138 - Le masque me hante. Dialogue avec un tableau de Jacques Griesemer
Dans les enfractuosités des silences, dans les chuintements des vides, rêverie à partir du tableau de Jacques Griesemer intitulé Ah ! si c'est (c'était?) vrai !
Quand dans son discours introducteur à l'exposition "Quintessence" Richard Bance, ami du poète, lançait par anaphore : "Jacques sors de ce corps de Griesemer ! ", il proposait la piste d'une exposition énigme, à la recherche du secret de fabrication de l'oeuvre et de l'homme peintre, contenu dans le mot "quintessence"...Un lever de voile autobiographique ;
La quintessence du dévoilement
"Le masque me hante"
Qui suis-je ?
Un zanni de Bergame inquiétant
Demi-masque de bals masqués,
Des temps du carnaval.
Je pourrais être Brighella
Ah ! Bouffon ! Je te cherche querelle…
Miroir hanté
Où suis-je ?
M’a-t-on bandé les yeux ?
Dois-j’ te suivre en enfer ?
Deux cadres pour deux regards
« Ce que le peintre voit de moi sans regard
Ce que je vois de moi
n'est plus là
Plus d'âme
Plus de visage
Je ne me peux me distinguer »
Ah ! si c'est vrai ! Qui puis-je ?
Je pose pour toi
Je dis je vois
Je jette un dernier regard à mon image
Je vais entrer en scène
Je ne suis déjà plus là
Je suis déjà parti
Attends-moi !
Je te suis
C'est le monde à l'envers
Diabolique miroir
Maléfique
Qui interdit le face à face
Quitte les reflets offerts
Choisit de refuser la ressemblance
Choisit
Délibérément
De ne pas lever le voile
Le masque masque mes yeux
le masque
M'interdit de me voir
Mutique visage invisible
Simulacres sans profondeur
Réalité dévoyée du masque
Du moi qui se dissimule
Montre tes yeux !
Le réel du masque
Du modèle
Reformé en entier
Recréé dans la vérité du phantasme
Naît de l’illusion.
Ce qui manque est dans la glace
Quelque part
Et s'en va
Dissimulé
Dans un monde à l’envers
Inversé renversé
qui invente un autre chemin
Se brise sans brisure
Au tournant de la fenêtre
ouverte sur l’autre chemin
le chemin
De la face cachée
Du refus tragiquement inutile
Du double
Je ne veux pas me voir…
Tu ne peux pas te voir,
Le masque t’en empêche.
La source de l'image
ne peut –elle se souder à ton reflet d'avant ?
Je vois ce que tu ne verras jamais
Même si mon regard m'est refusé
Mon regard de personnage en partance
En grandes manches et grande collerette
En calotte fine et chausses bouffantes
Et ce masque sombre qui me retient
M’enserre dans la profondeur de moi
A l'intérieur si bien que le miroir
Prend ses distances
Et me complète
Et décide de ne garder que le corps en partance
Et le masque emprisonne son visage
Et retient dans sa force la voix de son âme
Hé ! Reste encore un peu !
Toi, tu ne me vois pas
Moi je dis, moi je ne vois rien
Rien de moi Rien
Rien voir de moi rien savoir ?
Ai-je une voix sans tête ?
Suis-je un je autre dans le jeu d’un autre ?
Mes émotions sont, dans mon corps, disséminées
Vers celui d'en face, de biais ou de dos
Non de biais
Si c'est vrai
Ah ! je commence à disparaître.
Si c'était vrai !
Tant pis ! Va ! Va !
Masque au secret bien gardé
Personnage de théâtre
Masque au costume large et mou
Pour vous je peux être n'importe qui
pour vous Je ne suis qu’une tête masquée
qui a disparu dans un panier
Et le reste du corps va suivre
Costume de comédien
mal ajusté
Distordu dans le miroir du rêve
Comme un vampire
En vert du malheur anonyme.