Si vous avez la chance d'être du côté d'Avignon, en juillet, allez voir ou revoir le Tartuffe de la Compagnie Astrov (lorraine) mis en scène par Jean de Pange - Stand up et grande comédie : " Une certaine manière de faire du théâtre" et de jouer Tartuffe de Molière (création mai 2014 à Metz)
La compagnie Astrov est solidaire
du mouvement des intermittents du spectacle.
Astrov au Festival Avignon Off 2014
avec le diptyque Molière
Tartuffe / Dom Juan
Tartuffe les jours impairs : soit le 9, le 11, le 13, le 15, le 17, le 19, le 21, le 23, le 25 et dernier jour le 27, à l'Entrepôt, à 15h30
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Comme je m'y suis prise trop tard, je n'ai pas pu voir Dom Juan, je ne parle donc que de Tartuffe, et seulement d'une certaine représentation à laquelle j'ai assisté en mai dernier, à Metz, au Saulcy, dans l'espace Bernard-Marie KOLTES.
Mes propos datent du lendemain de cette représentation, je ne les ai pas retouchés, bien que j'y repère évidemment des maladresses, des oublis et des erreurs orthographiques...Je les laisse "en l'état"...
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Projet à la fois ambitieux et "casse gueule"
que celui de monter Tartuffe au XXI e siècle
"Stand-up" au service de la grande comédie
Eclairages.
1.Stand up : spectacle comique, qui doit apparaître improvisé. On y brise le quatrième mur, sans accessoires et sans costume. L'humoriste est à la merci du public et il évoque le quotidien de manière décalée permettant au spectateur de s'identifier à l'artiste. Et à sa manière il détourne certains stéréotypes
2.Il est extrêmement difficile d'échapper aux modèles. C'est une des pièces les plus jouées à la Comédie Française, plus de 33 000 fois !
3.On peut aussi se souvenir que quand quelqu'un faisait "des choses" qui ne correspondaient pas à ce qu'il disait, prétendait être ce qu'il n'était pas on le traitait d'hypocrite, de "Tartuffe", de "masque". Que le mot Hypocrite vient du grec et signifie aussi acteur de théâtre, celui qui portait un masque, au sens concret du terme, pour amplifier sa voix. Mise en abyme.
4.Et aussi parce que au XVIIe « l’affaire du Tartuffe », a défrayé la chronique. La pièce fut censurée par le roi lui-même. Jugée par la Gazette « injurieuse à la religion et capable de produire de très dangereux effets », elle est interdite sous la pression de la Cabale des dévots.
5. Mais Molière fut-il pour autant un auteur/acteur/metteur en scène/directeur de troupe considéré comme officiellement subversif eu égard à des prises de position jugées potentiellement dangereuses pour le pouvoir dans sa capacité à se maintenir en place ?
Quelques notes un peu désordonnées, mais je les reprendrai, car il y a à dire, tant le travail de mise en scène, de réalisation a été pensé, avec passion et intelligence. Intelligence des lectures, de l'interprétation...
C'était hier au soir,
A l'espace nommé
Bernard -Marie Koltès
Il y avait du monde
On y donnait Tartuffe.
Le Tartuffe de la Compagnie Astrov, créée par Jean de Pange en 2004, avec les excellents comédiens que sont, par ordre alphabétique, Clémentine Bernard, Céline Bodis, Julien Buchy, Fabrice Cals, Laurent Frattale, Laurent Joly, Julien Kosellek.
Jouer aussi près du public, avec lui et de lui, en quelque sorte est extrêmement difficile en termes "d'énergie". Des comédiens s'ils ne sont pas "pleins" de leur rôle, totalement investis, risquent en cours de route de "perdre" leur personnage et parfois le fil du texte.
Qu'est-ce qui s'est dit dans ce lieu, lieu traditionnel, dédié aux travestissements ?
Les hommes, c'est l’usage au moins jusqu’au XVIe siècle, interprètent les rôles féminins. Puis, plus tard chez Marivaux les femmes ont commencé à tenir des rôles masculins. Plus près de nous Sarah Bernard a joué l'Aiglon, Hamlet et d'autres rôles masculins.
Approche de la pièce reliée à l'histoire du théâtre car un des comédiens, par exemple, est à la fois le frère et la soeur, Damis et Marianne. Tartuffe est aussi madame Pernelle. Dorine est une très jeune femme
Au XVIIe c'est la cour qui était sur la scène au plus près des acteurs
Le dispositif scénique est très intéressant.
La scène classique regroupe, densifie. C'est la scène avec ses multiples signes, encodages, ses strates, condensées de temps ( temps de l'horloge pour chacun de ceux qui sont dans le lieu/temps historique/temps narratif), d'espace, de psychologie individuelle et sociétale...
La scène avec tout ça, donc, tout ça regroupé et tourné, vers la salle que celui qui joue ne voit pas trop bien, aveuglé qu'il est par les spots qui le tiennent en respect dans leur halo de lumière, versus le Public, en attente, avide de quelque chose d'unique, mais face à face dans une relation duale.
Là, c'est le public qui devient le lieu, qu'il circonscrit.
Ce qui crée pour les comédiens une tension entre leur fonction qui est de proposer une lecture singulière d'un texte - d'un bloc de texte- que le public connaît sans doute, lecture sur laquelle ils sont attendus dans l'espoir de voir (enfin ?) la version qui bouleversera à jamais la vision de l'oeuvre. Donc une attente très forte, unifiée, unifiante - à laquelle s'oppose la dispersion des comédiens dans les cordes, - conçue comme un dispositif "élastique"- qui les ramènent brusquement des 4 coins du ring, au centre et à la lumière, comme dans un désir de revenir en découdre.
Quand Valère rit, en cascade, le public rit aussi, entraîné et en compétition avec lui, car le rieur, au fond, c'est celui qui comprend. Or qui comprend mieux que l'acteur les enjeux secrets du texte, de la mise en scène ?.
Côté public ...
une sorte d'inquiétude vague...difficile de tousser, de bouger, de manger des bonbons, ou de sortir poussé par quelqu'envie pressante...car pour le coup ce ne sont pas seulement vos voisins proches dérangés dans leur adhésion "spectatrice", qui vous feraient les gros yeux, vous engageant à ne pas déranger le bon déroulement du jeu.
Car, que feraient-ils les acteurs, si le public ne se sentait pas librement prisonnier consentant ?
Serait-il que devenu lieu, il soit aussi devenu "objet" ?
Alors, qu'est-ce qui se dit, vraiment, dans l'alliance entre tous les protagonistes, complices du jeu ? On rit beaucoup, surtout, en gros, dans la première partie qui est plus référencée à une réalité d'aujourd'hui et aux problèmes sociétaux sur-médiatisés.
Marianne/ Damis est formidable. Le comédien joue les deux rôles. Il est frère et soeur, fils/fille d'Orgon, créature parfaite, animus/anima. Mais le plus amusant c'est que prenant en compte le côté plutôt insipide de leur caractère de jeunes premiers amoureux tout mignons, il les transpose en personnages de séries télé, souples et tortillés. Et les soupirs, Marianne en cliché de l'ado contemporaine parfaite, avachie sur la table ! Hilarant
Autre chose...
Le moment pour moi le plus fort émotionnellement, à la limite de la saturation, où j'étais dans un désir de fuite a été le moment de la "tractation" autour de la table, au sujet du sort dévolu à Marianne, dans la volonté paternelle, déchirée, tragiquement annihilée par la volonté d'Orgon, de soumettre sa fille et de "l'offrir" à Tartuffe. Vente aux esclaves, innocence bafouée, violée... Dorine et Elmire, adjuvants de Marianne, psalmodiaient à la manière des pleureuses antiques, la guitare se faisait explication, commentaire réprobateur, de ce qui était entrain de se jouer là, soulignant par son crescendo l'abus d'autorité, dans son paroxysme. Et les pleurs de Marianne...des pleurs puissantes, qui en faisaient à ce moment là une victime "touchante". Le fait que son rôle soit tenu par un homme à la forte présence en a - pour une fois -donné une, à ce personnage. Ça, c'est nouveau et fort ! Et le rajout, au texte de Molière, du vocatif "Papa", celui auquel la souffrance était dédiée a fait sortir le spectateur du maléfice tragique.
En ce qui me concerne d'habitude, je ne supporte pas que le texte subisse des transformations mais je dois avouer que là, c'est "juste génial".
La dérision en quelque sorte était de retour.
Là aussi, le "cri primal", d'habitude c'est pour "maman"...La scène originelle, conçue d'ailleurs comme l'union d'Orgon et de Tartuffe. Un Tartuffe absent de la table des négociations...Mais tellement là. Peut-être même plus fort absent que présent. Fort dans le fantasme d'Orgon. Clin d'oeil aussi au "mariage pour tous"
"Couvrez ce sein que je ne saurais voir"... Dorine topless.
Dorine qui enlève le haut, met à jour l'hypocrisie de Tartuffe, homme d'Eglise - voyou qui sera lui aussi un peu plus tard torse nu tout comme Orgon. Mais comme on est au XXIe siècle pour montrer la même chose, créer la même intensité de trouble chez le personnage, on transpose et on en fait plus.
Double énonciation du théâtre
Violence ? Hommes et femmes invités par surprise, à quelques minutes de voyeurisme.
Mise en scène de "l'hypocrisie des spectateurs", et donc pas uniquement -mais aussi -des membres du clergé...qui ont fait comme si de rien n'était. Prisonniers d'une certaine forme de conformisme de la banalisation du corps, des supposées attentes de la Culture et de l'Intelligence et de la Modernité...Egalité inégale des sexes. Banalisation de la vue des poitrines. Peut-on regarder avec un même regard une poitrine d'homme ou une poitrine de femme, beaucoup plus érotisée dans la littérature, le cinéma et la publicité.
Transgression que les seins nus d'une Dorine mère de substitution des enfants d'Orgon.
Clin d'oeil aux Femens, pour qui la religion fait partie des obscurantismes à "éradiquer" mais détourné quand même car si comme dans un documentaire passé à la télévision, il y a peu de temps deux universitaires, je crois, insistaient sur le côté désincarné et non érotique des seins nus de nos professionnelles - nos Mariannes...- de la provocation, désireuses de mettre à bas l'infâme représenté par les religions et en particulier l'église catholique... La question sexuelle n'a pas été éludée, portée par Dorine, une femme du XVIIe siècle, dont on connaît l'attachement à la famille, à la domus, au mariage, à la pudeur etc. Une femme seule à demi nue, "offerte" à la vue de spectateurs mis sur un pied d' égalité : jeunes et vieux, hommes et femmes
Acte III
Retournement ( inversion des forces en présence), dû à mon avis au partie pris de mise en scène. "D'habitude", si on connaît le texte, --- je ne peux évidemment pas parler pour quelqu'un qui approcherait la pièce pour la première fois --- on attend avec jubilation l'acte III et donc l'arrivée de Tartuffe. D'ailleurs, classiquement dans une pièce en 5 actes, selon un schéma narratif "basique", le point culminant, le noeud c'est l'acte III et c'est l'affrontement entre Tartuffe et Elmire qui devrait retenir l'attention. Or, ce n'est pas le cas. La tension baisse en leur présence. Du fait, peut-être de la distance spatiale que la mise en scène crée entre les personnages. Il semblerait que les duos n'aient pas vraiment, ne puissent pas avoir vraiment d'intérêt, même en mettant les spectateurs dans le coup. Ce qui fait qu'au fond, franchement, à l'acte IV le viol d'Elmire...On s'en moque un peu.
Pour cet épisode-là, une scène classique avec des personnages qui se frôlent etc fait mieux ressortir ce qui est à l'origine du dérapage de Tartuffe, le caillou dans la chaussure qui met à bas tout le dispositif qu'il avait si habilement mis en place à savoir sa passion réelle pour Elmire. - C'est vrai que pour la première entrevue du "Je tâte votre habit, l'étoffe en est moelleuse", ils sont côte à côte, mais à la périphérie, dans l'ombre de l'intimité, sur le bord, avalés par les spectateurs -
Ce qui est mis en lumière c'est un homme dont on n'est pas sûr qu'il soit amoureux
L’écartèlement, aux quatre points cardinaux des personnages qui tirent les fils de la toile où sont retenus, à la frontière, même si elle est épaisse, irrégulière et trouée les prisonniers - spectateurs, empêche - je trouve- le texte de monter en puissance.
Il y a un refus de l’impérialisme de la tirade en alexandrins qui dévalue les passages connus et appréciés pour la nuance de leur rhétorique appréciée à la cour de Louis XIV tout à fait intéressant à prendre en compte.
La suppression de la scène finale évite de se pencher sur les conséquences de l' OPA d'un Tartuffe à la fois personnage et type.
Orgon n'est sauvé in extremis, dans le texte intégral, que par un "deus ex machina" de derrière les fagots. Là le retournement de situation qui porterait clairement l'affaire sur le terrain du pouvoir politique est escamoté. Tartuffe quitte la scène avant la mise à mort. Il rejoint l'ombre Tartuffe ne chassera pas Orgon de chez lui - de sa maison avec famille armes et bagages, tout cela symboles de bourgeoisie. Il ne sera pas puni.
Le Roi ne sauvera pas Orgon. Et le spectateur peut/doit alors rester sur l'idée d'une interprétation morale, celle pour Tartuffe du dupeur dupé, et pour Orgon qui n'ayant pas de "bons yeux" , manquant de clairvoyance et que sa mère, aveuglée, déraisonnable refuse de croire, alors qu'il multiplie pathétiquement les "je l'ai vu", "Je l'ai vu"...tourné vers les spectateurs qui vont aussi le lâcher, car être aussi "nul", franchement ...
MERCI pour ce spectacle. Je n'ai pas vu le temps passer
Mais, je m'arrête là pour aujourd'hui.
Il y aurait encore tellement de choses à dire encore sur l'apport du micro, de la guitare, du chant...
Claire ANTOINE-LHOTE