Victor Hugo ..."à propos d'un livre politique écrit par une femme"

Publié le par Claire (C.A.-L.)

Photo de portable du buste en marbre de Victor Hugo, exposé Place des Vosges. Sculpté par David D'Angers et offert à VH en 1838

Photo de portable du buste en marbre de Victor Hugo, exposé Place des Vosges. Sculpté par David D'Angers et offert à VH en 1838

 

Fragments de critique à propos d'un livre politique écrit par une femme, décembre 1819.

            Ecoutez ça, ce qui suit ! Je pense qu'il n'est pas impossible que le ton de l'exorde soit plus ou moins amusé, voire ironique, mais il en fait trop pour ne pas être soupçonné  lui aussi, tout comme ceux qu'il stigmatise par antiphrase - "les imbéciles" de l'histoire - de trouver que les femmes intelligentes devraient quand même laisser les grands, beaux et vrais sujets aux hommes. Peut-être un peu de jalousie... Sauf votre respect, si je puis me permettre, Il est piqué au vif,  "Ego, Victor Hugo..." 

"Je ne voudrais donc pas qu'on défendit aux femmes d'écrire ; ce serait en effet le vrai moyen de leur faire prendre la plume à toutes. (Oh ! Le petit malin !!!)

 

Bien au contraire, je voudrais qu'on le leur ordonnât expressément, comme à ces savants des universités d'Allemagne, qui remplissaient l'Europe de leurs doctes commentaires, et dont on n'entend plus parler depuis qu'il leur est enjoint de faire un livre au moins par an.

Et, en effet, c'est une chose lien remarquable et bien peu remarquée, que la progression effrayante suivant laquelle l'esprit féminin s'est depuis quelque temps développé.

Sous Louis XIV, on avait des amants et l'on traduisait Homère; sous Louis XV, on n'avait plus que des amis, et l'on commentait Newton; sous Louis XVI, une femme s'est rencontrée qui corrigeait Montesquieu à un âge où l'on ne sait encore que faire des robes à une poupée.

Je le demande, où en sommes-nous ?

 

Où allons-nous? Que nous annoncent ces prodiges ? Quelles sont ces nouvelles révolutions qui se préparent ?

Il y a une idée qui me tourmente, une idée qui nous a souvent occupés, mes vieux amis et moi; idée si simple, si naturelle, que si une chose m'étonne, c'est qu'on ne s'en soit pas encore avisé, dans un siècle où il semble que l'on s'avise de tout, et où les récureurs de peuples en sont aux expédients.

Je songeais, dis-je, en voyant cette émancipation graduelle du sexe féminin, â ce qu'il pourrait arriver s'il prenait tout à coup fantaisie à quelque forte tête de jeter dans la balance politique cette moitié du genre humain qui jusqu'ici s'est contentée de régner au coin du feu et ailleurs.

Et puis les femmes ne peuvent- elles pas se lasser de suivre sans cesse la destinée des hommes ? Gouvernons-nous assez bien pour leur ôter l'espérance de gouverner mieux.

Aiment-elles assez peu la domination pour que nous puissions raisonnablement espérer qu'elles n'en aient jamais l'envie ?

En vérité, plus je médite et plus je vois que nous sommes sur un abîme.

Il est vrai que nous avons pour nous les canons et les baïonnettes, et que les femmes nous semblent sans grands moyens de révolte.

Cela vous rassure, et moi, c'est ce qui m'épouvante.

On connaît cette inscription terrible placée par Fonseca sur la route de Torre del Greco (province napolitaine) :

Posteri,posteri, vestra res agitur !

 

(Ce qui signifie à peu près : Générations futures, ce sont là vos affaires !"...)

 

Torre del Greco n'est plus ; la pierre prophétique est encore debout.

C'est ainsi que je trace ces lignes, dans l'espoir qu'elles seront lues, sinon de mon siècle, du moins de la postérité.

Il est bon que, lorsque les malheurs que je prévois seront arrivés, nos neveux sachent du moins que, dans cette Troie nouvelle, il existait une Cassandre cachée dans un grenier, rue Mézières, n° 10.

Et s'il fallait, après tout, que je dusse voir de mes yeux les hommes devenus esclaves et l'univers tombé en quenouille, je pourrai du moins me faire honneur de ma sagacité , et qui sait?

je ne serai peut-être pas le premier honnête homme qui se sera consolé d'un malheur public en songeant qu'il l'avait prédit.

 

La politique, disait Charles XII, c'est mon épée. C'est l'art de tromper, pensait Machiavel.

Selon madame de M***, ce serait le moyen de gouverner les hommes par la prudence et la vertu. La première définition est d'un fou, la seconde d'un méchant, celle de madame de M*" est la seule qui soit d'un honnête homme.

 

C'est dommage qu'elle soit si vieille et que l'application en ait été si rare.

 

Après avoir établi cette définition, madame de M"* expose l'origine des sociétés.

Jean-Jacques les fait commencer par un planteur de pieux, et Vitrine pur un grand vent, probablement parce que le système de la famille était trop simple.

Avec ce bon sens de la femme supérieure au génie des philosophes, madame de M"* se contente d'en chercher le principe dans la nature de l'homme, dans ses affections, dans sa faiblesse, dans ses besoins.

Tout le passage dénote dans l'auteur beaucoup d'érudition et de sagacité.

Il est curieux de voir une femme citer tour à tour Locke et Sénèque, l'Esprit des lois et le Contrat social; mais, ce qui est encore plus remarquable, c'est l'accent de bonne foi et de raison auquel nous n'étions plus accoutumés, et qui contraste si étrangement avec lui.(...)

 

Publié dans Victor HUGO, David D'Angers

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