"À quoi sert le théâtre ?" Extraits d'un texte copié/collé d'Enzo Cormann en lien
"A 22 ans je suis un peu journaliste. A 25 ans beaucoup. Le chômage, l'urbanisme,...les quatre cents coups de la Cité Paul-Mistral, la nouvelle scène rock, le guetto italien...j'ai cru un temps que le monde ne serait plus pour moi que ce tourniquet ravageur, cette machine à décerveler dontdont je serais le croc à merdre.
J'ai bouffé, dégueulé du réel avec une passion de l'exactitude, un souci de coller à l'état des choses qui n'avait d'égal que mon dégoût croissant pour ce fatras tout à la fois rétif et fonctionnaliste qu'était devenu pour moi le langage : avec mon paquet de mots censés au jour le jour raisonner une indicible folie factuelle, je participais, à ma mesure, ...à la vociférante superproduction de la prose du monde.
Il me semblait que j'y prenais goût. ...Et puis, un jour, presque sans y penser, j'ai commencer à mentir....Non plus servir le réel, mais le chahuter. renouant avec la jubilation infantile...
Chahut qui avait qqch d'infiniment respectable. Infiniment marginal ( auteur inconnu, gribouillant ds une coin du monde),
mais infiniment intégré (un jour des gens payeraient pour venir s'asseoir à une table et lire, comme au-dessus de mon épaule, ces lignes hachées de biffures...)... Anachorète narcissisme dont je palliais mon inexpérience.
...Je m'aperçois...qu'une certaine linéarisation (et donc fictionnalisation) de mon expérience réduit celle-ci à une série anecdotique de voies de conséquence, quand j'éprouve si fort qu'elle fut bien davantage un monstrueux embrouillamini de contingences et de nécessités, mais aussi d'actes manqués, de connexions inaperçues, de décervelantes équations, dont quelque récit en aurait-il le projet sincère, ne saurait accoucher. ...
...
le "théâtre", tt à la fois catégorie de la littérature, architecture, pratique singulière, technique, usage, coutume, axe de la culture universelle, etc., mais aussi théâtre des opérations, du crime, toute géographie de faits jetés sur la première page, organisation particulière, réseau décliné de connexions,...usine de retraitement.
Matière première : le rêve.
On pourrait dire, le théâtre c'estun rêve transformé en songe. Un rêve éveillé, pour ainsi dire délibéré. Rêve dirigé, mastiqué puis recraché entre deux couches, des technique, architecture, organisation, stylisation, etc., idoines : à chacun sa terrine. (cf supra "Nul doute que le thé soit physiquement présent à la table, et là encore : image mentale. Je veux dire incertain, pile et face, élastique, revu et corrigé. Boîte mobile où vient s'étendre le rêve, par strates. Voilà, je sais : une terrine d'être. )
(Enzo Cormann a écrit une pièce avec 3 personnages féminins..."j'étais une femme, donc."...)
Incidemment, je me suis dépêché de redevenir un homme. Et sans doute à cause d'un malentendu général sur la nature de la parole théâtrale. Voilà qu'on me parlait de "parole de femme". Des femmes vantaient la qualité de ma parole de femme. Comme si j'avais voulu tenir un certain propos de LA femme. Dire son oppression mais sa force, sa solitude, mais son universalité, sa nature de femme, mais son humanité.
En sorte qu'on m'entendait tenir un discours, quand je ne produisais, moi, que de l'aventure psychique.
...Je ne tenais pas un discours délibéré sur la femme : j'en étais délibérément une.
Elles auraient pu me trouver fière ou gentille, moche ou conne. Mais non : elles me trouvaient super-représentative !
Aussi ai-je pris délibérément la route, avec mes nippes de bidasse et mes tatouages, armé d'un cran et d'un faucon, en quête de nouvelles sensations...l