Août 2013 "Instants poétiques", d'Alain Helissen
Alain Helissen ou une idée de la poésie comme activité vitale et exploratoire.
Sa poésie bondit et souvent dialogue avec d'autres pratiques artistiques qui explorent une matière palpable et concrète, modelable. A la manière dont Apollinaire ou Blaise Cendrars ont commencé à faire entrer dans leurs textes poétiques la ville, et la "machine" - le dernier allant encore plus loin, vers la poésie simultanée, en compagnie de Sonia Delaunay, le poète, Alain Helissen, qui vit à Sarrebourg, inscrit à la fois au coeur de ses mots mais aussi en dehors d'eux la matérialité du monde, lui accordant la possibilité d'un sens.
Il prépare actuellemenet un dossier sur la poésie contemporaine. Vous pouvez suivre ses activités sur son site :
http://alainhelissen.over-blog.com/
Les poèmes que j'ai choisi de vous lire parlent de création, d'écriture et d'enfance. Ecoutez cet "Autoportrait en pied revers" où le "Je" poétique évoque avec retenue, pudeur et humour la genèse de son destin de poète
« Fils de bouseux, fils de bouseux, que ressens-tu ? »
Même si l’âge avance
Elle se tient toujours
Quelque part tout autour
De là où on habite
Et tous les jours s’agite
J’en ai bien souvenance
Même si je ne suis
Plus tout jeune aujourd’hui
Se bouscule dans ma tête
Un film qui ne s’arrête
Et c’est toute notre chance
De la porter en nous
En vers et contre tout
Ce qui nous habitue
À des chemins obtus
Il suffit qu’on y pense
Pour faire le détour
Lui passer le bonjour
Et se sentir heureux
À peine un peu plus vieux
dont on épingle au passage
quelques mots marchandises
achalandés sur papier blanc
format Acomme l’autoroute
un peu plus loin
D’autres déplacements
On pense au pronostic vital
engagé sur la voie
d’arrêt d’urgence
– au bout de vingt minutes, plus à se préoccuper du prochain
péage –
On ramène quelques mots
dans la nasse
On les range sur la ligne
avec assez d’espace entre
pour que le vent s’y infiltre
et les sèche
jusqu’à les faire craquer
comme des châtaignes oubliées
au fond du four
•
On joue tout seul
des cartes du hasard
sur le Pont des Arts
ticulé
On joue sondé
à en découdre
de toutes les opinions
On joue le soir
enfin sorti
des bouchons diurnes
de tout ce temps perdu
à œuvrer pour sa
social security
On écrit bien après
le journal de vingt heures
oublieux des écorchures
d’un monde télévisé
giclant son sang impur
maculant tout l’salon
On nettoie les images
d’un torchon imbibé
d’un peu d’alcool
On a le geste vif
de qui veut effacer
le fond de paysage
•
On a perdu son nid
et comme coupé ses ailes
avant la migration
On a raté le dernier car
de ramassage
et on serre contre soi
un billet pour nulle part
On s’écrit des poèmes
se sachant seul à lire
ses fautes d’orthographe
On joue tout seul
la fin du dernier acte
– Le quatrain sifflera
trois fois –
•
On joue en retrait
une dernière partie
avant la nuit
On joue comme ça
le temps qui reste
encore un peu collé
à nos os entêtés
On joue son inventaire
de mots qui n’en finissent pas
de se décomposer
Comme chair nouée
au bout de la ficelle
On joue trop près de la sortie
même lui tournant le dos
On vide encore
les derniers vers
d’un poème trop long
qu’on voudrait abréger ainsi :
Mille mots dits
Soient qui les inventent
•
On a toujours un livre
d’avance et plusieurs
en retard
On a noté les titres
sur une page de cahier
Avec le temps peut-être
resteront-ils ainsi
vidés de leur substance
comme au bas d’un tableau
qu’on aurait oublié de peindre
Alain Helissen, On joue tout seul, éditions Corps Puce