Néron et sa relation à Rome : un esthète, pour Suétone, dans ''La Vie des Douze Césars'' , seulement un monstre, pour Tacite, dans ''Les Annales''. 4 liens : 1) Bibliotheca Classica Selecta; 2) evandre.info ( site excellentissime) lecture cursive - traduction juxtalinéaire ; 3) odysseum.eduscol.education.fr ; 4) lhistoire.fr, Jean-Michel Croisille, mensuel 234, juillet-août 1999

Publié le par Claire Antoine

Source https://popular-archaeology.com/article/when-rome-burned/- En 64, Rome est ravagée par un terrible incendie. La scène de Néron chantant la chute de Troie jouant de la harpe sur le Quirinal est rapportée comme une légende populaire, mais comme une réalité, ajoutant les détails de son déroulement et le fait que l'empereur aurait revêtu ses propres habits de scène.

Source https://popular-archaeology.com/article/when-rome-burned/- En 64, Rome est ravagée par un terrible incendie. La scène de Néron chantant la chute de Troie jouant de la harpe sur le Quirinal est rapportée comme une légende populaire, mais comme une réalité, ajoutant les détails de son déroulement et le fait que l'empereur aurait revêtu ses propres habits de scène.

Tacite, ( 58-120) historien et moraliste ( donc pessimiste...)  dépeint, dans les Annales,  les mœurs des hommes de son temps. Il y évoque l'incendie de Rome de 64 et la réaction de Néron  qui accuse et fait exécuter « des gens détestés pour leur turpitude que la foule appelait « chrestianos »...

Trois des 14 quartiers qui constituaient la ville  furent complètement détruits. Les morts se comptèrent par milliers et on dénombra environ deux cent mille sans-abri dont Néron prit soin. 

"Si l'empereur se révéla, dans un premier temps, incapable de maîtriser un sinistre dont il était lui-même victime, il prit, d'après Tacite, plusieurs mesures dont rien ne permet de mettre en doute la réalité : il offrit à la foule des sans-abri un refuge dans des zones préservées à l'ouest de la ville, soit au Champ de Mars*, soit sur la rive droite du Tibre, dans la région actuelle du Vatican, où il possédait des jardins ; il y fit construire des centres d'hébergement d'urgence et la subsistance y fut assurée à très bas prix par des apports massifs de blé en provenance du port d'Ostie et de la campagne environnante.", Jean-Michel Croisille, Néron a-t-il brûlé Rome ? 

D'autres historiens ( comme Dion Cassius, Pline l'Ancien, Orose...) incriminent Néron. Ils le rendent responsable de l'incendie. Suétone, l'auteur de la Vie des douze Césars - les célèbres "Cesautica claunégalo vivestido" ...-  précisément dans la partie dédiée à Néron (Nero, 38) où alors qu'il relate brièvement l'incendie, accuse ainsi l'Empereur lui-même d'avoir fait brûler la ville : 

                                       ''Il met le feu à Rome, et chante, pendant cet incendie, la prise de Troie''    

Cette scène de Néron, en habit de théâtre, sur le Quirinal ou ailleurs, chantant la chute de Troie en s'accompagnant de la harpe est rapportée comme une réalité.

''Hoc incendium e turre Maecenatiana prospectans laetusque "flammae", ut aiebat, "pulchritudine",  Halosin Ilii  in illo suo scaenico habitu decantavit.'' 

Traduction Marel, Coffigniez, Jonneaux  : "Cet incendie, Néron le contempla du haut de la tour de Mécène et rempli de joie, disait-il,  par "la beauté de la flamme", il chanta sans discontinuer le poème de la Prise d’Ilion dans sa fameuse tenue de théâtre."

 - Et le  pourquoi de cet incendie ?  Nam quasi offensus deformitate veterum aedificiorum et angustiis flexurisque vicorum, incendit urbem. Sous prétexte qu’il était heurté par la laideur des bâtiments, l’étroitesse et les méandres des rues, il incendia Rome (...) 

Avec un grand désir suicidaire pour lui et aussi donc pour ceux de son entourage, "dicente quodam in sermone communi : "Ἐμοῦ θανόντος γαῖα μιχθήτω πυρί" . « Immo », inquit, "ἐμοῦ ζῶντος ". Planeque ita fecit.  Ce qui signifie :  "Alors que quelqu’un, un jour, citait ce vers grec : « Qu’après ma mort la terre soit plongée dans le feu ! », [Néron répondit vivement] « Non ! De mon vivant ! ». Et c'est ainsi qu'il fit. ( en fait cette citation serait, selon Renan, extraite du Bellérophon d’Euripide qui est traduite ainsi : "Moi mort, puissent la terre et le feu se confondre ! « Oh non ! dit-il, mais bien moi vivant ! »

C'est juste un mégalo qui a voulu se remettre dans l'ambiance de ce que "la tradition poétique posthomérique racontait sur l'incendie de Troie" ? 

Même si Tacite ne rend pas Néron responsable de l'incendie de Rome, il le considère comme un monstre, entouré de créatures monstrueuses, dont sa mère...Agrippine, L'assassinat est leur arme privilégiée. 

De Tacite, Racine tirera le sujet d'une de ses tragédies : Britannicus dont voici un court extrait de l'acte I, scène 1. 

                                😅 Avec une mère pareille ...

Agrippine. Tout ce que j’ai prédit n’est que trop assuré : (...) /L’impatient Néron cesse de se contraindre ;/Las de se faire aimer, il veut se faire craindre./Britannicus le gêne, Albine ; et chaque jour/Je sens que je deviens importune à mon tour. /Albine. (...) Il vous doit son amour.  Agrippine. Il me le doit, Albine :/Tout, s’il est généreux, lui prescrit cette loi ;/Mais tout, s’il est ingrat, lui parle contre moi. (...)/(...)Il se déguise en vain : je lis sur son visage/Des fiers Domitius l’humeur triste et sauvage ;/Il mêle avec l’orgueil qu’il a pris dans leur sang/La fierté des Nérons qu’il puisa dans mon flanc./(...) Que m’importe, après tout, que Néron, plus fidèle,/D’une longue vertu laisse un jour le modèle ?/Ai-je mis dans sa main le timon de l’État/Pour le conduire au gré du peuple et du sénat ?/Ah ! que de la patrie il soit, s’il veut, le père ;/Mais qu’il songe un peu plus qu’Agrippine est sa mère. /Agrippine (...) Je le craindrais bientôt, s’il ne me craignait plus./Albine (...)Quels effets voulez-vous de sa reconnaissance ?/ Agrippine. Un peu moins de respect, et plus de confiance.(...)/Non, non, le temps n’est plus que Néron, jeune encore,(...)/(...) Et que derrière un voile, invisible et présente,/J’étais de ce grand corps l’âme toute-puissante,(...)

             Extrait du texte de Jean-Michel Croisille, dont j'ai repris quelques extraits plus haut.    
 
                                                 Un empereur fou et démoniaque ? 
 
Ces accusations proposent trois motifs pour expliquer le crime de l'empereur. Le premier est d'ordre ludique, voire esthétique et lié au goût du prince pour le théâtre : il aurait voulu reconstituer dans la réalité ce que la tradition poétique posthomérique racontait sur l'incendie de Troie et dont il avait lui-même repris la substance dans une œuvre personnelle.

Le deuxième se réfère aux projets urbanistiques qu'on lui prête : un nouvel aménagement de la ville dont les constructions, laides et mal commodes, le choquaient.

Cette hypothèse peut d'ailleurs s'accorder avec celle de l'origine accidentelle, si l'on suppose que Néron, constatant les dégâts du feu, en aurait profité pour parachever une destruction qui arrangeait ses desseins. Le troisième motif avancé est tout simplement celui de sa folie, qui lui avait fait souhaiter l'anéantissement de la ville et la disparition de tous ses habitants - c'est la résurgence d'un thème fréquent dans l'historiographie, celui du prince monstrueux et démoniaque, qui relève évidemment d'une construction polémique.

Mais il y a aussi tant d'autres coupables possibles...

                                                                  Les faits ?

Néron, une fois revenu d'Antium, s'aperçut qu'il était bien tard pour arrêter le sinistre qui détruisait son propre palais.

Il erre dans les rues de Rome, désespère. Puis, devant le spectacle extraordinaire de la ville embrasée, il se met à déclamer, du haut d'un observatoire privilégié, sur l'Esquilin, des vers de sa composition, empruntés à l'une de ses œuvres récentes sur l'incendie de Troie.

Un tel comportement est bien dans la manière de cet esprit mobile et influençable, toujours prêt à confondre la vie et le rêve, transposant dans la réalité de ce moment exceptionnel une scène qu'il avait naguère jouée sur son théâtre privé du Palatin.

On conviendra que cette attitude pouvait paraître pour le moins déplacée aux yeux du commun des mortels et notamment des victimes du feu ou de leurs proches.

Si cela ne permet cependant pas d'accuser Néron du forfait, cela aide à comprendre comment la rumeur prit corps, selon laquelle le prince se serait réjoui de voir brûler sa ville. 

Néanmoins, la réputation de l'empereur est restée entachée des lueurs sanglantes de ces événements. 

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