Août 2013 "Instants poétiques", d'Alain Helissen

Publié le par Claire (C.A.-L.)

                                             1er septembre 2012 001

 

    Alain Helissen ou une idée de la poésie comme activité vitale et exploratoire.

           Sa poésie bondit et souvent dialogue avec d'autres pratiques artistiques qui explorent une matière palpable et concrète, modelable.  A la manière dont Apollinaire ou Blaise Cendrars ont commencé à faire entrer dans leurs textes poétiques la ville, et la "machine" - le dernier allant encore plus loin, vers la poésie simultanée,  en compagnie de Sonia Delaunay, le poète, Alain Helissen, qui vit à Sarrebourg, inscrit à la fois au coeur de ses mots mais aussi en dehors d'eux la matérialité du monde, lui accordant la possibilité d'un sens.

Il prépare actuellemenet un dossier sur la poésie contemporaine. Vous pouvez suivre ses activités sur son site :

                                              http://alainhelissen.over-blog.com/ 

   Les poèmes que j'ai choisi de vous lire parlent de création, d'écriture et d'enfance. Ecoutez cet "Autoportrait en pied revers" où le "Je" poétique évoque avec retenue, pudeur et humour la genèse de son destin de poète 

                          

             « Fils de bouseux, fils de bouseux, que ressens-tu ? »

 Remplissant à l’entrée en sixième
cette fiche quémandeuse
de la profession du père :
« cultivateur », je l’écrivais fébrile
comme dévoilant à tous
ma part d’intimité
ici en ville loin de mes champs
et presque seul enfant
de statut paysan
 
Pauvre et timide en complément
parmi fils de commerçants
de fonctionnaires d’artisans
tous mieux lotis je leur enviais
leurs vêtements
ils en changeaient bien plus souvent
que moi qui attendais le lundi suivant
pour m’habiller différemment
 
Entre la langue du père l’allemand
et celle maternelle le français
tiraillé j’optai inconsciemment
pour celle de la mère
repoussant l’autre et ainsi m’isolant
de la tribu du père
tout en la côtoyant
aux quatre coins des champs
mais si peu lui parlant
 
L’écriture très tôt
vint supplanter ce mal à dire
Et mes premiers émois
prirent figure de poèmes
sur des copies scolaires
puis dans des revues littéraires
enfin dans des ouvrages
d’unique signataire
 
Le reste tout le reste
s’inscrit parmi les lignes
accumulées depuis
Et toutes réunies
pourraient s’intituler
« Autoportrait en cours
en long
et en travers
d’Alain Helissen
cultivateur de vers. »
***
Et celui-ci, plus classique, 4 sizains, en hexamètres aux rimes suivies, à petits pas ...Le refrain rappelant au début de chaque strophe qu'hier peut être aujourd'hui...     
L’enfance en nous
 
C’est jamais loin l’enfance
Même si l’âge avance
Elle se tient toujours
Quelque part tout autour
De là où on habite
Et tous les jours s’agite
C’est jamais loin l’enfance
J’en ai bien souvenance
Même si je ne suis
Plus tout jeune aujourd’hui
Se bouscule dans ma tête
Un film qui ne s’arrête
C’est jamais loin l’enfance
Et c’est toute notre chance
De la porter en nous
En vers et contre tout
Ce qui nous habitue
À des chemins obtus
C’est jamais loin l’enfance
Il suffit qu’on y pense
Pour faire le détour
Lui passer le bonjour
Et se sentir heureux
À peine un peu plus vieux
***
 
                                                         Et pour finir ...
   "On joue la nuit dans un théâtre d’ombre", un poème à la fois ironique et émouvant. 
Toujours ce long convoi 
dont on épingle au passage 
quelques mots marchandises 
achalandés sur papier blanc 
format Acomme l’autoroute 
un peu plus loin 
D’autres déplacements 
On pense au pronostic vital 
engagé sur la voie 
d’arrêt d’urgence 
– au bout de vingt minutes, plus à se préoccuper du prochain  
péage – 
On ramène quelques mots 
dans la nasse 
On les range sur la ligne 
avec assez d’espace entre 
pour que le vent s’y infiltre 
et les sèche 
jusqu’à les faire craquer 
comme des châtaignes oubliées 
au fond du four 
 
• 
 
On joue tout seul 
des cartes du hasard 
sur le Pont des Arts 
ticulé 
On joue sondé 
à en découdre 
de toutes les opinions 
On joue le soir 
enfin sorti 
des bouchons diurnes 
de tout ce temps perdu 
à œuvrer pour sa 
social security 
On écrit bien après 
le journal de vingt heures 
oublieux des écorchures 
d’un monde télévisé 
giclant son sang impur 
maculant tout l’salon 
On nettoie les images 
d’un torchon imbibé 
d’un peu d’alcool 
On a le geste vif 
de qui veut effacer 
le fond de paysage 
 
• 
 
On a perdu son nid 
et comme coupé ses ailes 
avant la migration 
On a raté le dernier car 
de ramassage 
et on serre contre soi 
un billet pour nulle part 
On s’écrit des poèmes 
se sachant seul à lire 
ses fautes d’orthographe 
On joue tout seul 
la fin du dernier acte 
– Le quatrain sifflera 
trois fois – 
 
• 
 
On joue en retrait 
une dernière partie 
avant la nuit 
On joue comme ça 
le temps qui reste 
encore un peu collé 
à nos os entêtés 
On joue son inventaire 
de mots qui n’en finissent pas 
de se décomposer 
Comme chair nouée 
au bout de la ficelle 
On joue trop près de la sortie 
même lui tournant le dos 
On vide encore 
les derniers vers 
d’un poème trop long 
qu’on voudrait abréger ainsi : 
Mille mots dits 
Soient qui les inventent 
 
• 
 
On a toujours un livre 
d’avance et plusieurs 
en retard 
On a noté les titres 
sur une page de cahier 
Avec le temps peut-être 
resteront-ils ainsi 
vidés de leur substance 
comme au bas d’un tableau 
qu’on aurait oublié de peindre 
 
Alain Helissen, On joue tout seul, éditions Corps Puce

 

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