Dossier TASTU : de la poésie à la prose. Ce qu'en dit un chroniqueur de la Revue des deux Mondes en 1836

Publié le par Claire (C.A.-L.)

 

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                    " C'est un journaliste  critique littéraire qui parle..."

[...] N’eussions-nous point assez fourni d’irrécusables preuves de l’indifférence publique pour la poésie, nous n’en voudrions pas d’autre que le fait même de la publication du nouvel ouvrage de Mme Amable Tastu.

On sait que cette dame s’était acquis une juste célébrité par plusieurs recueils de vers fort distingués. Comme il faut que les temps soient devenus mauvais ! Mme Tastu elle-même n’ose plus revenir à la charge, et se représenter au lecteur des vers à la main.

C’est du roman, ce sont des nouvelles qu’elle lui offre aujourd’hui.

Et voyez quel excès de timidité inspirent au poète les répugnances de l’époque !

Mme Tastu n’appellera même pas par leur nom ses récentes productions !

Elle ne dira pas, tant elle craint qu’on ne la soupçonne de supercherie !

Elle ne dira pas : Ce sont des nouvelles et des romans que je vous apporte ; afin de rassurer tout-à-fait les gens et de leur ôter jusqu’à la moindre appréhension, elle certifie que son livre n’est que de la prose ; elle fait mieux, elle le nomme : Prose.

Prose est en effet le titre des deux nouveaux volumes de Mme Tastu.

N’auront-ils pas été produits un peu au hasard, sans suite, sans but, sans prétention, en des heures de découragement poétique ? Nous le supposerions volontiers d’après leur contenu. Ils se composent d’histoires détachées, tantôt originales, tantôt traduites ou imitées de l’anglais.

Ces divers morceaux sont écrits sagement et d’un style correct. C’est leur qualité principale. Il s’en faut que ceux dont l’auteur avoue l’origine britannique, soient les plus attachans et les meilleurs. Quel mérite particulier leur a pu valoir d’être importés chez nous par Mme Tastu ?

Nous concevons qu’un écrivain résiste difficilement à la tentation d’enrichir sa propre langue d’une œuvre étrangère dont la lecture l’a frappé vivement. Ainsi Mme Tastu était-elle applaudie de tous quand elle traduisait en beaux vers, des fragmens choisis de Shakspeare, de Moore et de Byron ? Mais qu’elle puise maintenant pour sa prose, dans la prose de miss Landon ou d’autres médiocrités anglaises du même rang, voilà ce que nous sommes tentés de ne lui pas pardonner.

On dirait, en vérité, qu’un commerce fréquent avec cette littérature anglaise contemporaine, si impuissante et décolorée, a communiqué à Mme Tastu elle-même l’insignifiance et la pâleur. Plusieurs des compositions soi-disant originales de son recueil portent une sorte de cachet anglais. Ce sont de longs récits inanimés, invraisemblables, du goût de ceux qui encombrent mensuellement les illisibles magazines de Londres. L’auteur aurait-il oublié d’en indiquer la source étrangère ? Nous le voulons croire, afin de n’en point faire peser sur lui la responsabilité. Au nombre de ces morceaux tout-à-fait indignes de Mme Tastu, nous placerons le Bracelet maure, une manière d’histoire fantastique parfaitement inintelligible.

Nous ne nous plaindrions pas de trouver dans Fabien le Rêveur une dose modérée de rêverie ; mais l’interminable succession de songes vulgaires dont l’enchaînement forme cette nouvelle, n’est qu’une fâcheuse série de désappointemens pour le lecteur, qui cherche au bout de tout, en un récit, une apparence d’intérêt, une fable quelconque.

Il y a deux petites pièces plus courtes que nous approuvons davantage. L’une d’elles fournit un détail piquant de la vie de Rouget de l’Isle. Il est curieux de voir l’auteur de la grande chanson révolutionnaire figurer galamment dans une aventure de bal et y jouer un rôle si discret et désintéressé.

Racine ne se montre qu’à peine dans Esther à Saint-Cyr. Les personnages principaux de la nouvelle où figurent un moment les graves visages vieillis de Louis XIV et de Mme de Maintenon, sont un jeune lord anglais et un courtisan français écervelé. Cette petite comédie à double intrigue, amuserait si elle était moins écourtée. Les scènes et les caractères manquent de développement.

 

Tout considéré, ces essais en prose de Mme Tastu sont fort au-dessous de ses vers. La prose lui est doublement dangereuse. Sa poésie avait déjà le tort de tendre au prosaïsme. Au moins le soin du rhythme et de l’harmonie dissimulait souvent ce défaut dans sa versification. Il ne nous est pas démontré que Mme Tastu soit l’une des muses mises à l’index par les préventions du siècle ; en tout cas, pour tirer parti du nouvel instrument qu’elle emploie ; pour donner à sa prose quelque élévation et quelque force, elle fera bien d’appeler à son aide toutes ses ressources et toutes ses inspirations de poète.

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