Lien avec un article sur le rôle des chiffres dans la rhétorique politique (ENS de Lyon éditions)
![Le langage des chiffres en politique](https://image.over-blog.com/UKVLgPM7QkSmTPF7g3TUj1YzW2Q=/170x170/smart/filters:no_upscale()/https%3A%2F%2Fwww.openedition.org%2Fdocannexe%2Fimage%2F1623%2Fmots_160x75.png%23width%3D160%26height%3D75)
Le langage des chiffres en politique
Il n'est bien sûr nul besoin de rappeler que dans statistique, il y a État. On sait le faible apport de l'étymologie à l'étiologie. Il faut donc se demander pourquoi les nombres sont omniprés...
Paul BACOT, Dominique DESMARCHELIER et Sylvianne RÉMI-GIRAUD
Pour échapper à l'envoûtement des vertigineux chiffres macabres du soir...qui même quand ils sont présentés comme étant en baisse restent angoissants.
Oui, la pandémie est terrible et nécessite des mesures d'urgence, mais il est intéressant, (peut-être pour se rendre compte qu'on a chacun la responsabilité de sa propre histoire, que sa vie soit longue ou pas) de se souvenir que la manière dont elle est (re)présentée et traitée par les médias vise à asseoir les pouvoirs en place. Tous, indépendamment des couleurs politiques et de leurs jeux de massacre.
Quelques petites notes prises sur "la mutation de l'expérience en chiffres/nombres", mots /images, graphiques...Des procédés rhétoriques.
" (...) On peut compter des humains au même titre que des feuilles (...)"
- Transformation de "l’objet"( par exemple des humains malades, ou morts contaminés par le Covid 19 ) mis en chiffres,
qui se trouve ainsi discrétisé,
catégorisé, dans un processus de naturalisation,
de réification,
d’objectivation tendant à faire oublier les « conditions (...) de leur construction ».
- Et encore au-delà de cette mise en chiffres,
il y a la mise en images, en schémas, en graphiques, en courbes, en tableaux, en camemberts et autres modélisations de toutes sortes.
Et les chiffres eux-mêmes sont alors iconisés.
Ils sont perçus comme de belles images, souvent mises en valeur par une profusion de couleurs.
Ce qui représente un niveau supplémentaire de réduction de la réalité, car ces modélisations ne rendent compte qu’imparfaitement des résultats chiffrés pris en eux-mêmes.
Dans le cadre de cette véritable mutation des données de l’expérience en chiffres, dont on mesure la complexité et la relative fragilité, on peut se demander quelle est celle des sources de cette mise en chiffres.
Les chiffres, appartiennent au domaine exclusif des « experts », dont les sources des chiffres cités proviennent massivement de différents ’organismes (...) qui en assurent parfois la diffusion eux-mêmes.
Mais le plus souvent ces chiffres sont de seconde main, repris plus ou moins fidèlement, reformatés et propagés à différents niveaux, international ou national.
De plus, la mise en circulation des chiffres, à la traçabilité incertaine, produit un effet d’unanimité en trompe-l’œil .
Auréolés d’un prestige scientifique, les chiffres, présumés neutres, exacts et objectifs se caractérisant donc par la distance et la froideur, se mettent au service de la dimension rhétorique et argumentative des discours politiques.
De chiffres-grandeurs, ils accèdent alors au statut de chiffres-valeurs.
Ceux qui diffusent ces chiffres profitent du prestige qui leur est accordé et qui va donner d'eux une image "de rigueur, de sérieux, de maîtrise de soi et du monde." Ils s’approprient par procuration la puissance universalisante (garantie par un système de signes translinguistiques, transculturels) de l’objet-chiffre divinement personnifié comme une sorte de Pythie : "Les chiffres parlent d’eux-mêmes."
Faire usage de nombres met le locuteur du côté des puissants, de ceux qui savent et qui peuvent.
Là je recopie un passage :
"Plutôt que de viser l’exactitude, les chiffres se mettent parfois au service d’une expression hyperbolique qui "fait dériver la quantification, par l’accumulation des mesures, vers le trop, vers « l’infiniment grand », jusqu’à produire « un effet de vertige » . Ils sont alors souvent combinés à des mots exprimant la dramatisation, à des métaphores de maladies ou de catastrophes naturelles.
Il arrive même que l’approximation et la fragilité reconnues des chiffres constituent un argument supplémentaire pour affirmer avec force, par exemple, que « la situation est certainement plus grave encore que ce que l’on peut en savoir ».
Ces procédés, visent à atteindre l’émotion et à susciter la plus forte indignation, en particulier quand il s’agit de mettre en scène la souffrance humaine ou la mort à des fins de mobilisation politique
Ainsi, le chiffre, expression d’une froide rationalité, objectivité, devient le véhicule privilégié de l’émotion.
C’est donc plus (...) le sentiment que la raison, qui sont les destinataires de l’argument par le nombre.
On peut se demander s’il est possible de discuter les chiffres…