suite extrait article www.paris-sorbonne.fr/fr/IMG/pdf/SProvini_Aragon_definitif.pdf La poésie d'ARAGONdu crève-coeur à ...

Publié le par Claire

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ils vivront dans la mémoire grâce à la poésie77. « Les mythes ont force de faire agir »78. Comme l'écrit N. Piégay-Gros, « la poétique, pour Aragon...
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Rejetant une définition formelle de l’épopée, Aragon y voit plutôt une matière, qui dépend des
circonstances. Il établit un lien entre les fluctuations du genre épique et la vie politique nationale :
Le sens épique de la Chanson de Roland à nos jours reparaît à travers les siècles et les poètes, quand
les circonstances de la vie nationale sont épiques, mais empruntant alors des formes variables,
adaptées aux sociétés diverses où les malheurs du temps, la grandeur des entreprises se sont à
nouveau faits favorables à l’épopée.
Et pour ce qui est d’écrire une épopée sur le présent, Aragon a de grands modèles : Les
Tragiques et les Châtiments53. Ainsi, dans Le Musée Grévin, les intertextes albinéen et hugolien
dominent nettement. Le poème se compose comme ses modèles de sept chants. Figure
désindividualisée, collective, le je y occupe une position surplombante qui lui permet de
témoigner, de dénoncer et de juger. Le Musée Grévin, composé en décasyllabes et en alexandrins,
adopte un style épique54 : Marjolaine Vallin a relevé les procédés d’amplification, gradations,
hyperboles, répétitions et accumulations, qui confèrent, avec les allitérations en p, t et r et les
imprécations, sa violence au poème. Dans les invectives contre Laval du chant III, l’épopée vire
cependant à la satire, comme chez d’Aubigné :
Ce macaque est un maquignon de bas étage
Un gratte-sous hideux qui de tout fait marché
De l’encre du mensonge il tire son potage
Sur les clous du cercueil il est prêt à toucher
[...]
Tu crèveras c’est tout toi l’homme de Montoire
Une vieille charogne à la fin dégrisée
Nul ne t’hébergera la légende l’histoireChien galeux de partout et par tous refusé
La réalité que représente Aragon dans Le Musée Grévin a les caractéristiques du monde épique,
bipolarisé, en noir et blanc. Les figures de style privilégiées sont l’antithèse et le chiasme, par
exemple dans les distiques du chant I qui reposent sur un réseau d’opposition entre la lumière, le
matin, l’aurore et les ténèbres, la nuit, l’ombre :
Ils ont beau baptiser lumière les ténèbres
Elever l’ignorance au rang de la vertu
[...]
Ils ne peuvent cacher la couleur de leurs larmes
Il faut bien qu’à la nuit succède la matin
Il faut bien que l’aurore entre ses mains de cuivre
Consume ces rois d’ombre et leurs chantres pourris
Par-delà Le Musée Grévin, sans doute le plus épique de tous, l’ensemble des recueils d’Aragon
de cette période revêt une coloration héroïque : celle-ci tient à la façon dont le poète lie
constamment l’histoire au mythe.
De l’histoire au mythe
Aragon dénonce comme artificielle « l’opposition qui existe dans les esprits de nos jours entre
les mythes et l’histoire »55. La légende lui semble essentielle dans ce moment de l’histoire et il cite
dans le Témoin des martyrs ces deux vers de La Tour du Pin :
Les peuples qui n’ont plus de légendes
Sont condamnés à mourir de froid.
En effet, si le poète a pour tâche, grâce sa maîtrise du langage, de rétablir la vérité historique
en redonnant sens aux mots pervertis, il lui faut aussi rétablir la réalité éternelle, c’est-à-dire
mythique, de la France, contre sa réalité éphémère et temporelle – celle de la défaite, de
l’occupation et de la collaboration.
- Une lecture du présent à la lumière des mythes du passé
Poésie de circonstance et poésie épique à la fois, la double identité paradoxale de la poésie
d’Aragon renvoie à l’association qu’elle établit constamment entre histoire et mythe : l’histoire et
ses événements réels, que dénonce ou célèbre la poésie de circonstance, le mythe qui appartient
au domaine de l’épopée et à la mémoire collective. Aragon propose dans sa poésie une lecture des
événements présents à la lumière du mythe, et en particulier à la lumière de l’histoire et des
légendes médiévales.
On a vu que le détour par le Moyen Âge s’explique d’abord, à l’époque de la poésie « de
contrebande », par la volonté de crypter le message pour qu’il échappe à la censure.

Publié dans citations. Notes.

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