Dans Poezibao, hier : Antoine EMAZ aux prises avec la rhétorique lyrique et "l'isolement" de Lamartine.

Publié le par Claire (C.A.-L.)

 

Si la prospérité d'un poème n'a pas grand chose à voir avec la qualité des procédés rhétoriques qui le charpentent, en effet, de Ronsard à Lamartine : la mise à nu rompt le charme ... 

 

                                    Dans POEZIBAO le 22 janvier     

                        [feuilleton] Antoine Emaz, « Planche », 7/20

Antoine Emaz est un poète français né en 1955 à Paris.  Il vit à Angers où il enseigne en lycée. Il est l'auteur d'une œuvre poétique importante et d'études littéraires sur André du Bouchet, Eugène Guillevic et Pierre Reverdy. Depuis mars 2009, il préside la commission « poésie » du Centre national du livre.

                                                                    Il dit : 

[...]"Bossé sur L’isolement * de Lamartine, pour une lecture critique :

mettre à nu la rhétorique romantique du sentiment comme du paysage. 

Vu sous cet angle, le poème devient creux comme un décor de carton-pâte,

à moins que l’élan lyrique ne soulève et n’emporte. 

Ce sont des poèmes sur lesquels il vaut mieux ne pas s’appesantir si l’on veut continuer d’admirer un peu. 

Même effet avec Ronsard et du Bellay, ou bien la poésie baroque ; si l’on prend le parti de suspecter le texte, on ne voit plus que carcasse et cordages. 

   Est-ce si différent maintenant, avec d’autres moyens ? 

Le lyrisme ne vit que dans l’élan ; s’il a pourri avec le temps, ne reste qu’une mécanique que les médecins légistes de la poésie se chargent d’autopsier, démonter comme un mécano. 

Pourtant, un charme peut persister dans certains cas, et on songe au Parfum de Baudelaire : 

ce « vieux flacon qui se souvient, / D’où jaillit toute vive une âme qui revient. »"

 

                                                             ***

                                                         

...  alors,  dans ce cas, précisément  du lyrisme  ( le vrai, le faux, le critique, l'élégiaque ou pas...),  le passage à "la lecture à voix haute" qui peut être "inspirée", est primordial. 

                                                                             [...]

                                                      Le poème en question...

*Souvent sur la montagne, à l’ombre du vieux chêne,

Au coucher du soleil, tristement je m’assieds ;

Je promène au hasard mes regards sur la plaine,

Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

 

Ici, gronde le fleuve aux vagues écumantes ;

Il serpente, et s’enfonce en un lointain obscur ;

Là, le lac immobile étend ses eaux dormantes

Où l’étoile du soir se lève dans l’azur.

 

Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,

Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;

Et le char vaporeux de la reine des ombres

Monte, et blanchit déjà les bords de l’horizon.

 

Cependant, s’élançant de la flèche gothique,

Un son religieux se répand dans les airs :

Le voyageur s’arrête, et la cloche rustique

Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.

 

Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente

N’éprouve devant eux ni charme ni transports ;

Je contemple la terre ainsi qu’une ombre errante :

Le soleil des vivants n’échauffe plus les morts.

 

De colline en colline en vain portant ma vue,

Du sud à l’aquilon, de l’aurore au couchant,

Je parcours tous les points de l’immense étendue,

Et je dis : « Nulle part le bonheur ne m’attend. »

 

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,

Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?

Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,

Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !

 

Que le tour du soleil ou commence ou s’achève,

D’un œil indifférent je le suis dans son cours ;

En un ciel sombre ou pur qu’il se couche ou se lève,

Qu’importe le soleil ? je n’attends rien des jours.

 

Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,

Mes yeux verraient partout le vide et les déserts ;

Je ne désire rien de tout ce qu’il éclaire ;

Je ne demande rien à l’immense univers.

 

Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,

Lieux où le vrai soleil éclaire d’autres cieux,

Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,

Ce que j’ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !

 

Là, je m’enivrerais à la source où j’aspire ;

Là, je retrouverais et l’espoir et l’amour,

Et ce bien idéal que toute âme désire,

Et qui n’a pas de nom au terrestre séjour !

 

Que ne puis-je, porté sur le char de l’Aurore,

Vague objet de mes vœux, m’élancer jusqu’à toi !

Sur la terre d’exil pourquoi resté-je encore ?

Il n’est rien de commun entre la terre et moi.

 

Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,

Le vent du soir s’élève et l’arrache aux vallons ;

Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :

Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !

 

 

                       Alphonse de Lamartine, « Les méditations poétiques ».

 

Publié dans Réaction

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