Lien avec un article d'Audrey Boutin sur la satire féministe, mode de subversion du discours ubiquiste androcentré
Quelques notes ( commentées ) prises dans le texte ( peut-être mal compris par moi ) qui analyse un roman que je n'ai pas lu, mais où Audrey Boutin éclaircit très bien la vision du monde féministe. Celle-ci est radicale.
« L’imaginaire féminin est encadré, limité par des scripts androcentrés
qui ne peuvent que produire un éternel retour du masculin. », Audrey BOUTIN
Préalable
- Comme je cherche à mieux comprendre ce que peut-être une écriture « féministe », puisque l'écriture des femmes est toujours suspectée de servir des intérêts phallocratiques,
- Comme je soupçonne et constate que de nombreux textes de poètes femmes du XIXe relèvent d'un registre ironique et même satirique, (double énonciation/double encodage de la satire qui fait semblant d'adhérer à un discours dans le but d’ en montrer le caractère négatif), le mot satire m'ayant donc attirée,
- Et comme je pense que le discours sur le désir féminin est celui où se reflète le mieux la vision masculine sur la femme et que je veux comprendre dans quel embrouillamini elle se trouve, la femme, quand elle donne (croit donner) son point de vue sur ses désirs, c'est le titre entier qui m'a interpelée.
J'ai toutefois "adapté" ces notes à mon centre d'intérêt d'aujourd'hui. C'est le deuxième sus-cité.
Les femmes peuvent-elles produire des textes satiriques qui ne soient pas androcentrés, qui ne reproduisent pas les normes masculines imprégnant tout discours ? On se dit "évidemment, pourquoi pas ?" Mais, en fait, ce n'est pas si simple.
Cas particulier de la satire
En gros, la satire, qui s'appuie sur l'antiphrase, est un apologue, dont la visée est de réformer la société afin d'y garantir le bonheur social. La satire est supposée proposer des solutions sociales nouvelles en prenant, en creux, pour cible la société dans laquelle vivent les lecteurs. La voix qui la porte (celle du narrateur ironique et surtout de l'auteur) est donc du côté de la norme, ce qui veut dire, en position d’autorité (L'auteur s'autorise à donner des conseils.).
Question : Comment les dominés (dont il faut comprendre, pour bien situer le problème, que la femme fait, "traditionnellement", depuis "toujours" partie) peuvent-ils se l’approprier ? Pour cela il faudrait qu’ils se ré-approprient le discours de la classe dominante sur leur réalité.
C'est assez vertigineux. Ce n'est pas parce qu'on est une femme et qu'on revendique sa liberté de propos et de pensée, qu'on ne véhicule pas les préjugés des hommes, même si dans la vie de tous les jours on partage les tâches du quotidien selon une stricte égalité - quoiqu' ils doivent quand même payer pour tout ce qu'ils nous ont fait subir depuis l'aube de l'humanité -. (Là je suis en train de partir de l'autre côté. Clairement, cette sorte d'incise ironique, revancharde, entre tirets est la preuve, s'il en était besoin, que ce n'est pas facile pour moi ( peut-être impossible) de m'extraire de la vision du monde phallocrate dominante...même si c'est très attirant).
Être féministe c'est avoir pris acte que la parole des hommes était première et qu'elle englobait tout. Que la parole des femmes était prise dans la leur comme dans de la glue. Qu'il fallait tout absolument tout "déconstruire", tout "purifier" si j'ose dire.
Comment alors, si on se veut "vraiment" féministe, écrire des satires ? Comment "réformer" le registre satirique ?
Si donc, on veut dépasser le problème, il faut effectuer une "mise à jour" du registre de la satire. Après avoir cerné la façon dont on (re)présente, selon la norme androcentrée, les productions culturelles des dominées femmes, il faut ridiculiser et rendre grotesque cette (re)présentation.
Cela veut peut-être dire qu'il faut, avant tout, afin d'échapper à "l'ubiquité" patriarcale, faire un travail d'analyse des arguments utilisés pour parler des ouvrages de celles et ceux qui sont reconnu·e·s par les normes (androcentrées) d’aujourd’hui,
puisque ces arguments positifs ou négatifs s'appuient, pour convaincre de la qualité d'un ouvrage sur des aspects précis des récits et des personnages selon une vision masculiniste ( même si c'est une femme qui est l'auteure de l'ouvrage).
A l’ère du soupçon, une réforme de la satire (afin qu'elle puisse relever du féminisme, entendu comme une nouvelle manière de dire /penser/révéler le monde) est indispensable, mais il faut réaliser avant tout que « en notre époque sceptique et postmoderne, la satire comme défense de valeurs morales n’a plus de sens. » Car, quelle « morale » défendre et qu'est-ce que sous-entend l'idée de "valeur" qui soit susceptible d'être défendue ?
L’objet d’attaque de la satire ne peut plus être sous-tendue par l'idée qu'il y a d'un côté le bien et de l'autre côté le mal par rapport à l'organisation concrète du monde; ça ne peut plus être de l'ordre du "correctif" par rapport à ce qu'on peut appeler des "déviances normatives".
L'attaque doit concerner la norme elle-même, afin d'en démontrer/démonter le caractère factice et de mettre à jour l’illusion sur laquelle repose la prétendue stabilité de ces normes.
Dans la pratique, pour "réformer" la satire et se réapproprier l'autorité ...
... Bien garder en tête que l’un des axiomes sur lequel repose la puissance masculine est celui de « nommer », ce qui fait que « la suprématie masculine est fusionnée au langage ».
Montrer, comme le fait l'auteure du livre dont parle Audrey BOUTIN, que le personnage qui représente l’autorité vacille sur ses bases, permettrait aux voix féminines de se réapproprier cette autorité, afin de dénoncer les normes responsables de leur aliénation.
Et là, on retrouve la possibilité d'écrire une satire qui je le rappelle encore est, en fait, une ironique leçon de morale dénonçant des pratiques afin de les "réformer".
Les auteures féministes se réapproprieraient ainsi le langage en le déconstruisant pour le forcer à révéler l’idéologie patriarcale dont il se fait l’un des vecteurs principaux. A terme, c'est la langue du féminin qui doit devenir le nouveau discours idéologique, "comme un manteau qui couvre tout".
L’effet satirique advient dans cette confiscation de la parole masculine
Au final, la satire pourrait reposer non pas sur un humour visant une réification "des comportements déviants", mais plutôt sur un inconfort provoqué par une injonction à réévaluer nos consommations culturelles.
Souvent difficile d’échapper à un imaginaire colonisé par une domination masculine qui ne pouvait produire que du même et enfermer nos consciences dans une logique faisant l’impasse sur l’expression du féminin dans un discours.
Une solution serait par l'humour, les décalages, les incertitudes, les dérapages, de susciter des questions sur le pouvoir et l'idéologie phallocrate.
Concrètement , faire en sorte que le texte ne soit que questionnements qu'il n'aille jamais "au bout" des attentes qu'il suscite, au bout des raisonnements, ni des récits de telle façon que le pouvoir de la parole soit miné.
Le discours substituerait alors à celui de la domination masculine, une nouvelle forme de domination, cette fois-ci féminine.
C'est intéressant mais très très intellectuellement compliqué.
Je n'ai sans doute pas tout compris au texte, mais je pense qu'il faut connaître toutes les préoccupations dont il fait état.