SORTIE ( pour lecture avec diapos : 1 homme, 1 femme)
Sur le mur, un écran une route défile sous le soleil. Un petit village, une terrasse, des gens déjeunent . Douceur, rires champêtres. Musique de Winstub. Zoom sur une table. On voit un homme qui écoute.
Sur la scène, un couple ELLE et LUI assis face au public. Deux miroirs reflètent leur dos.
ELLE- Je roulais. Il faisait beau. Pendant un certain temps les cheminées des usines de la Rhur s'étaient détachées sur un ciel opalin.
Enchaînement sur une première diapo. Ne pas masquer, au contraire, le "clac" de l'appareil. Cheminées d'usine.
LUI-Tu t'es arrêtée ?
Deuxième diapo ("clac") le confluent Rhin/Moselle
ELLE- Non. Pas là. Plus loin. A Coblence. Je te dis le nom en français. J'ai un peu de mal avec la prononciation allemande.
LUI- Ce n'est pas grave. Continue.
ELLE- C'est là que la Moselle, "ma" Moselle, ( même si, au fond, elle a une "double nationalité"...) se jette dans le Rhin. Les touristes viennent nombreux assister à
cette capture.
LUI- Romantique !...La belle Moselle prisonnière du terrible guerrier teuton !
ELLE-En fait "capture" est un terme géographique dont je n'assume pas le pouvoir de suggestion. J'ai eu l'impression que la vosgienne, se jetait à corps perdu dans ce grand fleuve qu'est le
Rhin...d'une certaine ivresse.
LUI- Tu l'étais, toi, ivre ?
ELLE -Pas d'alcool, mais de ce lieu, oui. Les forces des deux cours d'eau se mêlent sous nos yeux et vont ainsi jusqu'à la mer. Je serais curieuse de voir comment ça
se passe. Est-ce qu'on retrouve des traces de la Moselle dans les eaux rhénanes ?
LUI- Qu'est-ce que ça peut faire ? L'essentiel, c'est ce qu'on voit, qu'on touche, qu'on sent.
ELLE- Et imagine, aussi.
LUI - Continuons ton voyage, si tu veux bien.
ELLE - Je te passe les étapes dans des hôtels anonymes, mais confortables. J'avais décidé de prendre mon temps. Et j'arrive... à Hambourg. Ma photo-souvenir...
Troisième diapo "clac" . Un port, un café, une table, un serveur.
C'est le matin sur le port, il fait déjà assez chaud. Assise à une terrasse, je commande un Bismarck...Hareng frais, tranche d'oignon, pain tendre...
Elle ferme les yeux, extasiée.
LUI- Et si on avançait ...
Un bruit de train. C'est le rythme du train qui va varier en fonction du texte.
ELLE- Ensuite c'est Berlin où j'arrive en train, le matin. J'avais laissé la voiture à Postdam. C'est là que la veille mon ami était venu me rejoindre. Il serait mon guide. Je voulais
voir "le Mur", ce qu'il en restait.
LUI- "Je voulais". ..?
ELLE- De l'endroit où j'étais, je l'ai deviné, dissimulé sous une immense tenture... J'étais contente d'être accompagnée, parce que, peu de jours auparavant, un orage avait frappé la
région et des campeurs étaient morts.
LUI- Je ne vois pas le rapport.
ELLE- Dis comme ça, moi non plus. Mais...à ce moment-là, c'est ce que j'ai ressenti.
LUI- Excuse-moi. je ne tiens pas à te mettre mal à l'aise.
ELLE- Quand nous sommes descendus du train, tout de suite, nous avons eu conscience que ce ne serait pas un jour ordinaire. Des éclats de voix, des rires, des appels, des banderoles,
partout... La gay pride ! On m'avait raconté qu'il était impossible de circuler, ce jour-là. Mais je m'étais fixé un programme que j'entendais tenir.
LUI - Obstinée...
ELLE - Si on veut...Sur l'Alexander Platz, le soleil réchauffait déjà les groupes qui commençaient à se former. Une musique binaire sortait de puissants
haut-parleurs et remplaçaient progressivement les pulsations humaines.
LUI - Je ne saisis pas très bien...
ELLE- C'est comme si tu ne t'appartenais plus. Tu épouses, toi aussi, le rythme, régulier, amplifié, destiné à tous. Tu n'y échappes pas. Il y a une sorte de double tension
qui te questionne sur les limites de l'être et sur son rapport à l'univers.
LUI- Tu ne t'es pas dit ça tout de suite.
ELLE - Non, évidemment. D'autant que ce courant "cosmique" était traversé par le son des sifflets.
LUI- "Sifflets" ?
ELLE- Ceux des "lovers". Le signe de ralliement de la "love party" était le sifflet. Aucun abri possible. Nulle part, à. l'extérieur. Un grand magasin, Les Galeries Lafayette,
nous a offert un moment de calme. C'est là que nous nous sommes restaurés.
LUI- Tu as pu suivre ton programme ? Vous avez visité la ville ?
ELLE- Oui. Mais aux alentours de 4 heures, elle est devenue impraticable. Les sifflets nous vrillaient les tympans. C'était du délire. Ils s'appelaient d'un bout à l'autre de l'avenue Unter Den
Linden, des homosexuels, mais pas seulement. Les gens faisaient la fête. Ils avaient progressivement pris possession des trottoirs, des rues.
LUI- Il y avait encore des voitures, des bus ?
ELLE- De moins en moins. D'ailleurs, vers 5 heures les magasins ont fermé les uns après les autres. Nous sommes revenus vers le centre. "Là où battaient les coeurs". Deux hommes en slip léopard
dansaient, accompagnés par les encouragements de leurs amis, devant une sorte de tribune où un policier avait pris la parole.
LUI- Vous ne compreniez pas ce qu'il disait ?
ELLE- Non. Mon ami me tenait par la main. Nous voulions nous rendre à la gare et rentrer à Postdam. Nous reviendrions à Berlin, le lendemain, pour visiter le musée d'art
contemporain. Mais impossible de passer le cordon de police "Zu". "Kein Zug"...Et nous ne saisissions pas le sens des gestes que faisaient les policiers.C'était la cacophonie, dans une atmosphère
frénétique. C'est là qu' hagarde, j'ai commencé à répéter : "Je veux rentrer, je veux rentrer..." J'ai lâché la main de mon ami et je me suis précipitée... vers les haut-parleurs, que je voulais
fuir. Luc m'a rattrapée, je l'ai d'abord repoussé. Il courait à mes côtés ,me désignant une direction... J'ai fini par me dominer un peu...
LUI- Tu peux revenir un instant sur cette panique ? Que s'est-il passé en toi à ce moment-là ?
On entend quelques "clacs" de l'appareil à diapos (mais aucune image) superposés au bruit d'un train.
ELLE- Je ne sais pas trop. Toutes les issues semblaient se fermer les unes après les autres. Les lovers formaient des serpentins colorés et bruyants. Les policiers, dans mon souvenir,
gesticulaient, vêtus de chemises brunes....J'ai pris peur. Comme un déclic. Je ne reste pas ici une seconde de plus... Mais , je ne parvenais pas à trouver un chemin à suivre...Voilà,
c'est tout.
LUI- Tu as accepté l'aide de Luc et vous avez pu rentrer facilement, après ?
ELLE- Oui. Il y a eu encore quelques petits incidents, mais rien de comparable.
LUI- Quoi, par exemple ?
Deux "clacs". Progressivement le bruit du train s'arrête.
ELLE- Le métro s'arrête. Les lumières s'éteignent. Il y avait peu de monde. D'un coup tout se rallume et le métro revient sur ses pas... Là, c'est le silence qui
dominait. Un agent est bien intervenu, mais il ne parlait pas le français, alors...Nous sommes quand même arrivés à bon port, en suivant des gens.
LUI- Vous êtes revenus à Berlin le lendemain ?
ELLE- Oui, le matin et en voiture, cette fois, pour le musée. Après, nous avons mis 7 heures à quitter la ville.
LUI- Comment ça ?
ELLE- Sur l'autoroute tout le monde roulait au pas. Les lovers retournaient chez eux. Ils étaient venus de toute l'Europe et continuaient à brandir les banderolles indiquant leur pays d'origine
par les fenêtres de leurs voitures en mangeant des casse-croûte.
LUI- Et ton voyage a continué ?
"Clac" dernière diapo. Un camp de concentration, d'assez loin.
ELLE - Ensuite je suis allée visiter un camp de concentration.
LUI - Avec ton ami ?
ELLE- Oui.
LUI- Laconique !
ELLE -Il me semble que tout est lié. Les bacchanales berlinoises sont une réponse à la barbarie. Elles permettent de conjurer le sort. C'est un passage obligé. Comment continuer ?
Eté 2002
FIN