(théâtre/lecture) "Vengeance impossible" ( version 1 : août 2010) 2 tableaux - 3 Femmes (SACD) C.A.-L.

Publié le par Claire

                        IMGP0015.jpg                                                                                                                        Cliché Caroline ANTOINE

 

                     VENGEANCE IMPOSSIBLE

 

                          PREMIER TABLEAU

 

Trois  personnages : une mère (LA MERE) et ses deux  filles (AGNES et ANNA).

 

AGNES revient pour demander des comptes à sa mère


AGNES -(Seule sur la scène, part d'un grand rire, elle n’est pas en pleine lumière, un peu dans l’ombre)  Aaahh Hahaha...ça y est. J'y suis. Je n'aurais jamais dû quitter cet endroit. C'est chez moi. La maison où je suis née. Ni ma  mère ni ma sœur ne m'attendent...elles croient peut-être même que je suis morte. Ma naissance fut  un accident. C’est elle qui me l’a dit quand je l'ai questionnée, pressée de répondre...  "J'ai voulu te faire passer"...
(Elle crie) 
Il n'y a personne ?

(Elle se met assise au milieu de la scène, et  dans un rond de lumière elle chantonne en comptant sur ses doigts) 
Un, deux, trois, j'irai dans les bois,

Quatre, cinq, six, Cueillir des cerises,
Sept, huit, neuf, dans mon panier neuf,
Dix, onze, douze, elles seront toutes rouges
Rouges comme le sang, comme le sang ( regardant  droit devant elle)...Elle était pourpre, une étoffe purpurine, celle dans laquelle encore hier, je m'emmitouflais pour partir à sa recherche. Vieille folle à la démarche chaotique, les jambes prises dans les plis soyeux qui dévoilaient par intermittences ses nuances sombres.
(Elle reste immobile et le rond lumineux dans lequel elle se trouvait se déplace et encercle une femme âgée qui vient d'arriver. S’il n’y a pas cette possibilité, il faut de toutes les façons qu’elle passe dans l’obscurité)
 
LA MERE - Cette voix, ce ton... Impossible. (Elle regarde autour d'elle, effrayée, agitée. Elle se pince comme pour vérifier si elle est bien réveillée.) Non. Elle ne peut pas être ici. Elle ne serait pas revenue. Quinze ans qu’elle n’a plus donné signe de vie. On la croyait morte. Dans le ruisseau.

(La voix de la fille monte comme un chant  qui prend de l’assurance)
AGNES – Mère. Mère. Maman. Tu vois, j'ose...Maman, maman, maman. Si, c’est moi. Je suis ici, de retour (Elle sort de l'obscurité et avance vers sa mère) Regarde. Examine. Touche. Ma tête, mes épaules, mes bras. Plus franchement.(Elle lui tient les mains pour l'obliger à la toucher).
LA MERE - Cette nuit en rêve (Elle échappe à sa fille), je t'ai aperçue, sur le chemin qui mène à la maison. Au croisement. Serrée entre tes mains,- tes jointures étaient blanches tellement tu  serrais -, une urne. Tu tremblais de colère. Dans l'urne, les cendres de tes deux sœurs. Que tu n'as pas connues. Qui n'ont pas vécu. Mortes au moment de venir au monde. Toutes les deux.

AGNES - Mère, je t'en prie. Je n'ai rien à voir avec ce rêve.  Je n'ai en moi aucune colère. Je ne reviens pas pour me venger. 
LA MERE - Te venger de quoi, donc ?  Tu es partie, …tu nous as quittés, et  de ton plein gré.

AGNES – Ce n’est pas tout à fait comme ça que les choses se sont passées…

(Silence qui semble inquiéter la mère)

LA MERE – Je ne peux pas faire plus, pour toi...Tu n’as pas changé. Quelques rides de plus. Ton visage m’inspire toujours la peur…

AGNES – Ainsi, je te fais peur…? Pourquoi recules-tu ? Je suis ta fille.

LA MERE – Je t’ai donné ce que j’ai pu. Pars. Il n’y a rien pour toi, ici. Sauve-toi.

AGNES – Pourquoi as-tu dit que je n’avais été qu’un accident ? Tu comprends ? Un accident. Aucun désir. Au contraire… Une volonté de m’empêcher de venir au monde. Je suis là pour que tu me fasses revivre en détail, ces procédés que tu as utilisés pour me faire « partir » comme tu disais à ta meilleure amie, devant moi et ma sœur, Anna. Ton premier échec. Ma volonté contre la tienne. Mon premier combat. Je t’ai vaincue par KO au dernier round.

LA MERE -  Je ne voulais plus d'enfants. J'en avais assez de donner la mort.

AGNES – Et ainsi, ils perdront de leur pouvoir, ces procédés. Tu vois, ces  formules qui ne sont magiques que parce qu’elles restent secrètes. Tu les redis, devant moi, devant ma sœur aussi, ici, en pleine lumière et leur pouvoir maléfique, qui m’empêchent, qui nous empêchent  de trouver la paix, va s’estomper…Je suis née…née vivante, moi et après moi, Anna, ma sœur. Et elle c’était un accident aussi ?  Tu as recommencé à vivre avec nous, pour moi, d’abord.

LA MERE – Je ne voulais plus d’enfants... Tu es un accident. Rien de plus. Avec toi, d’abord est revenu l’espoir, c’est vrai. Dans tes  yeux de  petite fille au regard vert. Ma toute petite fille. (Elle mime, l’air perdu, des caresses, qu’elle ferait à un bébé qu’elle tiendrait dans les bras)

AGNES – Où est ma sœur, Anna ?

LA MERE – (haussant le ton) On ne te veut pas ici. Tu ne le sens pas ? Ce matin, j’ai parlé de mon rêve à ta sœur et elle est partie, sans même me dire où elle allait.

AGNES – Je suis là, moi. Je vais te protéger. Tu as l’air si faible, si fragile, maman.

LA MERE – Arrête avec tes « maman », tu me brûles les oreilles. Non. Ni fragile, ni faible. Tu vas le constater quand je te chasserai. Tu pars et ta sœur revient. C’est simple.  Cette maison n’est plus la tienne. Tes bonnes paroles, réserve-les à  d’autres. Rends-moi Anna. Sorcière ! Au secours !

AGNES – Tu es possédée.

(La mère  la poursuit avec  un balai à la main. Elles tournent en rond, ce qui fait que la fille poursuit aussi la mère, qui sort de scène en hurlant.)

NOIR

 

                         DEUXIEME TABLEAU

(Anna revient, joyeuse. Elle est seule dans la lumière.)

ANNA – Maminette, regarde ce que j’apporte…Si Agnès revient, comme dans ton rêve, nous la chasserons. Ma minette, ne crains rien, viens. (Elle sort de son grand cabas 5 grands portraits d’hommes différents. Elle les appelle par leur prénom, en les déposant les uns à côté des autres.) Ah ! Mes beaux messieurs…Paul et toi, Bernard, vous revoilà…Maurice, Jean et Pierre…Je vous salue bien bas…Bienvenue… Tous ces soirs où Mère et moi nous avons joué aux fléchettes pour vous abimer le portrait. Ah ! Ah ! Ah ! Ah !  Elle peut toujours revenir, l’Agnès. En vous voyant, elle prendra la porte. La honte de la famille, la gourgandine, la pute. Pute, oui. Elle me dégoûte. Tous ces hommes, qu’elle a ramenés ici, sans compter les autres que je ne connais pas. (Elle danse devant les portraits en soulevant ses jupes).

AGNES (sort de l’obscurité, sa sœur s’arrête de danser et entre dans le noir, à sa place) Ne t’en va pas, Anna. Reviens, montre-toi. Je ne t’en veux pas. Tu m’insultes et tu as peut-être raison. J’ai eu tort en les faisant venir chez moi, chez nous, chez vous, chez maman, chez toi. Je voulais vous prouver que je pouvais être désirée, que j’avais de la valeur, puisque tant d’hommes différents me trouvaient à leur goût.  Je les ai tous aimés, à ma manière. Les uns après les autres...Dieu sait ce qu’ils sont devenus. Et toi Anna, tu m’enviais, tu me méprisais, aussi…Les voisins, la famille. Ton fiancé qui a pris peur et qui a posé comme condition que je parte, que je ne revienne jamais, pour vous éviter les quolibets, l’opprobre général… «  Si dans une semaine, ta salope de sœur n’a pas quitté la maison, je te préviens, je te laisse tomber… »

ANNA- (sort en pleine lumière) Oui, exactement, alors, avec maman on t’a fait la vie dure. Et on a réussi à te faire partir. Je t’aurais tuée. Tu l’avais compris.

AGNES – Je le voyais dans tes yeux, quand je m’approchais trop près d’une fenêtre…

ANNA- Un accident, Monsieur le Commissaire, un simple accident.

AGNES – Elle n’a pas souffert. Fracture du crâne. Mort instantanée.

ANNA-  Mère n’a jamais eu de chance...

LA MERE – (Revient de l’ombre. Elle reste debout. Regarde du côté de la salle).J’ai désiré Anna. Ma deuxième fille. Agnès m’avait montré que je pouvais faire quelque chose de bien malgré moi. Que sans mon consentement, ma volonté, la nature était la plus forte. La nature… Comme un animal. Une chienne. Engrossée sans le vouloir. Dans la douleur de la soumission. Sèche. Crue. Un jour où je me refusais. Où j’avais envie de tout sauf de sentir en moi cet homme sale puant l’alcool, qui aurait finit sa nuit avec n’importe quelle fille, s’il avait eu encore la force de se déplacer. Pendant neuf mois, j’ai été partagée entre le contentement de sentir mon ventre habité, la peur atroce de revivre le moment de la naissance où on m’annoncerait que l’enfant était mort - peut-être un garçon, s’il vivait ? - et le dégoût de me vivre femelle saillie par un mâle en rut.  Agnès est née. Puis Anna. (Elle s’apprête à quitter la scène mais AGNES s’approche et veut l’enlacer)

AGNES –  Maman…Je te plains. Nous pouvons reconstruire à nouveau.

LA MERE – Ah ! Non. Je ne veux pas de ta pitié. Recule.  Tu me rappelles trop de choses. Tu m’obliges à me souvenir : voilà. Tu n’en sauras pas plus. Tu les as eues, tes paroles magiques. Laisse-nous maintenant. 

AGNES – Mais, une question, encore, Anna, tu l’as voulue, elle ? Elle a été conçue dans l’amour, par amour, avec amour, elle ?...Avec mon père ?

ANNA – (revenue, elle aussi sur la scène, aux côtés de sa mère, qu’elle va tenir par le bras) Arrête.  Tu ne vois pas que tu la tortures ?  

AGNES les regarde longuement et sort à reculons en silence. ANNA et LA MERE restent elles aussi silencieuses, dans les bras l’une de l’autre, dans le rond de lumière.

                                                     NOIR

                                                                                                                                    C.A.-L.


 

 

 

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