Dossier Tastu : Ch. Louandre sur "la poésie écrite par les femmes aux alentours de 1830".
Très amusant !!! Ah ! Ce Charles qu'il est moqueur...Décidément, il n'y croit pas aux "poétesses".
in Revue des Deux Mondes (1842) Sur la poésie écrite par des femmes aux alentours de 1830 -
Extraits...
"Depuis Louise Labbé et Mme Deshoulières, le cercle de l’inspiration s’est singulièrement étendu pour les filles d’Ève, et, en dépit de la critique qui aime à railler et des maris que la gloire effraie, elles ont goûté tous les fruits savoureux de la poésie, comme autrefois leur mère, dans le paradis, goûtait, en dépit de Dieu même, les pommes fatales de la science. Les plus aventureuses se sont jetées dans les hérésies sociales ; les plus modestes se sont contentées de déclarer que Dieu ne les avait point créées pour broder. Toutes se sont émancipées ; mais distinguons, car il y a deux classes tranchées parmi nos muses, les dames et les demoiselles, la muse mariée et la muse à marier, poetriae picae, comme dit Perse en parlant des bas bleus de Rome. La demoiselle, tout en courant les hasards de la publicité, baisse les yeux avec la candeur des jeunes pensionnaires ; elle chante les papillons, la cloche du soir, ses amies, la Vierge, la première communion ; c’est à peine si elle laisse échapper quelque vague soupir aussitôt refoulé.
En mûrissant, elle ose plus, et le pli douloureux de la première ride la jette en d’ineffables rêveries. Aux derniers jours de l’été, elle pleure le printemps, elle regrette ce que regrette la vieille de Béranger, elle accuse le siècle qui ne l’a pas comprise, et se compare à une fleur. La muse mariée a des allures plus franches ; elle aime la gloire et chante les braves. Sous la restauration, elle quêtait pour les Grecs et célébrait Missolonghi ; après juillet, elle a ajouté une corde à sa lyre, à l’occasion des trois jours, de la guerre d’Afrique, de la Pologne ou des batailles de Versailles. Quelquefois même elle intervient dans la politique active, et prépare, à l’aide du dictionnaire des rimes, la prochaine révolution qui doit rendre à son sexe son véritable niveau social. Par malheur, la bataille et la politique n’ont, le plus souvent, donné que des inspirations malencontreuses. Si l’encre sied mal aux doigts de rose, que sera-ce donc de la poudre ? On le voit, la femme poète n’est pas toujours un progrès sur la femme savante ; ...mais, lorsqu’elle chante l’amour, elle est loin des précieuses. Je reprochais aux rêveurs le spiritualisme exagéré de leurs passions ; j’adresserai à quelques unes de nos femmes poètes le reproche contraire. Il en est qui ont parfois des alexandrins éhontés, ce qui n’exclut pas une certaine tendance mystique. Il est vrai que, dans l’inévitable profession de foi des préfaces, ces dames déclarent qu’elles croient à Dieu et à l’amour ; elles prient leurs anges gardiens, tout en rêvant d’un jeune homme aux yeux noirs.(...]Cette fois
encore nous avons rencontré ces sentiments extrêmes, incohérents, qui n’aboutissent qu’au ridicule par l’exagération, et les cent deux volumes de poésies édités en onze ans par nos muses en portent tous la trace.Ainsi, la poésie a jailli de toutes les sources, du salon comme de l’atelier.L’épidémie a débordé sur toutes les classes de la société [...]La muse est intervenue en toutes choses ;on a chanté le scepticisme, la foi, la paix, la guerre, le passé, l’avenir, les grands hommes et les scélérats, l’émeute, la royauté, la république.Comme Dante, la poésie a sondé les profondeurs de l’abîme, elle est montée, comme lui, jusqu’aux sphères lumineuses.Elle s’est inspirée de la Grèce antique et de la Grèce moderne, de l’Angleterre et de l’Allemagne, des soleils et des brouillards, des questions éternelles qui font rêver les penseurs de tous les âges, des questions transitoires qui tourmentent tour à tour les générations dans leur succession rapide. La poésie est devenue, en quelque sorte, encyclopédique, et le secret de sa faiblesse est peut-être dans cette dispersion. [...]