d'affaiblir l'ouvrage, lui confère une tonalité forte qui n'en est pas le moindre caractère. Eux- mêmes acceptent, sans vergogne mais sans humilité factice, de reconnaître les limites, voire les perversités latentes de ce « pédagogisme » dont ils entreprennent l'apologie raisonnée.
 
Les « bacchanales psychologiques » que dénonçait il y a vingt ans (1972) Marie- Claire Lepape (dont le discours est aujourd'hui étrangement oublié des contempteurs de la « pédagogie », alors qu'elle anticipait pourtant non sans verdeur les mises en garde contemporaines), les « manipulations » sous couvert de dynamique de groupe, les « centres d'intérêt » farfelus ou démagogiques, le refus d'assumer l'autorité, la tentation de complaisance, la célébration imbécile de l'enfant-roi : Meirieu et Develay savent bien que le risque existe de ces pratiques sans honneur ni intelligence, alimentées à une pensée molle.
Il partagent les soucis de leurs plus honnêtes interlocuteurs. Ils vont même jusqu'à abonder dans leur sens, reprenant les questions que les objecteurs soulèvent, comme des questions qu'ils se posent eux- mêmes à eux-mêmes et publiquement. J'en prendrai pour seul exemple le sort qu'ils font à Guy Coq et à son article de 1991 « Les impasses de la raison péda- gogiste », à Philippe Raynaud et Paul Thibaud et à leur livre La fin de l'école républicaine, et même à Philippe Némo et à son pamphlet Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry ? dont ils évoquent sobrement les outrances, pour ne retenir que les interrogations, honorables en leur sincérité.

[...] 

On aimerait que ces interlocuteurs, et tous les autres, participent au débat public avec autant de grandeur d'âme, — qui n'est pas ici sentimentalisme ou ruse — , et se montrent capables d'énoncer d'eux- mêmes, avec la même exemplaire loyauté, les limites de leurs propres positions. Qui n'énonce pas de lui- même les limites de sa propre position est un dogmatique. Et qui se veut censeur, — plus encore : passionnément censeur — dogmatise.

 

Dans le débat actuel, une chose est certaine, ces deux penseurs-là ne sont pas des dogmatiques.

 

Et, pourtant, hardis dans l'assertion, ils font la démonstration qu'ils ne sont ni des pense-petit, ni des timorés, encore moins de « braves idéalistes » en mal de lyrisme missionnaire, mais qu'ils détiennent une intelligence « dure » de la chose scolaire dont peu de leurs interlocuteurs peuvent aujourd'hui se targuer.

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