Amable Tastu sur l'oeuvre de Miss Landon , LEL, dite " L'improvisatrice", poète anglaise (1802-1838)
"Le thème de l'Improvisatrice est celui de la peinture d'une destinée de femme et de poète brisée dans cette lutte qui s'établit entre sa vocation et sa destination , sujet qui, depuis que Sapho en a fourni le type réel, a tenté plus ou moins toutes les femmes auteurs." Amable Tastu
Amable Tastu a traduit en français "La chronique d'un amour" de cette jeune femme, LEL, émule de Thomas Moore
Ceci nous ramène à miss Landon [...]. Dans la préface d'un de ses volumes de poésie , elle se plaint spirituellement de cette manie de rechercher la vie d'un auteur dans ses ouvrages, et de rejeter sur sa personne le.blâme que pourraient mériter ses idées.
J'espère ne point encourir de sa part un pareil reproche, étant d'avis que , si miss Landon est jeune, aimable, honorable et honorée , ce sont choses dont il faut féliciter ses amis, sa famille et surtout elle-même , mais dont le lecteur n'a pas droit de s'enquérir.
Je me bornerai à analyser de mon mieux le caractère de son talent.
Miss Landon, à en juger par la fréquence de ses publications, doit écrire avec une prodigieuse facilité. En moins de six années , elle a fait paraître quatre volumes , chacun de quatre à cinq mille vers. Les deux premiers , l'Improvisatrice et le Troubadour, sont des poèmes d'une étendue considérable, suivis tous deux de poésies détachées.
Le troisième, la Violette d'or, est un cadre qui permet au poète de déployer toute la variété de son talent : c'est le concours des bardes, des ménestrels, des troubadours de toutes les contrées se disputant la violette d'Isaure aux jeux floraux; c'est, l'auteur du moins le laisse entendre , c'est la ballade du chevalier anglais qui remporte le prix;
Le quatrième volume de miss Landon contient plusieurs petits poèmes: Le Bracelet vénitien, récit emprunté à cette Italie, vers laquelle s'élance souvent l'imagination du poète; la Pléiade perdue, qui a aussi inspiré une autre femme célèbre de l'Angleterre , madame Hemans ; une Histoire de lyre, c'est-à-dire l'histoire d'une âme poétique, je n'ai pas besoin d'ajouter féminine. Si l'on joint à ces différentes productions le grand nombre de pièces dont miss Landon enrichit les divers Annuaires ou recueils littéraires , les illustrations poétiques faites pour des suites de gravures, tel les que le Fisher's drawingroom sketch book; enfin un roman en prose et en trois volumes, Romance and reality, récemment publié, on conviendra que je n'ai rien dit de trop, en parlant de la fécondité et de la souplesse de son talent.
Il n'est pas de poète, surtout pas de jeune poète, qui n'ait foi, comme miss Landon , à la haute et excellente influence de la poésie, et, comme elle, ne la croie appelée à remplir une mission: celle que lui attribue miss Landon , c'est de lutter contre l'égoïsme et la sécheresse de cœur, résultat de cette civilisation raffinée qui durcit tout ce qu'elle polit.
Elle pense qu'en éveillant nos sympathies pour des chagrins auxquels les sentiments désintéressés peuvent seuls avoir part, nous en deviendrons moins positifs, moins personnels : Dieu veuille qu'elle ait dit vrai !
Ainsi s'explique la mélancolie qui domine la poésie de miss Landon , et son penchant à retracer de préférence « la tristesse, le « désappointement, la feuille qui tombe, la fleur flétrie, le cœur « brisé et le tombeau précoce ».
Les femmes , a dit un spirituel critique , ne connaissent que les détails, et ne brillent que par la manière plus ou moins heureuse de les rendre.
Les ouvrages de miss Landon pourraient offrir une nouvelle preuve de la vérité de cette assertion, que j'accepte comme un fait et non comme un tort: ils abondent en beautés de détails, et me paraissent supérieurs de ce côté; or, l'essentiel dans les œuvres d'art n'est pas que la supériorité tienne à telle ou telle partie, mais qu'elle existe quelque part. [...]Le thème de l'Improvisatrice est celui de la peinture d'une destinée de femme et de poète brisée dans cette lutte qui s'établit entre sa vocation et sa destination , sujet qui, depuis que Sapho en a fourni le type réel, a tenté plus ou moins toutes les femmes auteurs. [...]
En général, les qualités qui me paraissent distinguer miss Landon sont une vive et profonde sensibilité; des expressions qui vont à l'âme, parce qu'elles en viennent; le talent de peindre ce qu'elle décrit ; un luxe d'images, un peu surchargées quelquefois de cette profusion de rayons de soleil, de gouttes de rosée, de pierres précieuses, de rubis,d'émeraudes, dont Th. Moore a enrichi la poésie anglaise, mais plus souvent encore pleines de nouveauté, de fraîcheur et de vie.
Les affections de cœur ou de famille, le sentiment passionné de la gloire et de tous les genres de gloire, la gamme tout entière des émotions qui peuvent vibrer dans une âme artiste, agiter une vie littéraire, le vide de la louange et du succès, l'amer désappointement que fait éprouver à un cœur aimant la stérile bienveillance dont le monde paie ceux qui l'amusent; l'amour enfin, l'amour pur,dévoué, fidèle, mais malheureux,payé d'indifférence, brisé par l'inconstance ou détruit par la mort, tels sont les sujets, les sentiments, les images qui se reproduisent le plus souvent et avec le plus de bonheur sous la plume de la jeune poète.
Je ne puis traduire ou analyser toutes ses compositions ; cependant je voudrais initier le lecteur à cette puissance de femme faite de douceur et de tristesse, et qui pourtant est loin de manquer d'énergie.[...]
LEL Laetitia Elizabeth Landon est une poète anglaise née en 1802 à Chelsea. Après une vie mouvementée sentimentalement où elle publie poèmes et romans qui connaissent un certain succès dans le genre sentimental. En 1838, elle est retrouvée morte une bouteille d'acide prussique à la main. Son oeuvre est redécouverte dans les années 1970 où les critiques commencent à comprendre qu'il faut se garder des jugements hâtifs sur son écriture qui est à lire à plusieurs niveaux de sens.