"Instants poétiques" (2) du 10 août avec Richard ROGNET, sur Radio jerico
"Instants poétiques"
Richard Rognet (2)
Le poète a publié en mars 2O12, chez Gallimard, dans la NRF
Élégies pour le temps de vivre
cf lien :
http://www.gallimard.fr/gallimard-cgi/AppliV1/affied.pl?ouvrage=0010070878006944403380000
Un recueil de 77 poèmes que j'ai lu - et que je relis - avec un grand bonheur et une grande émotion.
Ecoutons vibrer l'obscurité piquetée de halos étoilés de ces quelques poèmes à la tonalité lyrique et mélancolique.
P.S. Parti pris de lecture. J'ai voulu marquer les rejets, pour rendre la sensation d'être
"Entre abandon et veille"
***
Page 30
Peut-être aurais-je dû, en pénétrant dans la forêt,
me séparer de moi, sentir sur mes épaules
le souffle de mai, me souvenir
des autres forêts traversées qui murmurent
dans ma mémoire et dont j'ai confondu
les soupirs ou les plaintes avec des mots
superflus des mots convulsifs, des mots
d'amertume, peut-être aurais-je dû
demeurer à l'orée, m'accroupir, me replier
sur moi, tout près de la terre et mieux regarder
le bourdon affairé sur une bugle mauve,
le trèfle, la véronique, peut-être
aurais-je dû accomplir le voyage
qui mène ce qu'on voit à ce qu'on ne voit pas.
***
Page 35
Qui me dira, avec la rosée qui clignote
dans le matin humide, qui me dira
où se trouve l'entrée de la lumière ? qui ?
Je sais qu'on ne revient pas aux sourires
qu'on n'a pas su cueillir, de même
qu'on n'oublie pas le couteau sous
la gorge, l'insoumission qui nous
donna la force des pierres, le claquement
de la solitude après les portes
sourdement refermées, je sais
que je ressemble à une langue morte,
une langue cependant qui résiste
comme un bouquet de pâquerettes flétries
qu'un inconnu a déposé soigneusement
au pied d'un jeune hêtre, après
l'avoir longuement serré dans sa main.
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Page 36
Extrait
Quelle femme et quel souffle
dans l'éclair, tout près de la rivière ?
Quelle nuque sensible aux escarpements
du temps ? Quelle discordance
dans les reflets que ce soir d'automne
verse sur les fleurs fatiguées ?
Je suis rentré chez moi avec quelques
cailloux dans ma poche[...]
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Page 93
Nous nous sommes assis autour de la table, près
de la fenêtre. Un bouquet d'anémones fripées
endurait la poussée du temps. Nous étions trois
Georges-Emmanuel, Danièle et moi, et nous avons
parlé, parlé jusqu'aux étoiles, des poètes
insoumis, de leur poids de papillon mort, de
leur mémoire fatiguée. L'heure passait. peu
à peu le café se vidait de ses habitants. Et
nous parlions toujours des poètes, de ce que nous
savions d'eux, qui nous rendait légers, nous citions
quelques vers d'allégresse ou d'espoir, des vers,
des mots dont le secret nous emportait sur des
rives intactes où nous aurions voulu déposer
nos paroles comme un nouveau bouquet sur la table.
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http://www.gallimard.fr/gallimard-cgi/AppliV1/affied.pl?ouvrage=0010070878006944403380000