Atelier poésie du 24 novembre 2015 avec Anna de Noailles lien Wikipedia.org
Sa poésie a pour thème privilégié la beauté tranquille et l'exubérance de la nature des bords du lac En 1897 elle épouse le comte Mathieu de Noailles. Ils auront un fils, le comte Anne Jules.
Anna de Noailles fut la muse d' Henri Franck normalien et poète patriote proche de Maurice Barrès. Elle fut également rendue responsable du suicide, en 1909, du jeune Charles Demange, un neveu de Maurice Barrès qui souffrait pour elle d'une passion qu'elle ne partageait pas.
Au début du xxe siècle, son salon de l'avenue Hoche attire l'élite intellectuelle, littéraire et artistique de l'époque parmi lesquels Edmond Rostand, Francis Jammes, Paul Claudel, Colette, André Gide, Maurice Barrès, René Benjamin, Frédéric Mistral, Robert de Montesquiou, Paul Valéry, Jean Cocteau, Léon Daudet, Pierre Loti, Paul Hervieu, l'abbé Mugnier ou encore Max Jacob, Robert Vallery-Radot et François Mauriac. C'est également une amie de Georges Clemenceau.
En 1904, avec d'autres femmes, parmi lesquelles Julia Daudet et Judith Gautier, fille de Théophile Gautier, elle crée le prix « Vie Heureuse », issu de la revue La Vie heureuse, qui deviendra en 1922 le prix Fémina, récompensant la meilleure œuvre française écrite en prose ou en poésie.
Elle meurt en 1933 dans son appartement de la rue Scheffer et est inhumée au cimetière du Père-Lachaise à Paris, mais son cœur repose dans l'urne placée au centre du temple du parc de son ancien domaine d'Amphion-les-Bains.
Elle fut la première femme commandeur de la Légion d'honneur ; la première femme reçue à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique (au fauteuil 33 ; lui ont succédé Colette et Cocteau).
Elle était aussi membre de l'Académie roumaine.
Son lyrisme passionné s'exalte dans une œuvre qui développe, d'une manière très personnelle, les grands thèmes de l'amour, de la nature et de la mort, de la finitude humaine et aussi la poésie pour atteindre à l'immortalité. Athée habitée d'une conscience tragique, elle évoque le paradoxe de la nature qui élimine les témoins pouvant dire son éternité.
POEMES
Je crois voir, entendre, - mais rien
De terrestre, d'aérien,
Ne me touche, ne m'intéresse,
N'éveille ma morne paresse,
Qu'en montrant à mon triste esprit,
-Et fût-ce une cloche qui sonne,
Un passant, une odeur, un cri, -
L'arabesque de ta personne...
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Sans t'aimer encor, j'aime encor ta voix.
sans me déchirer, ton regard me touche.
Mon coeur est plus vif dès que je te voix,
Je rêve aux défauts de ta belle bouche.
Tout de toi me plaît, mais séparément.
Tu n'es plus pour moi le plaisir suprême,
Car seul mon désir plein d'entêtement
Faisait de ton être un divin toi-même !
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Tout de toi me trompe : tu danses
Si tu marches ! Ton corps de miel
N'a nulle humaine ressemblance.
Tu sembles immatériel
A mon regard. Et ta présence
S'enveloppe de ce silence
Qui rêve, altier et sensuel,
Dans la solennité du ciel...
Le jardin et la maison
Voici l'heure où le pré, les arbres et les fleurs
Dans l'air dolent et doux soupirent leurs odeurs.
Les baies du lierre obscur où l'ombre se recueille
Sentant venir le soir se couchent dans leurs feuilles,
Le jet d'eau du jardin, qui monte et redescend,
Fait dans le bassin clair son bruit rafraîchissant ;
La paisible maison respire au jour qui baisse
Les petits orangers fleurissant dans leurs caisses.
Le feuillage qui boit les vapeurs de l'étang
Lassé des feux du jour s'apaise et se détend.
- Peu à peu la maison entr'ouvre ses fenêtres
Où tout le soir vivant et parfumé pénètre,
Et comme elle, penché sur l'horizon, mon coeur
S'emplit d'ombre, de paix, de rêve et de fraîcheur...
Il fera longtemps clair ce soir
Il fera longtemps clair ce soir, les jours allongent,
La rumeur du jour vif se disperse et s'enfuit,
Et les arbres, surpris de ne pas voir la nuit,
Demeurent éveillés dans le soir blanc, et songent...
Les marronniers, sur l'air plein d'or et de lourdeur,
Répandent leurs parfums et semblent les étendre ;
On n'ose pas marcher ni remuer l'air tendre
De peur de déranger le sommeil des odeurs.
De lointains roulements arrivent de la ville...
La poussière, qu'un peu de brise soulevait,
Quittant l'arbre mouvant et las qu'elle revêt,
Redescend doucement sur les chemins tranquilles.
Nous avons tous les jours l'habitude de voir
Cette route si simple et si souvent suivie,
Et pourtant quelque chose est changé dans la vie,
Nous n'aurons plus jamais notre âme de ce soir...
L'automne
Voici venu le froid radieux de septembre :
Le vent voudrait entrer et jouer dans les chambres ;
Mais la maison a l'air sévère, ce matin,
Et le laisse dehors qui sanglote au jardin.
Comme toutes les voix de l'été se sont tues !
Pourquoi ne met-on pas de mantes aux statues ?
Tout est transi, tout tremble et tout a peur ; je crois
Que la bise grelotte et que l'eau même a froid.
Les feuilles dans le vent courent comme des folles ;
Elles voudraient aller où les oiseaux s'envolent,
Mais le vent les reprend et barre leur chemin
Elles iront mourir sur les étangs demain.
Le silence est léger et calme ; par minute
Le vent passe au travers comme un joueur de flûte,
Et puis tout redevient encor silencieux,
Et l'Amour qui jouait sous la bonté des cieux
S'en revient pour chauffer devant le feu qui flambe
Ses mains pleines de froid et ses frileuses jambes,
Et la vieille maison qu'il va transfigurer
Tressaille et s'attendrit de le sentir entrer...
L'empreinte
Je m'appuierai si bien et si fort à la vie,
D'une si rude étreinte et d'un tel serrement,
Qu'avant que la douceur du jour me soit ravie
Elle s'échauffera de mon enlacement.
La mer, abondamment sur le monde étalée,
Gardera, dans la route errante de son eau,
Le goût de ma douleur qui est âcre et salée
Et sur les jours mouvants roule comme un bateau.
Je laisserai de moi dans le pli des collines
La chaleur de mes yeux qui les ont vu fleurir,
Et la cigale assise aux branches de l'épine
Fera vibrer le cri strident de mon désir.
Dans les champs printaniers la verdure nouvelle,
Et le gazon touffu sur le bord des fossés
Sentiront palpiter et fuir comme des ailes
Les ombres de mes mains qui les ont tant pressés.
La nature qui fut ma joie et mon domaine
Respirera dans l'air ma persistante ardeur,
Et sur l'abattement de la tristesse humaine
Je laisserai la forme unique de mon coeur...
L'hiver
C'est l'hiver sans parfum ni chants...
Dans le pré, les brins de verdure
Percent de leurs jets fléchissants
La neige étincelante et dure.
Quelques buissons gardent encor
Des feuilles jaunes et cassantes
Que le vent âpre et rude mord
Comme font les chèvres grimpantes.
Et les arbres silencieux
Que toute cette neige isole
Ont cessé de se faire entre eux
Leurs confidences bénévoles...
- Bois feuillus qui, pendant l'été,
Au chaud des feuilles cotonneuses
Avez connu les voluptés
Et les cris des huppes chanteuses,
Vous qui, dans la douce saison,
Respiriez la senteur des gommes,
Vous frissonnez à l'horizon
Avec des gestes qu'ont les hommes.
Vous êtes las, vous êtes nus,
Plus rien dans l'air ne vous protège,
Et vos coeurs tendres ou chenus
Se désespèrent sur la neige.
- Et près de vous, frère orgueilleux,
Le sapin où le soleil brille
Balance les fruits écailleux
Qui luisent entre ses aiguilles...