Récit "Pas de concession"

Publié le par Claire ANTOINE

Le matin se levait sur le petit village. Gisèle se retourna dans son lit. Elle ne s'était pas endormie avant trois heures du matin, malgré les pilules du Docteur Michon. Ses os lui faisaient mal. Depuis son opération de la thyroïde la vie lui était plus dure. Elle avait même songé à se suicider. Mais comme elle avait peur de souffrir elle n'avait pas donné suite.. L'idée de se rater lui était insupportable.

Pour midi, ils auraient des invités, Richard et sa famille. Cinq personnes en tout. Riri était le fils unique de Paul, mort à Riverbois, à l'hôpital d'une mystérieuse pneumonie, pneumopathie aggravée..., à ce qu'on disait. Ils avaient pensé, son mari et elle à les inviter  le jour de l'enterrement, quand ils l'avaient vu si triste, sa femme aussi.  Jeannot, s'était demandé, pendant le trajet du retour, ce que son frère avait bien pu laisser en héritage à son fils. En dehors de son tiercé il ne s'intéressait à rien depuis longtemps.
Elle se leva péniblement. le repas la préoccupait. Qu'est-ce qu'ils aimaient ? Les frites sûrement, et les steaks. Mais elle n'en ferait pas. Non, trois fois non.Après tout va sentir l'huile. Il y aura des projections partout Même sur les rideaux. Gisèle ouvrit la porte pour aérer la pièce par avance impure, déjà contaminée. Mon Dieu ! J'espère qu'ils ne fument pas.Une forte pluie froide avait détrempé le jardin. Il fallait préparer les patins. Pourvu que j'en aie en nombre suffisant.

On était à la mi-juillet et le thermomètre extérieur marquait 6 degrés.

Mes médicaments, si je les oublie, je suis bonne pour un malaise...et Jeannot pourra dire que je fais du cinéma. J'aime bien inviter, mais là, je prévois des ennuis. Richard a téléphoné pour la tombe, c'est ce qui le préoccupe. Il en a parlé en dernier, après les remerciements, les informations sur le temps et sur la santé. " Ça va bien ? Il fait froid pour un mois d'été... Y voudrait y être enterré - il est encore jeune, mais il a raison d'y penser, ça peut prendre n'importe quand, il n'y a pas d'âge pour décéder -, donc enterré avec son père, à Aulnois. Mais il n'y a plus de  place...

- Gisèle !
- Crie pas comme ça, Jeannot. J'arrive.

Il est réveillé, enfin. On peut dire qu'il se laisse aller, ces derniers temps. Avant son opération à coeur ouvert il travaillait davantage. Il menait une retraite active, comme on dit. Les terres, les vaches, les moutons, ça occupe Jamais de vacances, pour moi non plus, du reste. Alors, voyons deux sucres, du saucisson, du pain...il est un peu sec...la baguette ne vaut pas le gros pain... il ne restait plus que ça... un bon grand bol de décaféiné...

- Gisèle, n'oublie pas que Richard vient nous voir.
- Je sais, je sais. C'est bien une idée à toi, d'ailleurs. Comme si on n'avait pas assez avec nos jeunes à nous. Ton bon coeur te perdra et moi avec.

Ensuite, après avoir prévu le menu, ( crudités, tourte, lapin chasseur et pommes de terre du jardin ), elle alla donner à manger aux animaux. Elle eut la larme à l'oeil en pensant à Barberine, la vache qu'elle avait élevée au biberon et qu'on avait retrouvée morte, comme ça, un matin, près de l'entrée, un filet de sang coulant des naseaux. Elle en avait pleuré toute la journée, malgré la présence de ses enfants et de Jeannot. Lui, il avait crié, pour cacher sa peine, sans doute...Il disait que c'était sa faute à elle, qu'elle n'était pas capable non plus de s'occuper des vaches. Si elle était moins croyante, il y a des jours où elle le quitterait. Mais où aller ? Elle ne recevait tous les trois mois qu'une toute petite pension. Ses enfants ne l'accueilleraient pas. Ils avaient leurs problèmes, des enfants en bas âge et des professions prenantes.

Son mari s'était levé. Il l'embrassa sur la joue. " Bon. On ne fait rien, tu m'entends, on ne donne rien à personne. D'accord ? Je me demande bien ce qu'ils nous veulent. Pourquoi ont-ils accepté l'invitation ? Mystère et boule de gomme. On verra bien. Ils doivent avoir une idée derrière la tête. Pour la tombe, c'est sûr. Tu réponds comme moi, ma Gisèle, hein ? J'ai un début de migraine. Si tôt, ça va dégénérer, je le sens.. La femme est prétentieuse. Tu as vu comme elle pleurait. Pour moi, elle est une sacrée hypocrite. Ils ont quand même laissé ce pauvre vieux Paul tout seul. Il ne venait, lui,  qu'une fois par semaine, les enfants une fois l'an pour les étrennes, les sous. Et elle je ne sais pas trop, pas souvent, dans tous les cas. Des vautours, tu vois ma bonne Gisèle . Un vieux, malade, on le prend chez soi...
- Comme tu as fait pour ta mère. Pourtant ce n'était pas une sainte. A la fin elle ne se retenait plus.
- Oui, elle est morte assez vite. Paix à son âme. Dis, tu crois que Richard, c'est son vrai fils, à Paul ? Il avait aussi une fille à ce qu'il paraît, c'est Guiguite qui me l'a dit.  Gisèle, répond, nom de Dieu ! Tu n'entends plus le téléphone. Qui c'est donc ? Comment ça, ils ne viennent pas...Les moins que rien ! On prépare tout et ils se décommandent. Il n'y aura pas de prochaine fois, moi je te le dis.

- C'est aussi bien comme ça, tu ne crois pas ? Ils auraient mis le bazar partout. J'aime pas les fouineurs. T'as qu'à lui écrire que c'est pas possible pour la tombe et puis c'est tout. je ne les sentais pas, je te l'ai dit encore hier.

Il y a un petit soleil, maintenant. Mets une veste, Jeannot, il fait encore froid.  Qu'est-ce que tu dis ? Parle plus fort. Hein ?  Des profiteurs, ça oui. Il est temps qu'ils mettent  la main au porte-monnaie. C'est pas si cher quand même une concession, vu qu'ils travaillent tous les deux...Oui, je t'appelle à midi.


 

Publié dans Récit

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