Alice attend...
Alice attend…
Alice chantonne. Derrière les vitres légèrement humides de sa chambre, elle tente de distinguer les passants. Il y en a peu. Pas étonnant avec cette pluie. Tiens ! Ce ne serait pas maman, sous ce parapluie qui ressemble à un parasol, tellement il est grand. Elle disparaît dessous. Un monsieur qui porte un chapeau… c’est mieux un chapeau, on peut le ranger dans son sac… il est obligé de se pencher pour pouvoir la dépasser. Son imperméable touche le sol. Il se retourne et lui dit quelque chose. Bonjour, peut-être, ou alors, madame vous prenez toute la place avec votre terrible parapluie, vous devriez en acheter un plus petit. Il faudra que je lui prête le mien, à maman. Elle sera d’accord.
Toutes ces rigoles qui coulent, je vais les arrêter. Alors maman reviendra. La vitre est froide et ma langue est trop chaude. Il y a de la buée, maintenant. Les petites trouées m’empêchent de bien voir. Je dois savoir si c’était maman. J’en suis presque sûre. Papa au téléphone m’a dit hier qu’un jour on serait réunis tous les trois.
Je lui ai préparé des cadeaux, pour son retour. Je les ai déjà emballés, dans un reste de papier de Noël. Des petits, que j’ai « réalisés », comme dit la maîtresse. Elle dit que c’est mieux. Qu’un petit cadeau de rien qu’on a fait soi-même, c’est une plus grande preuve d’amour.
Je voudrais tellement qu’on soit tous ensemble dans ma chambre. Papa serait assis là, sur mon pouf. Non, plutôt sur la chaise de mon bureau, parce qu’il est grand et un peu gros. Son ventre dépasse de la ceinture de son pantalon. Maman dit parfois qu’il n’est plus aussi beau qu’avant quand il était jeune et que c’est pour ça, parce qu’il n’est plus comme avant, qu’elle est triste, je pense. Moi je resterai comme avant. Comme ça maman sera contente et m’aimera toujours et elle sera heureuse. Et elle serait assise à côté de moi. Sur mon lit. Dessus il y aurait mon beau plaid, celui que grand-mère m’a donné pour ma fête. Il ira parfaitement avec les habits de maman, je crois. Elle met souvent du noir. Et le plaid est rouge. Je lui ressemble, il paraît. Quand elle était petite.
« Comme il fait sombre, ici. Tu rêves, Alice ? Viens déjeuner, ma chérie. Tes vitres sont sales, dis donc ! J’ai trouvé une occupation pour cet après-midi… Tu me donneras un coup de main … Ta maman revient ce soir, tu n’as pas oublié, j’espère ? »
Oh ! Cette mamie, mémé, mimi… qu’est-ce qu’elle croit ? Que je n’ai pas de mémoire ? Je ne peux pas avoir oublié maman. Elle, je ne sais pas si elle l’aime beaucoup. Elle me préfère moi, c’est sûr. Je mets la table, je me lave les dents et je joue aux cartes avec elle, le dimanche. Elle préfère la bataille, alors je fais semblant d’être contente et joyeuse pour lui faire plaisir. Parce que ce qui me plaît, moi, c’est la belotte. Tonton Jean m’a montré comment gagner. Parfois je triche un peu. Mais personne ne le voit. Je trouve que les adultes sont bêtes, souvent. Ils ne s’intéressent qu’à des choses sans importance. Les pauvres. On peut les berner comme on veut. C’est très amusant. L’autre jour j’ai fait croire à Papy que Mamy était partie pour toujours et qu’elle ne reviendrait plus jamais. J’avais l’air sérieuse. J’imitais ma maîtresse. J’ai de la chance, elle est jeune, gentille et jolie. Peut-être que je serai maîtresse aussi, je ne sais pas encore. Une chose est sûre, c’est que je ne voudrais pas être au chômage. Pas comme Papa, comme ça je pourrais l’aider. Je paierai tout avec mon argent. Quand j’ai vu que Papy était trop triste, je lui ai dit que ce n’était pas vrai. Je lui ai expliqué que Mamy ne pouvait pas être partie puisque elle avait laissé son sac à main et son manteau. Il est naïf, Papy. Comme tous les hommes ! Je n’aimerais pas être un homme. Ouf ! Un petit frère ce serait bien quand même. Je lui apprendrais plein de choses. Je lui tiendrais la main pour traverser la rue devant chez nous. Je lui porterais son sac aussi avec son goûter. Il devra apprendre le piano pour m’accompagner quand je chanterai. « Alouette, gentille alouette… »
« Tu as une très jolie voix, ma puce, mais nous passons à table, dépêche-toi, maintenant. Je ne remonterai plus. » Oh là là ! Toujours obéir…