Lien Fabula ( dossier : y-a-t-il une histoire littéraire de femmes ? Un enjeu misogyne : Clotilde de Surville, "Sappho moderne"? ) Lien fabula.org article Sophie Vanden Abeele-Marchal

Publié le par Claire Antoine

Lien Fabula ( dossier : y-a-t-il une histoire littéraire de femmes ? Un enjeu misogyne : Clotilde de Surville, "Sappho moderne"? )  Lien fabula.org  article Sophie Vanden Abeele-Marchal

                               Autre supercherie littéraire, celle-ci est incontestable.

           On peut se poser la question des raisons d'un tel mensonge si bien orchestré.

                                                     Un enjeu misogyne

               "Clotilde de Surville" était l'auteur supposé de la Poésies de Clotilde.

La légende 
Marguerite-Éléonore Clotilde de Vallon-Chalys, dame de Surville, est né au début du XVe siècle à Vallon. La mort de son mari à la guerre lui a inspiré entre autres des poèmes élégiaques.
En 1803, Charles Vanderbourg publie 40 poèmes miraculeusement retrouvés, les Poésies de Clotilde. Ils parlent d'amour et de guerre.

                              Une ébauche de réponse. Tentative d'explication  

                                   Des extraits

 Le lien permet de lire, et c'est toujours mieux, le texte dans son intégralité

Comment une supercherie littéraire telle que la création par des hommes du XIXe siècle, d'une oeuvre et d'une figure de poétesse "oubliée du XVe siècle",  peut-elle en décrivant " la modélisation de figures auctoriales féminines lesquelles  correspondant aux valeurs régissant le canon littéraire" (qui ostracise institutionnellement les femmes), "permet d’inclure dans cette histoire masculine un petit nombre de figures de femmes auteurs".

"pendant près de quatre-vingts ans" ... "objet de controverses renvoyant aux enjeux mêmes de l’histoire littéraire en tant que telle" 

"La minutieuse invention de la châtelaine ardéchoise venue du haut Moyen-Âge, Clotilde de Surville, « poète ingénieusement créé pour l’imagination» selon l’expression de Nodier, offre en effet l’exemple de la création d’une figure, d’une poésie et même d’une histoire littéraire féminines : les poèmes attribués à cette supposée poétesse sont en effet assortis d’un commentaire préfaciel et d’un apparat critique qui proposent la « reconstruction spéculative de l’histoire médiévale et la fabrication contrefactuelle d’une véritable généalogie poétique » dès l’édition originale en 1803 d’un premier volume intitulé Poésies de Marguerite-Éléonore Clotilde de Vallon-Chalys, depuis Madame de Surville, poète français du xvesiècle. Et cette construction, qui connaît immédiatement un grand succès, donne corps à une figure tutélaire et identificatoire pour les poétesses contemporaines qui en manquent alors cruellement, jusqu’à devenir même le support emblématique d’un discours sur la femme auteur.  Pourtant la publication de ces œuvres est d’emblée donnée comme un événement littéraire polémique" 

 

                                          REPRISE DE LA CONCLUSION 

" Que reste-t-il donc de Clotilde de Surville sinon, en creux, cet indéfini féminin, évidence tacite qui fonde l’argument essentialiste selon lequel « [une femme] est toujours femme » ?

(...) dès les premières pages de la préface

distinction "lecture érudite de la lecture naïve, parlant au « cœur », seul capable de démêler intuitivement « si un homme a pu composer ses poésies, où le cachet du sexe le plus tendre et le plus désintéressé dans ses affections est si fortement empreint ». Nodier, après avoir repris rapidement les éléments du double récit de ce dernier, en fait d’ailleurs l’argument principal de sa démonstration, délimitant ainsi un espace exclusivement féminin, qui réunit tacitement femmes auteurs et lectrices : « la réputation de Clotilde […] écrite en caractères de feu dans le cœur de toutes les jeunes mères qui ont lu, ou plutôt qui ont retrouvé ce qu’elles avaient déjà ressenti ». S’il engage les femmes à « défendre la gloire du sexe contre la science orgueilleuse des hommes », reprenant ainsi la distinction initiale de Vanderbourg, c’est pour mieux affirmer cet archétype du féminin aux caractéristiques tacites et marginalisantes : « Il n’est pas vrai que l’on fasse du sentiment avec de l’esprit ; et si l’esprit le plus vif brille dans les poésies de Clotilde, il n’y paroît que comme accessoire du sentiment ». Dès lors, même dans les œuvres qui relèvent des genres masculins, « Clotilde est toujours femme », « une femme brillante de grâce, de naïveté, d’esprit et de raison », dont les qualités correspondent au canon en vigueur, qui permettent de l’associer à l’évocation la plus conventionnelle qui soit des poétesses contemporaines comme « la spirituelle et gracieuse Mme Amable Tastu, qui n’a point d’égale, la touchante Mme Desbordes Valmore, la poétique Mlle Gay ».

 

12Les hiérarchies, avec la répartition des qualités intrinsèques, sont donc bien rétablies. Clotilde est désormais « une mère tendre, une épouse embrasée des feux d’un chaste amour, poète par sentiment bien plus que par désir de gloire » : elle incarne un immuable féminin rassurant, propre à toutes les identifications.

Elle s’inscrit dans un décor finalement aussi peu réaliste que symbolique : l’évocation du Moyen Âge est destinée, à travers cette icône féminine ainsi devenue consensuelle, à évoquer « un monde perdu, et peut-être un mythe étiologique, qui cherche à replacer la poésie dans un temps parfait, temps d’avant la faute, temps de l’innocence » – temps d’avant la Révolution également car de toute évidence le xve siècle et les règnes agités de Charles v et Charles vi sont une métaphore des peurs postrévolutionnaires et de la morale conservatrice qui en est résulté. Les glissements opérés par la fiction aboutissent en effet aux arguments moraux : Clotilde devient la garante des valeurs normatives qui ont présidé, après la Révolution, à l’exclusion du féminin et à son enfermement dans la sphère familiale : « il ne faut rien s’exagérer, conclut Sainte-Beuve : ce qui fait vivre Clotilde, ce qui la fait survivre à l’intérêt mystérieux de son apparition, ce sont quelques vers touchants et passionnés, ces couplets surtout de la mère à l’enfant. […] Les Verselets à mon premier né seront lus toujours ; le reste ensemble ne suffirait pas contre l’oubli ».

 

La fiction de Clotilde, empreinte d’une nostalgie des origines aux couleurs bien entendu féminines, a sans doute pour fonction de rappeler aux femmes que leur fonction est d’incarner cette stabilité et cette permanence dont la maternité est une des métaphores les plus conventionnelles et les plus rigoureusement encadrantes dans les représentations du féminin au xixe siècle.

La femme, dans ses œuvres, quelle qu’en soit la nature, doit garantir les mœurs, le goût et la morale par-delà tous les aléas historiques : à ce titre l’histoire de Clotilde et de ses poésies renvoie bien à ce double mythe de fécondité et de régénération par un enracinement naturel qu’évoque l’image de « la branche verte et [du] bouton humide de rosée » à laquelle Sainte-Beuve l’associe.

 

13On comprend dès lors que cette figure de poétesse, devenue un emblème du lyrisme maternel et sentimental, ait pu avoir la vie longue parmi les femmes auteurs contemporaines, contraintes de s’adapter à la misogynie idéologique des représentations contemporaines de la femme et donc d’adopter des postures énonciatives conservatrices, seules possibles pour avoir voix au chapitre.

 

C’est sans doute parce qu’elle est une figure ainsi consensuelle, une caution autorisée au même titre que la tout aussi fictive Clémence Isaure, que Clotilde de Surville est si souvent présente dans les paratextes féminins ou relatifs à la littérature féminine : dédicataire d’épîtres de Victoire Babois ou de Marceline Desbordes Valmore, elle se trouve ainsi régulièrement inscrite, tout au long de la première moitié du siècle, dans les panoramas de la poésie féminine que ce soit par exemple dans le Journal des femmes en 1832 ou même dans ces publications régulières du type des Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises depuis le xiiie siècle jusqu’au xixe sièclepubliés en 1841. En 1847-1848 encore, son nom protège même l’anonymat d’une chroniqueuse régulière du conservateur Conseiller des dames. Journal d’économie domestique et de travaux domestiques. Preuve s’il en est que la fiction féminine que met en abyme cette célèbre supercherie fonctionne à plein et constitue un des fondements de l’histoire littéraire telle qu’elle s’est constituée au xixe siècle.

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