Un lien avec un article très intéressant de Jean-François Wagniart, publié dans ''Cahiers d'Histoire'', sur le site journals.openedition.org, intitulé '' Le poète et l'anarchiste : du côté de la pauvreté errante à la fin du XIXe siècle''; un extrait ''Anarchisme et littérature : l’expérience du trimard'' Lien 2 you tube Laurent Lévy pour Greame Allwright , le trimardeur
Le poète et l'anarchiste : du côté de la pauvreté errante à la fin ...
Sous la IIIe République, la marginalité se construit à travers le paradigme du mauvais pauvre incarné par la pauvreté errante : la plaie sociale où se rejoignent les ombres de la délinquance...
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YouTube Laurent Lévy 27,8K vues 27 mai 2018
L'article de Jean-François Wagniart, en plus de pouvoir être lu les yeux et les oreilles directement ''connecté·e·s'' aux affrontements politiques d'aujourd'hui,
apporte un éclairage socio-historique indispensable à mon approche littéraire et intuitive pas toujours assez synthétique ni ''généraliste''( je manque de ''vraie''culture contemporaine précisément socio-historique'') ..., au texte de Sophus Claussen intitulé ''Une nuit avec Paul Verlaine'' qui n'en finit pas de me questionner, que je continue à explorer et dont voici un court extrait :
''(...) mais, pourtant, au milieu de cette tristesse, dans l’obscurité et la pauvreté de laquelle [Verlaine] se plonge par amour de l’intime recueillement, son cœur guette toujours l’occasion d’éclater de rire, d’un rire frais et sonnant clair, heureux comme celui d’un enfant et étincelant comme l’espoir, comme un éclat retrouvé de l'idéal. - Nous nous sommes retrouvés, reprend-il en souriant. Et nous voici en train de déambuler ensemble comme trois assassins ! - Trois anarchistes, interrompt mon compatriote en plaisantant. Au mot « anarchistes » les sourcils de Verlaine se froncent un peu. - Oui, mais nous sommes des anarchistes spirituels.C’est là la plus ancienne, la véritable anarchie. L’autre anarchie, la politique, qui est à la mode actuellement dans la jeune littérature parisienne, n’est que pure folie…''
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1. Extrait de l'introduction du texte ''Le poète et l’anarchiste : du côté de la pauvreté errante à la fin du XIXe siècle'' de Jean-François Wagniart,
'' La fin du XIXe siècle lance un regard cruel sur ses pauvres, surtout quand ceux-ci sont marginalisés. Ces « mauvais pauvres » accusés de tous les vices et de toutes les tares trouvent chez les anarchistes et dans les marges littéraires leurs plus fidèles soutiens. Ces derniers ne se contentent pas de dénoncer les injustices sociales, ils prennent position pour le rétablissement des pauvres dans leurs droits et se veulent les porte-parole des sans-voix. En cela ils rompent non seulement avec la pensée bourgeoise qui méprise ceux qui refusent la morale du travail mais aussi avec toute une gauche qui, sous des habits humanistes, a adopté les mêmes critères d’exclusion.''
2. Partie entière sur ''l’expérience du trimard''
Pour les anarchistes, la situation d’errance n’est pas déconsidérée, au contraire elle apparaît même nécessaire et devient un genre de vie à la fois subversif et constructif.
C’est sans doute pour cette raison que l’expérience du trimard est communément appréciée par les marges littéraires d’avant 1914 et les anarchistes. Comme le note A. Pessin :
« Le trimard définit un type d’homme, en l’occurrence du type d’anarchiste complet. La vie au grand air, la liberté de diriger ses pas où bon lui semble, ce qui signifie aussi la rupture avec l’assignation sociale, à une fonction et une existence prédéterminées, l’égarement dans le monde et la société sont des attraits non négligeables ».
« Le sédentarisme, voilà l’ennemi » écrit Basalmo dans Le Libertaire du 16-23 juin 1907. Le nomadisme devient alors stratégie révolutionnaire.
Le vagabond révolté suscite l’engouement de la littérature libertaire.
Certains espèrent dans une révolte des misérables et voient dans le vagabond un nouveau prophète de la Révolution. Guillaume, le personnage de Similitudes (1895) de Retté, est l’archétype du héros anarchiste, trimardeur et poète, qui pousse les paysans au soulèvement et dénonce les socialistes avides de pouvoir.
Arrêté, il est confié à un médecin aliéniste avant d’être assassiné.
Les notables sont rassurés car les forces de l’ordre préparent une déportation massive des ouvriers sans-travail, sans aveu et sans papier.
Dans le roman Le trimardeur (1894),
George Bonnamour exprime cette rencontre entre l’écriture naturaliste et l’idée libertaire. Le miséreux Jean Fau erre avant de rejoindre les milieux anarchistes et de devenir terroriste.
C’est « un savant à sa manière, il réalise la science pragmatique de l’anarchie, science de la solidarité humaine, de l’entraide et de la fraternité, qu’en esquissant entre libertaires, il souhaite propager au monde entier ». (...)
Mécislas Golberg, principal rédacteur du Trimard, définit ceux qu’ils souhaitent combattre : « Nous nous opposons contre tous ceux, qui sous la forme générale de résolution du conflit entre le travail et le capital, veulent la réalisation d’une forme économique vécue, représentée par la population autoritaire et rétrograde du prolétariat professionnel, syndiqué et organisé par le métier, au prix de l’esclavage du prolétariat libertaire et sans profession, attaché à la production machiniste, et créeront ainsi une forme nouvelle de l’exploitation du travail fécond par le travail pauvre » (« Nous », Sur le Trimard, n°1 juillet 1895, repris dans le n°1 du Trimard de mars 1897).
Pour lui, le gueux est l’avenir et l’avant-garde de la classe ouvrière, avec face à lui deux ennemis redoutables : la bourgeoisie et le prolétariat professionnel organisé dans le socialisme collectiviste et dans le syndicalisme.
Il s’oppose ainsi à la conception socialiste qui privilégie le prolétariat comme moteur de l’histoire au détriment du sous-prolétariat « renégat », aux syndicalistes « bourreaux de vos frères les sans-travail » et à leur morale du travail. « L’ennemi du gueux est le socialiste, cet aristocrate du prolétariat » écrit Goldberg dans Le Trimard (15 mai 1897).
24Le Trimard se méfie particulièrement de tous les palliatifs (organisations politiques, syndicales ou coopératives, œuvres d’assistance, lois sociales) qui peuvent arrêter ou « retarder l’heure des destructions nécessaires », d’où son opposition à la journée de huit heures : « Vos huit heures sont les aboutissants du capitalisme machiniste, comme le sont la prostitution, la justice et le suicide » (Le Trimard, n°6, « les Huit », 15 mai 1897).
« Ils ont droit à tout » et ils réclament « la main mise sur la valeur créée par le chômage » (Le Trimard, n°4, février 1898) estimant que le capitalisme crée volontairement, à cette étape de son développement, une multiplication des sans-travail et des travailleurs intermittents.
Non seulement la démarche est anti-étatique et anti-socialiste, mais elle est aussi unificatrice en appelant « les trimardeurs de toute forme » à se rassembler.
L’idéologie du Trimard, définie par Golberg, se distingue donc de la pensée anarchiste proudhonienne et surtout du syndicalisme révolutionnaire, auquel elle reproche de s’intéresser trop au prolétariat traditionnel au détriment des sans-travail. En cherchant à faire partir les revendications politiques de cette « masse noire, la masse des sans-travail et des affamés » (E. Girault, « Les sans-travail », Le Libertaire, 3-9 juin 1897), il reste proche de certains anarchistes, comme ceux du Libertaire, avec qui il partage une position anti-syndicale et « pro-marginaliste », dans la tradition de Bakounine qui fait du lumpenproletariat « la fleur du prolétariat » portant « tous les germes du socialisme de l’avenir. » Pourtant, il se sépare également de ce groupe par son refus d’idéaliser les gueux, trop résignés et fatalistes pour émettre une quelconque revendication, et par sa vision progressiste du capitalisme comme accélérateur de l’histoire.
L’expérience du Trimard est à la fois modeste et politiquement très minoritaire, mais elle révèle l’esprit de résistance face au consensus d’exclusion de l’époque.
Si le destin du trimardeur est pour un temps scellé en tant que représentant d’un groupe condamné à disparaître sous les coups du salariat, il incarne cette misère avide de changement et l’homme révolutionnaire appelé à se multiplier, comme le constate le gardien Jacques Errant, le héros de Mirbeau dans La vache tachetée.
Il symbolise à lui seul toute une humanité pour laquelle l’écrivain libertaire éprouve un attachement vital et désespéré.