Prise de notes - Victor Hugo et Lucrèce rayonnants et immanents grâce à un stimulant et poétique article - en lien- de Didi -Hubermann

Publié le par Claire Antoine

Prise de notes  - Victor Hugo et Lucrèce rayonnants et immanents grâce à un stimulant et poétique article - en lien- de Didi -Hubermann

Victor Hugo a écrit ..."A l’homme les langues anciennes qui permettent de prolonger l’héritage des génies, en particulier des "Hommes-Océans"A la femme les langues modernes, les langues vivantes qui permettent de communiquer et de fonder l’Europe" . Voilà qui m'amuse bien ...

EXTRAITS de l'article en lien, suffisants pour être, je l'espère, "ravis" mais rien ne vaut la lecture du texte en entier

"Un tourbillon d'atomes que domine la loi des frottements,

                                     “Pindare plane, Lucrèce plonge: Lucrèce est le plus risqué”.

En 1864, Hugo raconte sa découverte précoce du De rerum natura"Je me souviens qu’étant adolescent, un jour, à Romorantin, dans une masure que nous avions, sous une treille verte pénétrée d’air et de lumière, j’avisai sur une planche un livre, le seul livre qu’il y eût dans la maison, Lucrèce, De rerum naturaMes professeurs de rhétorique m’en avaient dit beaucoup de mal, ce qui me le recommandait.

J’ouvris le livre. […] Quelques instants après, je ne voyais plus rien, je n’entendais plus rien, j’étais submergé dans le poète; à l’heure du dîner, je fis signe de la tête que je n’avais pas faim, et le soir, quand le soleil se coucha et quand les troupeaux rentrèrent à l’étable, j’étais encore à la même place, lisant le livre immense."

Dans ces pages fameuses sur ceux qu’il nomme les “hommes océans”,

Hugo n’explicite cet immense du poème lucrétien par rien d’autre que par l’immanence porteuse de toute son entreprise: Lucrèce, c’est cette grande chose obscure: Tout.

[…] Il a vu tant d’hommes qu’ils ont fini par se confondre tous dans sa prunelle et que cette multitude est devenue pour lui fantôme. Il est arrivé à cet excès de simplification de l’univers qui en est presque l’évanouissement. Il a sondé jusqu’à sentir flotter la sonde. […] Peut-être a-t-il parlé dans les roseaux à Oannès, l’hommepoisson de la Chaldée, qui avait deux têtes, en haut une tête d’homme, en bas une tête d’hydre, et qui, buvant le chaos par sa gueule inférieure, le revomissait sur la terre par sa bouche supérieure, en science terrible.

Lucrèce a cette science.

Isaïe confine aux archanges, Lucrèce aux larves. Lucrèce tord le vieux voile d’Isis trempé dans l’eau des ténèbres, et il en exprime, tantôt à flots, tantôt goutte à goutte, une poésie sombre.

L’illimité est dans Lucrèce.

Par moments passe un puissant vers spondaïque presque monstrueux et plein d’ombre […]. Çà et là une vaste image de l’accouplement s’ébauche dans la forêt […]; et la forêt, c’est la nature. Ces vers-là sont impossible à Virgile.

Lucrèce tourne le dos à l’humanité et regarde fixement l’Énigme.

Sur un petit feuillet conservé à la Bibliothèque nationale de France, Hugo a dessiné le profil sévère d’un homme barbu; une sorte de tache, devant sa bouche, semble faire office de souffle sombre, comme ce chaos “revomi sur la terre” par la gueule de l’homme-poisson.

             “Démocrite riait / Héraclite pleurait / Aristote observait”.

                                                       “Lucrèce songe”

. Comme dans bien d’autres dessins, le visage tracé à la plume semble exhaler cette “vision” même – ou cette “science terrible” – que le lavis rend indistinct comme un tourbillon dans lequel tout est appelé à se noyer, à se fondre.

Or, Hugo revendiquait bien pour lui-même la “méthode du songeur” issue de cette vieille poésie philosophique.

On reconnaît partout les caractéristiques lucrétiennes de la pensée de Hugo:

dire le Tout dans un poème; rêver sur les atomes, les semences, les animalcules, les monstres de la création; tirer un trait d’union – établir la morphologie commune ou l’”analogie universelle” – entre l’infiniment petit et l’infiniment grand;

réfléchir à la chute des éléments et aux bifurcations du clinamen;

penser toute chose sous l’angle du mouvement et de l’attraction sexuelle, mais aussi de la corrosion, de la destruction, de la pulvérisation;

regarder le fourmillement des êtres comme une constante germination du milieu, une puissance de l’immanence. 

C’est ainsi que le monde hugolien est à comprendre comme une “ondulation universelle”, un tourbillon d’atomes que domine la loi des “frottements”, un rayonnement de toute substance:

“Tous les corps rayonnent leur substance [et] leur image”, écrit bien Hugo dans une variante attentive – l’usage transitif du verbe l’atteste – de la théorie lucrétienne des simulacres. “De tout lac il se dégage une vapeur, de toute pensée une rêverie, de toute poésie une musique” .

Bref, “tout est grand dans la création [et] le petit n’existe que dans l’ordre moral”:

le monde entier a sa figure dans un simple tronc d’arbre coupé, alors même que des “monstres” surgissent de ses racines.

“Hé, prends ton microscope, imbécile! et frémis. Tout est le même abîme avec les mêmes ondes”. (...)