Court commentaire du poème d'Amable Tastu intitulé ''La mansarde'' ( sur le même thème extrait de Victor Hugo et de Théophile Gautier)

Publié le par Claire Antoine

Court commentaire du poème d'Amable Tastu intitulé ''La mansarde'' ( sur le même thème extrait de Victor Hugo et de Théophile Gautier)

   Mariage-Illusion-"Hauteur destituée" 

Loin des bois, des prés et des jardins, par la fenêtre d'une mansarde ...

Les poètes des villes, dans l'entre deux, entre le ciel et la terre, glissent « Sur le penchant des toits noircis » pour introduire leur œil curieux, intrusif, dans l’intimité des mansardes où vivent des jeunes filles du peuple, de jeunes poètes ou romanciers sans le sou. Ils vont y puiser de quoi nourrir leurs « immortels » chants. Les personnages en vase clos qui ne se savent pas regardés livrent naïvement leurs secrets et deviennent, tenus ainsi sous la loupe voyeuse objets "scientifiques" de connaissance, d’interrogation, de désir, de dégoût ou d’ admiration. 

Amener à la lumière ce qui est suspect et ne se montre jamais, Amable Tastu (dans Poésies Nouvelles) et à sa suite Victor Hugo, (dans Les rayons et les ombres, en 1840), ou Théophile Gautier, (en 1852, dans Emaux et Camées), entre autres, l'ont fait.  La fenêtre étant une interface réversible, parlant autant de ce qui est regardé que de celui qui regarde. Le poète qui s'empare de ce thème raconte ce qui l'obsède.

                                                  Qu'en est-il d'Amable Tastu ?  

 Juste en surplomb de la mansarde d'Amable Tastu danse gracieusement, en exergue, Marceline Desbordes-Valmore :  

Une jeune espérance y dansait sur mes pas ;
Je dansais avec elle !…

Donnons la main à Marceline Desbordes pour danser à notre tour par la magie des vers...

L'espérance est-elle à sa place, "sur [l]es pas" de la poétesse ? 

                                                          Il n'y a plus d'avenir 

Dans les trois premiers huitains en octosyllabes, la poète romantique met à l'unisson, temps météorologique, sentiments et contexte politique. Le tout est déprimant, pour une républicaine, et la pluie qui tombe y est déjà baudelairienne. Ils se terminent par une citation des Evangiles, reprise par Lamartine comme titre d'un de ses poèmes : " [l'] âme est triste jusqu’à la mort !"

 

Le temps ce soir est gros d’orage ;(a)  
Déjà, sous cet épais nuage, (a)
Il gronde là-bas faible et sourd : (b)
L’éclair est pâle, le ciel lourd, (b)
Et l’air muet, qu’en vain j’implore, (c)
Au front du prochain monument(d)
Laisse retomber pesamment(d)
Les plis du drapeau tricolore.(c)


Du soir, le vent accoutumé, (e)
Manque à ma poitrine oppressée, (f)
Et cet horizon embrumé(e)
Étouffe jusqu’à ma pensée.(f)
Mais la pluie, à flots épaissis,(g)
Des flancs du nuage qui tonne,(h)
Bondit, sonore et monotone,(h)
Sur le penchant des toits noircis.(g)


Encore un de ces jours sans nombre, (i)
Qui, toujours trop lents à finir,(j)

Flétrissent de leur teinte sombre(i)
Et le présent et l’avenir ! (j)
Jours où la pensée inquiète (k)
Tremble d’interroger le sort, (l)
Où, selon les mots du prophète, (k)
L’âme est triste jusqu’à la mort ! (l)

 

Au terme de trois strophes (sur 12 rimes) aux schémas reconnus, mais associés chaque fois différemment- la rime croisée étant prioritaire- : 1e strophe : rimes croisées puis embrassées, 2e : croisées puis embrassées et 3e : croisées puis croisées, strophes  qui racontent un jeu espiègle et contrôlé sur la structure strophique.  

 

La suite du poème de 53 octosyllabes, sur 23 rimes se présente comme un corps irrégulier de 27 vers créant des alliances inattendues, aux  souples et fugitifs reflets sonores : un rythme sinueux qui devrait apporter une réponse à la question  posée dans les deux vers introducteurs qui suivent  :  

                                                                        
Aujourd’hui qui donc se hasarde (A)
À porter les yeux devant soi ? (B)

 

L'exergue l'a annoncé... L'espérance est désormais à l'arrière, l'avenir est plus qu'incertain.

L'histoire collective va rejoindre par le haut, mais à l'étroit, sous les toits (le lieu de l'infériorité sociale, celui d'une hauteur dégradée, tout comme l'est la poésie, au moment où Amable écrit) l'histoire d'une jeune fille de 13 ans, "entre l'enfance et la jeunesse" "entr'acte vide" et de ses illusions d'un avenir qu'elle croit "Pauvre enfant !" devant elle ... C'est là qu'est placé le mirage qu'est son miroir, le lieu de l'extériorisation de ses désirs...

Pour quelle étrange cérémonie se "pare"-t-elle ?

 

Peut-être, jeune enfant, c’est toi,(B)
Toi que je vois dans la mansarde (A)
Qui s’ouvre là-bas devant moi ? (B)
Elle est là, riante et proprette ;(C)
Pourtant, du matin jusqu’au soir,(D)
Elle est seule dans sa chambrette ;(C)

Seule ? non, elle a son miroir ;(D)
Son œil malicieux et noir (D)
S’y porte et reporte sans cesse, (E)
Rit, minaude, boude ou caresse ;(E)
Et pourtant que peut-elle y voir ?(D)
Ses treize ans, au corps mince et frêle,(F)
Aux longs bras chétifs, au col grêle ;(F)
Âge sans charme et sans secrets,(G)

Entr’acte vide et sans attraits,(G)
Entre l’enfance et la jeunesse ! (E)
Court sommeil du temps qui nous presse,(E)
Moment d’attente ou de regrets,(G)
Qui, semblable à l’heure incertaine,(H)
Où flottent le jour et la nuit,(I)
Fait rêver la grâce lointaine,(H)
De l’âge qui naît ou qui fuit !(I)

Mais la voilà qui se prépare :(J)
Elle ajuste, selon ses vœux,(K)
Les plis du fichu qui la pare,(J)
Et sous ses doigts, lustre et sépare(J)
Les noirs bandeaux de ses cheveux.(K)

 

Désormais c'est en quatrains à rimes régulièrement croisées, - comme si tout était joué d'avance - que va se dérouler le texte. La jeune fille se délivre, par l'action, du "moment d'attente" songeur dans lequel elle était enfermée.

Elle va agir...et en quoi cette action consiste-t-elle ? A se déguiser, toujours sous les yeux du miroir enchanteur, en mariée, vêtue de "gaze fanée", de "festons de papier" et à "singe[r]" son mariage...

 

Bientôt on dirait qu’elle écoute (L)
Avec un timide embarras, (M)
Ce que dit le miroir sans doute,(L)

Et sa bouche y répond tout bas.(M)

Mais tout-à-coup la scène change ;(N)
Au gré d’un mobile cerveau,(O)
Sous ses mains actives s’arrange(N)
Le thème d’un drame nouveau.(O)

Un lambeau de gaze fanée, (P)
Quelques festons de papier blanc,(Q)
Singent, sur sa tête inclinée,(P)

Le voile et l’oranger tremblant ;(Q)

Puis, agenouillée elle prie(R)
Avec un maintien solennel :(S)
Plus de doute, elle se marie,(R)
Et le miroir tient lieu d’autel.(S)

 

Les deux dernières strophes concluent sur le thème souvent abordé dans la littérature féminine du mariage malheureux. Toute noce devrait s'arrêter (comme dans les contes ...) au moment de la cérémonie et du bal.

Ironique, elle taille en pièces les rêves des jeunes filles naïves, qui plus est quand elles sont pauvres...

 

Un moment… le jeu dure encore :(T)
De danse une noce a besoin ;(U)
Au bal le roman doit se clore :(T)

Pourvu qu’il n’aille pas plus loin !(U)


Si jeune, et déjà si coquette, (V)
Rêver, lorsque tout le défend,(W)
Amour, mariage, toilette,(V)
Dans la mansarde ?… Pauvre enfant ! …(W) 

 

Victor Hugo regardera lui aussi une jeune fille par la lucarne, mais avec le souffle épique qu'on lui connaît, il en profitera pour parler de Napoléon et de ses vétérans, pour faire le point sur sa mission de poète et pour donner directement à la jeune fille quelques bons conseils pratiques de pygmalion : Sois pure sous les cieux ! (...) Sois calme (...) Sois joyeuse (...) Sois bonne...Ainsi, tu resteras, comme un lys, comme un cygne, Blanche entre les fronts purs marqués d'un divin signe ...

 Regard jeté dans une mansarde
Recueil : Les rayons et les ombres (1840).

 


"(...) Et dans l’intérieur par moments luit et passe
Une ombre, une figure, une fée, une grâce,
Jeune fille du peuple au chant plein de bonheur,
Orpheline, dit-on, et seule en cet asile,
Mais qui parfois a l’air, tant son front est tranquille,
De voir distinctement la face du Seigneur.

On sent, rien qu’à la voir, sa dignité profonde.
De ce cœur sans limon nul vent n’a troublé l’onde.
Ce tendre oiseau qui jase ignore l’oiseleur.
L’aile du papillon a toute sa poussière.
L’âme de l’humble vierge a toute sa lumière.
La perle de l’aurore est encor dans la fleur. (...)

Fille heureuse ! autour d’elle ainsi qu’autour d’un temple,
Tout est modeste et doux, tout donne un bon exemple.
L’abeille fait son miel, la fleur rit au ciel bleu,
La tour répand de l’ombre, et, devant la fenêtre,
Sans faute, chaque soir, pour obéir au maître,
L’astre allume humblement sa couronne de feu.

Sur son beau col, empreint de virginité pure,
Point d’altière dentelle ou de riche guipure ;
Mais un simple mouchoir noué pudiquement.
Pas de perle à son front, mais aussi pas de ride,
Mais un œil chaste et vif, mais un regard limpide.
Où brille le regard que sert le diamant ? (...)

                      
(...) Le matin elle chante et puis elle travaille,
Sérieuse, les pieds sur sa chaise de paille,
Cousant, taillant, brodant quelques dessins choisis ;
Et, tandis que, songeant à Dieu, simple et sans crainte,
Cette vierge accomplit sa tâche auguste et sainte,
Le silence rêveur à sa porte est assis.

 

Quant à Théophile Gautier, grâce à la mansarde, il mettra en cause le caractère artificiel et mensonger du cadrage poétique « Si je mentais comme un auteur, /Je pourrais faire à sa fenêtre/ Un cadre de pois de senteur, // Et vous y montrer (…) quelque (...) grisette (…) pour qui "Une mansarde est toujours triste" car » Le grenier n'est beau qu'en chanson".  

 

                                                                                                                La mansarde

Sur les tuiles où se hasarde
Le chat guettant l'oiseau qui boit,
De mon balcon une mansarde
Entre deux tuyaux s'aperçoit.

Pour la parer d'un faux bien-être,
Si je mentais comme un auteur,
Je pourrais faire à sa fenêtre
Un cadre de pois de senteur,

Et vous y montrer Rigolette
Riant à son petit miroir,
Dont le tain rayé ne reflète
Que la moitié de son œil noir ;

Ou, la robe encor sans agrafe,
Gorge et cheveux au vent, Margot
Arrosant avec sa carafe
Son jardin planté dans un pot ;

Ou bien quelque jeune poète
Qui scande ses vers sibyllins,
En contemplant la silhouette
De Montmartre et de ses moulins.

Par malheur, ma mansarde est vraie ;
Il n'y grimpe aucun liseron,
Et la vitre y fait voir sa taie,
Sous l'ais(1) verdi d'un vieux chevron.(...)

 

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