Relais - Poésie - Maison de Verlaine, à Metz, samedi 8 octobre, de 18 h à 20 ''Les poètes marchent sur la tête... Jean Tardieu et la poésie des mots à l'envers.'' 2 liens : 1) epistemocritique.org pour un article d' Anouck Cape '' De Tardieu à Lordat : palimpsestes de la paraphasie''; 2) persee.fr article de J.Pierre Denis ''Glossolalie, langue universelle, poésie sonore''
Petit topo préambulaire à remanier
À la découverte non exhaustive, sans prétention, par diverses lectures*, de l’univers de Jean Tardieu, auteur du XXème siècle (1903-1995). Il écrit 37 pièces de théâtre des poèmes, des essais…, en expérimentateur du langage, "démonstrateur"inventif, de la cassure à divers niveaux entre le sens et la forme.
*Textes puisés entre autres dans le Professeur Froeppel : (Théâtre) : "Un mot pour un autre"; extraits du "dictionnaire des mots sauvages"; (Poèmes) : extraits de Monsieur, Monsieur
Quelques très courts mots de "contexte" qui pourraient éventuellement éclairer certains aspects de son oeuvre. La parole poétique ou théâtrale ayant toujours, même la plus personnelle ses antennes grandes ouvertes ( et réciproquement...) sur ce qui l'entoure.
Jean Tardieu est né dans une famille aisée d'artistes : un père peintre, une mère professeur de harpe. Il a donc toujours vécu dans le monde des "formes" musicales et picturales, des esquisses, des essais, des répétitions laborieuses qui se transforment "magiquement" le jour de la représentation...
Il fait ses études au lycée Condorcet et en 1920-1921 et alors qu’il est en classe de terminale, il connaît un bref épisode d'a-somato-gnosie, un trouble qui fait qu’il n’a plus connaissance de son corps, il ne se sent plus marcher, alors qu’il marche, prendre un objet, alors qu’il se voit le faire (dissociation). Il sortira de cette crise attiré par les interrogations métaphysiques et existentielles, par la part d’ombre et d'inquiétude de chacun qu’il dissimule sous l'humour. Il écrit alors des textes d'un lyrisme contenu et distancié qui a déjà à voir avec le "grotesque" dans le sens de redoublement, hybridité, métamorphose...
Son monde est marqué aussi, en particulier, par la deuxième guerre mondiale qui ouvre, par le chaos qu'elle provoque, sa propre angoisse au "monde entier". Il écrit des poèmes engagés résistants, mais c'est là qu'il fait aussi entrer le jeu et la parodie "humoreuse". Sans oublier la psychanalyse, et les découvertes scientifiques.
L’intitulé de la rencontre annonce « Les mots à l’envers »
L’envers des mots
Le langage ne peut, à lui seul, dire le réel.
Parce que les mots du langage, convenus, figés sociaux, mortifères, laissent apparaître une béance qui révèle, dévoile un autre monde, le monde de l’autre côté, intérieur, personnel, dans une « langue-moi », qui ne déguise pas sa pensée, (comme la langue inventée par le Professeur Froeppel, double de Tardieu), langue propre à chacun et qui peut paraitre déroutante, angoissante, tant elle pourrait aller loin, sans correspondance entre les mots et « les choses » cf Lien glossolalie.
Mais, l'un ne va pas sans l’autre, Jean Tardieu a l’intuition que « la vérité » a un envers et un endroit et que les deux doivent fusionner. Dans sa langue à lui, Tardieu ne met pas en cause la société, mais offre grâce à la parodie, en particulier dans son théâtre des instants, « trouées » carnavalesques, transgressifs, inversés, où le fou prend le pas sur le sage, « des espaces d’angoisse et de jubilation ». Jean Tardieu va se « demander sans fin comment on peut écrire quelque chose qui ait un sens ». Parce que "Nous donnons des noms qui ne veulent rien dire à des choses dont on ne peut rien dire (...)". Pour cela il va expérimenter les capacités du langage. Son écriture est comme un grand laboratoire, où le travail est toujours inachevé.
Un peu de contexte de "l'histoire littéraire"
Tout comme ses contemporains, Samuel Beckett, Eugène Ionesco, dadaïstes, surréalistes, ou Raymond Queneau, Francis Ponge etc. membres de l’Oulipo, il cherche des voies nouvelles pour écrire et renouvelle, lui aussi, le répertoire.
Il va dans ses textes tenter des expériences formelles et métaphysiques, à propos du langage poétique et de sa relation avec le langage de tous les jours. IL cherche à renommer le monde, le réel vécu, à faire coïncider les mots et ce réel, à défiger la relation entre le mot et la chose. Il questionne les conventions de genre au niveau de la poésie.
Par exemple dans le premier texte théâtral que vous allez entendre, il va s’attaquer à la comédie de boulevard, genre désuet, figé, attendu, en plaçant au premier plan le langage.
Pour ce faire, il introduit la science dans le genre théâtral du boulevard en utilisant certaines caractéristiques des troubles du langage étudiés à la fin du XIXe siècle par un psychiatre, le Professeur Kussmaul, qui met en lumière le phénomène de la paraphasie « l’état dans lequel la parole n’est pas perdue mais où à la place du mot propre un autre est prononcé », (…), donnant à « la pensée de celui qui parle, une expression erronée et incompréhensible. »
Les personnages de la pièce sont caricaturaux, ils n’ont rien à se dire, et rien à dire aux spectateurs, qui savent ce qui va se passer qui au mieux viennent pour la prestation des acteurs ; ils sont attachés à des rôles usés jusqu’à la corde. Il va les transformer en « patients », leur mettre dans la bouche des mots qui ne sont plus que des signes angoissants, qui n’ont plus de sens pour eux-mêmes, détachés de toute référence au réel, qui rendent transparents voire grotesques ceux qui les prononcent. Mais ces mots, dont le sens passe malgré tout encore, qui sont « délivrés de la nécessité de signifier se mettent alors à rimer, à entrer en contact à se percuter, au-delà de ce qui est attendu, et à s’énoncer telles des notes, joyeuses, triviales, incongrues. La conversation la plus banale, convenue devient alors inventive et excitante.
L’espace immobile et fermé du drame petit bourgeois s’anime d’un comique nouveau qui remet en quelque sorte les choses à l’endroit et fait cohabiter sur la terre, dans le réel des lecteurs ou spectateurs, l’ancien et le nouveau.
Tous ses écrits sont des expériences de cette équivalence, entre le mot et la chose, le réel et « le dire » par l'exploration méthodique des possibilités ouvertes dans toutes les formes. Son œuvre est d’ailleurs souvent attirée par les dictionnaires qui expliquent et relient dans un langage « social », normé, des convenances, des mots issus de la langue parlée, celle des émotions.
Depuis le début des années vingt, les troubles du langage ont offert un matériau particulièrement séduisant aux poètes d’avant-garde soucieux renouveler la langue, qu’aucune expérience n’effraie. Troubles de la syntaxe, du vocabulaire, néologismes et glossolalies