" Instants poétiques "sur Jerico Anne BLANCHOT - PHILIPPI

Publié le par Claire (C.A.-L.)

 

 

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Remontons  le temps jusqu'aux années 1980 pour rencontrer une poétesse lorraine, aujourd'hui disparue, qui est née à Audun le Tisch : Anne Blanchot Philippi.

  ( autorisations demandées auprès des Editions Serpenoise qui font suivre )

Celle dont Marguerite Puhl Demange autre grande lorraine très sensible à la poésie a dit :

"Anne Blanchot-Philippi de son regard bleu lumineux sut voir et célébrer la beauté présente en ces terres de Lorraine dont elle était proche par la naissance et par le cœur...(elle avait ) une prédilection pour les humbles choses de la vie qu'elle savait transfigurer et métamorphoser avec tendresse... " Rouge, dira-t-elle, la terre d'Audun le Tisch l'était réellement, dans le jardin, partout. J'ai vécu ma jeunesse au rythme omniprésent des coulées et des sirènes... La nature de ma sensibilité me portait à réagir dans le sens de l'émerveillement, devant la magie des embrasements continuels, devant le contraste entre la délicate flore des sous-bois et le paysage des chevalements et des hauts-fourneaux."

Anne Blanchot Philippi qui a été professeur d'anglais à Metz, au CES de QUEULEU en particulier,  est l'auteur de plusieurs recueils de poèmes, de contes pour le temps de Noël dont 2 sont publiés aux Editions Serpenoise.

 

-Si vous souhaitez des références sur les auteurs ou les poèmes dont il sera question dans l'émission "Instants Poétiques", diffusée sur Radio Jerico au cours de l'été,  prenez contact avec moi par l'intermédiaire du standard de Jerico et je vous les ferai parvenir le plus rapidement possible.

La poésie transfigure métamorphose, change notre rapport aux choses, aux êtres, aux valeurs.

Et ce sont ces quelques vers d'Edmond Rostand qui me reviennent en mémoire. Ils s'adressent au soleil, au soleil de la poésie :

 

"Tu prends un arbre obscur et tu l'apothéoses

O soleil ! toi sans qui les choses

Ne seraient que ce qu'elles sont !"

 

Je parlais de lien ... le lieu qui interroge le mieux le lien, la relation, le contact, entre deux réalités, n'est-ce pas la frontière ?

 

Voici un poème d'Anne Blanchot Philippi qui évoque de gracieuse façon, nuancée, interrogative et profondément poétique une problématique que les Lorrains et tous ceux qui habitent des régions un peu à la marge de la communauté nationale comprennent de l'intérieur.

On peut ressentir l'attachement de l'auteure à la nature, une nature quotidienne et tendre.

 

F RONT I È RE ? 

 

Si ma frontière était de Peau, 

Je comprendrais le mot, peut-être, 

Mais ma frontière entre les hêtres, 

Frontière entre les nids d'oiseau ! 

Frontière entre les aubépines, 

Ent re deux brins de joli-bois, 

Qui chemine entre toi et moi 

Sur le versant de la colline. 

Frontière qui fend les étangs, 

Qui bouge quand le sentier bouge 

En déchirant la terre rouge, 

Qui court la nuit entre les champs. 

Frontière qui dort sous la neige 

Et dans la mousse au fond du pr é, 

Dessous  l 'humus doux et feutré 

Des feuilles qui se désagrègent. 

Pas même un chemin de fourmis, 

Frontière invisible et muette 

Dans les brisures de minette, 

Sous la rosée des matins gris. Frontière sous les herbes tendres, 

Ni barrière, ni barbelés, 

Frontière en terre sous les blés 

et les bl eue t s . .. Allez comprendre ! 

 

Dans un autre poème, une joyeuse ronde, elle va convoquer, inviter, réhabiliter, en quelque sorte tous ces petits villages en “ange” dont la prononciation, par des gens d'ici, fait parfois l'objet de quolibets.

 

Russange, Ot t ange, Hayange, Algrange,

Rédange, Havange et Volmerange,

Venez, q u ' on vous aligne un p e u . ..

Venez, je vous prends dans mon j e u.

P o ur mon plaisir je vous prononc e,

Comme a tout cœur je vous annonc e.

Florange, Aumetz, Au d u n, Fontoy,

Humbles villages de chez moi,

Venez, ce soir, que je vous cite !

Dans ma chanson je vous invite.

Vos noms ne sont pas moins jolis

Que noms d'Espagne ou du Midi.

Cités du bout de la Lorraine,

Ne vous croyez pas si vilaines !

Terres en marge du p a y s.

Jetez votre manteau de nuit,

Montrez vos robes printanières

Brodées d'iris et de fougères.

Venez et donnez-vous la main,

Entrez ce soir dans mon refrain,

Ne faites plus tapisserie,

Venez danser en poésie !


 

Vous l'entendez, Anne  Blanchot avait un goût prononcé pour les noms, les noms propres de villes, de lieux qu'elle fait sonner, résonner et auxquels elle donne une consistance charnelle, des couleurs qu'elle associe à la manière d'un peintre...


 

I M A G I N E Z . ..

Imaginez sur cette toile

Un gris d'usine aux mille étoiles,

Imaginez, quand rien ne luit,

Le gris des neiges de Longwy,

Imaginez le gris gothique

De toul et Metz, la romant ique,

Imaginez le vert-satin

Du hêtre pâle entre les pins,

Les verts soyeux des bords de Meuse,

Imaginez des verts de Greuze

Dans les sous-bois de Commercy,

Verts de nos prés à pissenlit

Et vert mouvant de nos vieux saules,

Violets des quetsches que l 'on gaule

Et roses des rochers de grès,

De la bruyère des forêts,

L ' or de Nancy et de ses grilles,

Des mirabelles, des jonquilles,

Les bruns cirés des vaisseliers

En bois de chêne, bois fruitiers,

Imaginez le chardon mauve,

Dabo sur fond d ' a u t omne fauve,

Imaginez les lilas clairs

Dans les j a rdins d'Abreschviller,

Le bleu du ciel que l 'on espère,

Le bleu pervenche qui prospère

Dessus les tombes de l 'oubli,

Bleu de mésange au bord du nid,

Imaginez les noirs de suie

De Merlebach dessous la pluie,

Le noir que veine la sueur

Sur le visage du mineur,

Imaginez le blanc des mouettes,

Blanc des vapeurs que le vent fouette,

Blanc de la Schlucht en février

Et du printemps des cerisiers,

Imaginez l ' amour en cage,

Le rouge ardent des baies sauvages,

Les rouges de la terre à fer,

Des fontes en ruisseaux d'enfer,

Imaginez les couleurs d ' ambre

De nos soleils de fin septembre,

Imaginez, un temps encor,

Les teintes de l'étang qui d o r t,

Les tons cendrés du crassier-dune,

Imaginez les blondeurs brune s,

Les yeux aux reflets infinis

De ce pays cent fois conquis .

Et vous aurez à peine, à peine,

Une vision de ma Lorraine.

 

En même temps nous percevons dans certaines alliances de mots contradictoires, ce que l'a poétesse laisse poindre de manière allusive, des réalités cruelles, la souffrance collective et plus personnelle de ces “ ruisseaux d'enfer”, “de l'amour en cage” de “ce pays mille fois conquis”.

 

Nous allons terminer sur un dernier poème où Anne Blanchot nous avoue son obsession pour l'écriture poétique. On l'imagine très bien impatiente, se précipitant avec son crayon sur les espaces vierges qu'elle découvre entre les mots des autres ou sur une page “levrette” image finale très originale.

 

LES P A P I E RS

 

Pourquoi vouloir m'offrir des fleurs ?

Les feuilles ont fait mon bonheur

Depuis toujour s, les feuilles-pages

Plus que les feuilles de feuillage,

Les papiers neufs et papiers gris,

Les beaux espaces non-écrits,

Tous, ils m' a t t i r e n t, tous m'invitent,

L'envers des cartes de visite,

Les marges, les feuillets vol ant s . ..

J'efface mes dessins d' enf ant,

Griffonne entre les pa r agr aphe s,

Sur la cocotte en calligraphe.

J'écris sur le j o u r n al du j o ur

Et sur tes lettres, mon amour !

La peur de n' avoir point de page,

De ne pouvoir le mettre en cage

Ni dans ma main le retenir,

Ce mot ailé qui va venir !

Comme les sœurs Bront ë, naguère,

Mendiant des carnets d'écolière,

Comme l'enfant mendiant de l'eau

Sous le soleil de Santiago,

Je me verrais très bien, moi-même,

Aller quémander en Carême

Un petit coin de parchemin

P o ur y noter quelque q u a t r a i n . ..

La page est douce confidente,

Elle est docile, tolérante,

Prête à vous écouter toujours,

Elle est ma plage de velours,

Levrette blanche dont l'échine

Supporte mes encres de Chine

Quand, à l'endroit comme à rebours,

Je la caresse de discours”.

 

 

Publié dans Activités diverses

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