A propos de Christopher Lasch : Narcisse, nouvelle figure du capitalisme
SITES et AUTEURS à CONSULTER
1)Pierre ANSAY,
http://www.politique.eu.org/spip.php?article885
2) Jacques ELLUL
3) ET ENCORE... sur le site cf infra extrait des conditions de reproduction :
"Vous êtes libres de modifier, reproduire et diffuser toute ou partie de cette
brochure à condition que les libertés énoncées dans ce paragraphe s'appliquent
sans restriction à ce que vous en faites.
Si vous modifiez cette brochure, indiquez le clairement ...
Enfin, ne la stockez pas : faites-la circuler autour de vous, offrez-la, posez-la dans
un endroit où elle sera lu. Face à l'industrialisation des médias, inventons des
alternatives pour faire circuler nos idées !
1)
Si certains ouvrages scrutent le psychisme des « capitalistants », (les metteurs en scène et en œuvre du capitalisme), Christopher Lasch en entomologiste social examine plutôt nos psychismes de « capitalistés »...
L’avènement des nouveaux Narcisse
Adieu les bonnes névroses freudiennes et place aux pathologies narcissiques, autant nouvelles postures des sujets que phénomène social global.
« N’ayant pas l’espoir d’améliorer leur vie de manière significative, les gens se sont convaincus que, ce qui comptait, c’était d’améliorer leur psychisme »
L’auteur poursuit : « L’atmosphère actuelle n’est pas religieuse, mais thérapeutique. Ce que les gens recherchent avec ardeur aujourd’hui, ce n’est pas le salut personnel, encore moins le retour d’un âge d’or antérieur, mais la santé, la sécurité psychique, l’impression, l’illusion momentanée d’un bien-être personnel… De fait, le narcissisme semble représenter la meilleure manière d’endurer les tensions et anxiété de la vie moderne ».
Pour Lasch, les mutations du capitalisme engendrent en écho des mutations profondes du psychisme individuel et social.
Un système social existe toujours sous une double forme [2] ;
d’un côté, les institutions, les appareils médiatiques, les entreprises, les codes et réglementations,
et de l’autre, des dispositions individuelles façonnées, tels les habitus de Bourdieu, les inclinations personnelles, les modes intellectuelles et vestimentaires, les motivations personnelles érigées ou non en système.
« Ainsi donc, lorsque nous proclamons notre hostilité au ‘système capitaliste’, et que toutes les critiques que nous formulons s’adressent exclusivement à ses structures économico-politiques objectivées, il est clair que notre analyse s’est arrêtée à mi-chemin et que nous avons oublié de nous interroger sur la partie intériorisée du système, c’est-à-dire sur tout ce qui contribue à faire fonctionner ces structures, causes de tant de dégâts autour de nous » [3].
On croirait lire, 60 ans après, le philosophe italien Gramsci évoquant la nécessité, pour un changement social révolutionnaire, d’effectuer au préalable, une réforme culturelle et morale, sans quoi ce qui a été éradiqué repousse avec plus de force.
2)
Référence : Jacques Ellul, Le système technicien, éd Le Cherche-midi, 2004
La menace médiatique
« Pris dans un flux d’informations instantanées, surabondantes, omniprésentes et
kaléidoscopiques, l’individu se sent au milieu d’un carrousel qui tourne autour de lui et n’y
découvre aucun point fixe, aucune continuité : c’est le premier effet de l’information sur lui.
Même pour les évènements majeurs, il a une peine inouïe à se former une vision juste au
travers et au moyen des mille petites touches, variables de couleur, d’intensité, de
dimensions, que lui apporte le journal. Dès le lendemain surgit un nouveau paquet
d’informations qui exigent une nouvelle mise au point qu’il n’aura pas le temps de faire.
Comme de plus, l’information est presque toujours de l’ordre de l’accident, de la catastrophe
ou de la guerre, il a l’impression de vivre dans un monde incohérent où tout n’est que
menace. »
3)
Un autre commentateur de C. LASCH[...] En effet, nous sommes convaincus que le système actuel a tout intérêt à favoriser la ''production'' en grand nombre de Narcisses. Par leur conformisme et leur cynisme, ces derniers sont, à court terme, les meilleurs garants de l’ordre établi et de la culture de consommation hédoniste.
Laissons le mot de la fin à Ch.Lasch : « [Est-ce] criminel que les citoyens blancs de la classe moyenne se complaisent à examiner leur moi, alors que leurs compatriotes moins chanceux luttent et crèvent de faim [?] Il faut cependant comprendre que ce n'est pas par complaisance mais par désespoir que les gens s'absorbent en eux-mêmes, et que ce désespoir n'est pas l'apanage de la seule classe moyenne. [...] L'effondrement de la vie personnelle ne provient pas de tourments spirituels réservés aux riches, mais de la guerre de tous contre tous, qui a toujours fait rage dans les couches inférieures de la population et qui s'étend à présent au reste de la société [...] [le narcissisme] se révélant essentiellement une défense contre les pulsions agressives plutôt qu'un amour de soi. »
stratégies de défense de Narcisse
« Le désastre qui menace, devenu une préoccupation quotidienne, est si banal et familier que personne ne prête plus guère attention aux moyens de l'éviter. Les gens s'intéressent plutôt à des stratégies de survie, à des mesures destinées à prolonger leur propre existence ou à des programmes qui garantissent bonne santé et paix de l'esprit. »
Né du désespoir, Narcisse va rechercher le soulagement.
L’être humain ne peut, en effet, raisonnablement vivre dans un tel climat d’angoisse et d’insécurité. Inconsciemment, son psychisme va mettre en place toute une série de mécanismes de défense.
1. Se replier sur le présent
L’avenir est menaçant, la mort inévitable ? Nous ne pouvons pas lutter contre les menaces personnelles et collectives qui planent sur nos têtes ?
Autant ne pas y penser et vivre pour soi les instants qui restent. Narcisse se replie sur le présent, concentre son attention sur la journée, la semaine, l’année, les prochaines vacances. Ses projets de vie dépassent rarement la dizaine d’années ou l’espace temporel d’un crédit immobilier.
De la même manière que Narcisse évite de trop souvent penser à l’avenir, son passé l'intéresse peu. D’ailleurs, les seuls moments où il a étudié l'Histoire, ce fut à l’école. Ce n’était guère passionnant : de grandes dates historiques, des leçons à apprendre pour des examens (entre un cours de maths et un cours de biologie), une vision de l’Histoire aplanie et impersonnelle évitant généralement d’aborder réellement de front les destins des individus ''non célèbres'' (c'est-à-dire la majorité de la population -le destin des femmes étant encore plus fréquemment occulté), les plaies sociales encore béantes.* Ce désintérêt pour l’avenir et le passé est caractéristique d’une mentalité de survie. Narcisse va rechercher à combler ses besoins immédiats, afin d'accéder à un soulagement, ici et maintenant.
* Pour la France, citons par exemple : la Commune de Paris (1871), la guerre d’Algérie (1956-1962), l’accident nucléaire de Tchernobyl (1986), le génocide du Rwanda (1994)... autant d'évènements très rarement abordés dans l'enseignement secondaire.
[...]Société inhumaine, travail éreintant, désastres menaçants... Vous connaissez tous cette petite phrase si souvent entendue : ''De toute façon, on ne peut rien faire''… L'attitude de Narcisse reflète « la perte de tout espoir de changer la société, et même de la comprendre ». Il n'a aucune réelle espérance dans l'action étatique ou dans la participation au monde politique. Lorsque Narcisse vote, c'est généralement sans grande conviction ; il ne s'implique dans aucun parti ou syndicat.*
Face au constat d’impuissance, autant se divertir : penser à soi et aux siens, se réconforter par la consommation ...ourquoi Narcisse ne puise-t-il pas dans son insatisfaction et son désespoir l'énergie nécessaire pour construire une autre
politique, d’autres modes de vie, un autre univers social et relationnel ? Pourquoi ne tente-t-il pas de changer ses conditions de travail, de modifier sa vie ?
Ces projets demandent une énergie importante, une prise de risque, des bouleversements de vie, un saut dans l’inconnu. Pourquoi troquer une position inconfortable mais habituelle, presque prévisible, contre un bouleversement de vie incertain, risqué, et donc encore plus angoissant ?
Il apprend à « établir une étrange et paisible relation d’habitude avec la catastrophe sociale qu'il pressent en lui et autour de lui. »
* Notons que paradoxalement, Christopher Lasch nourrissait des espoirs dans cette « apathie des électeurs ». Si elle se basait réellement sur un « scepticisme justifié à l'égard d'un système politique dans lequel le mensonge public est devenu endémique et banal », alors cette « indifférence à la politique pourrait bien signifier un refus grandissant des citoyens de participer à un système politique qui les traite en consommateurs de spectacles préfabriqués. Ce comportement, en d'autres termes, pourrait indiquer non pas un retrait de la chose politique, mais bien plutôt le début d'une révolte politique générale »[...]