Jean-François Bert et Joëlle Strauser, « Introduction : Catastrophe(s) ? », Le Portique [En ligne], 22 | 2008, mis en ligne le 05 février 2009, Consulté le 21 novembre 2009. URL : http://lepor

Publié le par Claire

(...) Si l’on s’essayait aujourd’hui au même type de bilan pour nos cinquante dernières années, on placerait sans conteste au premier rang des « catastrophes » celle de Tchernobyl qui a définitivement remis en cause notre foi dans le progrès scientifique, foi que d’autres événements avaient déjà ébranlée. L’image de la catastrophe n’est plus celle d’un événement soudain, imprévu et violent : on sait désormais qu’elle a aussi et peut-être surtout une origine humaine.

4Tchernobyl illustre un paradoxe important propre à notre façon d’appréhender les catastrophes : être informé des risques suffit-il à nous faire réagir et changer ? Sommes-nous incapables de prendre des mesures préventives ? Sommes-nous à ce point « résignés » devant un avenir qui paraîtrait inéluctable en même temps qu’inacceptable ? La catastrophe n’est crédible qu’une fois advenue, qu’une fois photographiée et exposée par les médias, qu’une fois expertisée, jugée, quand des coupables sont désignés.

5Par ailleurs, depuis Tchernobyl, la perspective de l’anéantissement est à l’œuvre dans nos vies. Les modifications récentes de la jurisprudence pour les accidents, l’augmentation des primes d’assurances, l’apparition de la question de la prévention dans le champ juridique, etc., sont quelques-uns des épiphénomènes de la nouvelle éthique d’une société dans laquelle le risque de catastrophe, toujours à venir, accroit les mesures de sécurisation et ce que l’on appelle, en langage sociologique, la gestion des risques.

6Nous avons justement pris le parti de quitter ce champ juridique de la responsabilité, de la réparation et de la prévention, même s’il y a là beaucoup à apprendre sur le fonctionnement de nos sociétés, pour engager la réflexion dans trois autres directions.

7L’axe philosophique et épistémologique tente d’abord de « clarifier le concept ». La catastrophe est une de ces notions qui permet de désigner des phénomènes de déstructuration, dans leur forme la plus excessive, la plus incontrôlable, la plus inexplicable. Si la catastrophe est ce qui, « par définition », déborde la demande de sécurité éminemment prisée par nos sociétés modernes, nous avons voulu nous attacher au terme, à ses usages contemporains – souvent hyperboliques –, afin de pouvoir cerner les représentations dont ils sont porteurs, mais aussi de revenir aux éléments constitutifs de la notion. Catastrophe naturelle, catastrophe humanitaire, catastrophe psychique : s’agit-il toujours du même « concept » ? S’agit-il seulement d’un concept ? Au moins ce terme permet-il d’interroger et d’envisager un champ plus vaste que celui du risque et de poser les questions épistémologiques, éthiques, politiques qu’impliquent ses usages.

8L’axe anthropologique et historique nous invite, lui, à tenir compte des multiples échelles d’espace et de temps dans lesquelles ont lieu les catastrophes, mais aussi de la manière dont les victimes des catastrophes en font état. C’est en effet une des premières fonctions de l’anthropologie que de montrer la diversité « culturelle » des perceptions, la disparité et parfois même l’incohérence qui peut en résulter. La catastrophe ne prend véritablement sens que dans les nombreux récits qui l’actualisent : celui des pouvoirs publics, des victimes, des experts, celui également des textes historiques ou mythiques... Tout un répertoire des émotions est ici en jeu. Nous sommes toujours affectés, au premier sens du terme, par la catastrophe.

9La démarche de l’historien concerne aussi la catastrophe. C’est parce que l’on sait qu’un phénoméne s’est produit que l’on présuppose qu’il peut à nouveau avoir lieu, si ce n’est exactement au même endroit, du moins à proximité. Les catastrophes n’échappent pas au processus d’enregistrement, d’analyse des fréquences, de cartographie : on y fait des distinctions entre les risques « naturels » et ceux qu’on impute à la « géographie humaine », c’est-à-dire aux installations dangereuses, aux axes de circulation dangereux, comme les couloirs aériens... Ainsi le devoir incombe-t-il aux États modernes de lutter contre le hasard.

10L’axe esthétique, enfin, permet de rappeler que la catastrophe se transforme en spectacle. Il ne s’agit pas seulement des « amateurs » qui, suréquipés de matériel numérique, enregistrent avec froideur le déroulement spectaculaire des événements, mais aussi des diverses œuvres, films, photographies, récits littéraires, mises en scène diverses qui, en des styles fort différents – et parfois avec humour, tentent de présenter et d’interpréter aussi bien nos peurs voire nos terreurs, nos instincts de survie, nos espoirs ou nos désespoirs, ou encore les actes d’héroïsme que provoquent parfois les situations catastrophiques.(...)

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Référence électronique

Jean-François Bert et Joëlle Strauser, « Introduction : Catastrophe(s) ? », Le Portique [En ligne], 22 | 2008, mis en ligne le 05 février 2009, Consulté le 21 novembre 2009. URL : http://leportique.revues.org/index2293.html

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