Info relais - Cinna, tragédie de Corneille, à l'opéra théâtre de METZ le 22 mars à 20h
- Info
- suivie du monologue d'Auguste,de l'acte IV, scène II, "monument" d'irrésolution
- et d'une petite lecture critique, bien incomplète...du type " programme de seconde, au lycée".
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http://opera.metzmetropole.fr
CINNA, ou la clémence d'Auguste (1641)
Tragédie de Pierre CORNEILLE, 1606-1684
Mise en scène Laurent Delvert
Scénographie Frédéric Rebuffat
Avec Grégoire Leprince-Ringuet, Myriam Muller, Stéphane Daublain, Vincent Schmitt, Sandrine Attard
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Acte IV Scène II, "le"
monologue d'Auguste
Auguste
Ciel, à qui voulez-vous désormais que je fie
Les secrets de mon âme et le soin de ma vie ?
Reprenez le pouvoir que vous m'avez commis,
Si donnant des sujets il ôte les amis,
Si tel est le destin des grandeurs souveraines
Que leurs plus grands bienfaits n'attirent que des haines,
Et si votre rigueur les condamne à chérir
Ceux que vous animez à les faire périr.
Pour elles rien n'est sûr ; qui peut tout doit tout craindre.
Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre.
Quoi ! Tu veux qu'on t'épargne, et n'as rien épargné !
Songe aux fleuves de sang où ton bras s'est baigné,
De combien ont rougi les champs de Macédoine,
Combien en a versé la défaite d'Antoine,
Combien celle de Sexte, et revois tout d'un temps
Pérouse au sien noyée, et tous ses habitants ;
Remets dans ton esprit, après tant de carnages,
De tes proscriptions les sanglantes images,
Où toi-même, des tiens devenu le bourreau,
Au sein de ton tuteur enfonças le couteau :
Et puis ose accuser le destin d'injustice,
Quand tu vois que les tiens s'arment pour ton supplice,
Et que par ton exemple à ta perte guidés,
Ils violent des droits que tu n'as pas gardés !
Leur trahison est juste, et le ciel l'autorise :
Quitte ta dignité comme tu l'as acquise ;
Rends un sang infidèle à l'infidélité,
Et souffre des ingrats après l'avoir été.
Mais que mon jugement au besoin m'abandonne !
Quelle fureur, Cinna, m'accuse et te pardonne ?
Toi, dont la trahison me force à retenir
Ce pouvoir souverain dont tu me veux punir,
Me traite en criminel, et fait seule mon crime,
Relève pour l'abattre un trône illégitime,
Et d'un zèle effronté couvrant son attentat,
S'oppose, pour me perdre, au bonheur de l'état !
Donc jusqu'à l'oublier je pourrais me contraindre !
Tu vivrais en repos après m'avoir fait craindre !
Non, non, je me trahis moi-même d'y penser :
Qui pardonne aisément invite à l'offenser ;
Punissons l'assassin, proscrivons les complices.
Mais quoi ? Toujours du sang, et toujours des supplices !
Ma cruauté se lasse, et ne peut s'arrêter ;
Je veux me faire craindre, et ne fais qu'irriter.
Rome a pour ma ruine une hydre trop fertile :
Une tête coupée en fait renaître mille,
Et le sang répandu de mille conjurés
Rend mes jours plus maudits, et non plus assurés.
Octave, n'attends plus le coup d'un nouveau Brute ;
Meurs, et dérobe-lui la gloire de ta chute ;
Meurs : tu ferais pour vivre un lâche et vain effort,
Si tant de gens de coeur font des voeux pour ta mort,
Et si tout ce que Rome a d'illustre jeunesse
Pour te faire périr tour à tour s'intéresse ;
Meurs, puisque c'est un mal que tu ne peux guérir ;
Meurs enfin, puisqu'il faut ou tout perdre, ou mourir.
La vie est peu de chose, et le peu qui t'en reste
Ne vaut pas l'acheter par un prix si funeste.
Meurs ; mais quitte du moins la vie avec éclat ;
Éteins-en le flambeau dans le sang de l'ingrat ;
À toi-même en mourant immole ce perfide ;
Contentant ses désirs, punis son parricide ;
Fais un tourment pour lui de ton propre trépas,
En faisant qu'il le voie et n'en jouisse pas.
Mais jouissons plutôt nous-même de sa peine,
Et si Rome nous hait, triomphons de sa haine.
Ô Romains, ô vengeance, ô pouvoir absolu,
Ô rigoureux combat d'un coeur irrésolu
Qui fuit en même temps tout ce qu'il se propose !
D'un prince malheureux ordonnez quelque chose.
Qui des deux dois-je suivre, et duquel m'éloigner ?
Ou laissez-moi périr, ou laissez-moi régner.
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Point " technique"
le monologue dans le théâtre classique : paroxysme de la crise.
Un personnage, seul sur scène, en proie à un trouble violent, se parle à haute voix à lui-même. Le spectateur est le point d'appui muet de sa prise de parole. Comme une sorte de conscience sociale, à laquelle il peut tout dire, qui permet le retour sur soi, mais qui ne peut prendre de décision à sa place.
A l'heure du choix, dela tentative de résolution du dilemme qui empêche / précède l'action qui s'était arrêtée, le monologue peut prendre la forme d'un dialogue intérieur ou d'un dialogue avec des destinataires absents.
OU CHOISIR UNE SOLUTION
OU S'EPANCHER, CHERCHER à SE
DIRE, se JUSTIFIER
Monologue alors plus lyrique. Le
personnage manifeste une émotion violente, sans avoir à décider. Monologues moins construits, qui montrent le désordre de la pensée du personnage, entre raison et
folie.
En général, MOMENT CLE pour la
suite
*** Retour à Octave/Auguste
Situation
Auguste vient d’apprendre qu’un complot a été fomenté contre lui par Cinna et par Maxime
Cependant Auguste était prêt à quitter de lui-même le pouvoir.
Composition du monologue
Rappel : en général, schématiquement, un monologue cornélien comporte 3 phases : l’émotion, la prise de conscience et la décision, grâce à laquelle les les contradictions sont surmontées.
Ici, il est plus nuancé, plus complexe. 1ère partie : les constats
- Prière amère, désillusionnée où Auguste confirme les idées qu’il s’était faites sur le pouvoir qui « donnant des sujets, ôte des amis ». - « Rappel du passé » : histoire effrayante, sanglante, connue par le lecteur/spectateur de la prise de pouvoir d’Auguste. Les remords ne l’ont pas quitté. Il est parvenu par la violence à la dignité suprême et à son tour, il doit craindre la violence. Ce passage le présente comme résigné. - Mais, il se ressaisit devant la dérision de sa situation : Cinna qu'il traitait mieux qu'un fils, comme un héritier, le trahit ! - Puis Auguste formule sa prise de conscience de l’inutilité politique de la vengeance, de la répression qui décuple la haine publique.
2ème partie : les "décisions"
- La mort...pour sortir de l'impasse. Pour lui et pour le traitre... « Meurs ! mais tue Cinna ! Qu’il ne jouisse pas de ta mort ! »
- ou alors...vivons encore un peu, mais en accomplissant la vengeance...Le monologue se termine sur une absence de décision...frustrante; sur une prière qui rejoint celle du début. Rien, à ce moment de la pièce, dans ses rouages visibles n'a véritablement changé. Il semblerait que la décision ne puisse pas appartenir au pouvoir terrestre.
les 2 derniers vers montrent les sables mouvants dans lesquels s'enfonce Auguste qui à ce stade d'incapacité à résoudre ses conflits internes a besoin, peut-être, de faire silence, de se retirer de la scène publique, loin des yeux des spectateurs : il reste, au bout d'un si grand nombre de vers, tellement irrésolu. Le monologue ne l'a en rien soulagé. Le dilemme reste intact
" Qui des deux dois-je suivre, et duquel m'éloigner ?
Ou laissez-moi périr, ou laissez-moi régner."
Auguste a les mains liées, il est dans l'incapacité d'agir pour de multiples raisons : politiques, « une tête coupée en fait renaître mille… »; morales : ce qui m’arrive n’est qu’un effet de la justice immanente, je suis jugé pour mes crimes; affectives : Auguste a aimé – et aime encore – Cinna comme un fils et comme un ami. L'aveu de son impuissance est aussi celui du "public" qui ne peut pas choisir non plus et qui donc ne peut pas lui insuffler d'énergie.
On voit bien que la force doit venir d'ailleurs... pour le rendre capable d'agir....en prince empereur transcendé et réconcilié avec lui, et par vagues successives ceux qui sont autour de lui du plus proche au plus lointain. Pour lui, ce sera " la virtus ".
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