Poème d'Amable Tastu intitulé ''La Mort'', précédé d'un extrait d'analyse
La lecture dans son intégralité se trouve dans un petit recueil paru en autoédition (thebookéditions) comme celle de quelques autres poèmes ( "Le cabinet de Robert Estienne", "Adieu", "À Chateaubriand", "L'ange gardien" et "Découragement").
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Extrait de la "lecture du poème "La Mort" d'Amable Tastu"
68.(…) Quoi, je mourrai !
Et les trois premiers mots, répétés, sont aussi les derniers. Par épiphore le vers 68 rejoint le vers 51. Mais la ponctuation a changé, l’interrogation s’est transformée en exclamation murmurée d’une vérité acceptée. Celle baroque, de la conception cyclique de l’éternel retour.
D’une âme à l’autre …
La « femme » lectrice privilégiée et séduite cède à l’envahissement mélancolique de ceux qui quittent « la réalité de l’idée » de mort, en invoquant le passé (comme Amable, dans le premier mouvement) ou le futur (comme Amable dans le deuxième mouvement) pour éprouver la séduction de la tristesse, sentiment non paralysant qui comme le dit Victor Hugo a quelque chose à voir avec le charme de la « douceur », sensation qui renvoie à l’enfance. Son pouvoir d’enchantement n’a rien à voir avec la mièvrerie et s’adresse autant à l’esprit qu’au corps.
Les derniers vers insistent sur ce qui se dérobe, ce qui n’est pas encore et qui permet de passer du sensible à l’intelligible.
En confrontant les deux mouvements du poème …
Une fin pour un sens en suspens
Amable semble inviter ses « de la lyre amis harmonieux » du vers 60 à passer d’une première lecture à une autre voilée, secrète. Mais, que veut-elle montrer ? Est-ce une simple méditation sur la mort, à partir d’un objet visuel ? Voudrait-elle inciter ses lecteurs à s’engager dans la voie du salut chrétien pour compenser les désenchantements d’une existence terrestre ? À quel endroit situe-t-elle ce qu’elle semble indiquer comme étant à cacher et qu’elle désignerait, de fait ? Est-ce une astuce banale ou la tentative de répondre à une vraie question « poétique » ?[1] Dans ce cas, si elle met en pratique la notion d’« ironie romantique »[2], héritée de l’allemand Schlegel[3], à la fin du XVIIIe siècle, quoi de mieux que le thème de la mort pour pointer l’inadéquation fondamentale entre un « Je »[4] et le monde[5] entre l’âme inconsciente et l’entendement conscient. [6]
Dans son écriture, Amable, « penseur-poète », est à la recherche, comme les Romantiques européens de son époque, de la Beauté et de la Vérité. C’est l’allégorie qui est privilégiée comme moyen d’expression de ces absolus. Cette figure en mouvement qui, se déployant de façon dynamique, permet d’approcher l’inaccessible ; de faire « toucher » en quelque sorte ce qui excède les cadres, les déborde, en créant une impression d’infini, de questionnement perpétuel, redoublé par la multiplication de symboles parfois paradoxaux[7].
[1] Comme, par exemple, celle d’expérimenter le mélange des genres prôné par les romantiques.
[2] L'ironie romantique (par référence à l’ironie socratique), en privilégiant le mélange des genres, conçu comme une marque de liberté, interroge, par le dépassement des catégories, genres, registres, … la position de l’individu face au monde. L’hétérogénéité permet de prendre en compte la totalité chaotique du monde.
[3] « L'ironie, dit Schlegel, est la forme du paradoxe » ; le paradoxe, c'est, au sens premier, la contradiction des opinions. Grâce à elle on peut se dépasser soi-même, ce qui est la manifestation la plus haute de la liberté. Amable est très influencée par l’art allemand.
[4] Les romantiques étaient guidés par la volonté de se libérer des règles classiques et d’exprimer lyriquement les émotions d’un « Je ».
[5] « Quoi ! Je mourrai, quoi ? », au vers 50.
[6] Elle pourrait avoir voulu homogénéiser en deux mouvements, deux pensées hétérogènes, celle du monde et celle du « Je ».
[7] Paradoxal est le symbole du sablier.
La mort
« Aver la morte innanzi gli occhi parme ». Pétrarque[1].
« Il me semble avoir la mort devant les yeux ». (Avec l’apparence de l’homme qui rêve…)
Quand de la vie essayant le voyage,
L’enfant sourit à son naissant destin,
La Mort est là ; comme un léger nuage
Elle apparaît à l’horizon lointain :
Sans redouter cette ombre fugitive,
Qu’aperçoit seule une mère craintive,
Il rit, bercé d’ignorance et d’espoir ;
Son beau matin ne prévoit point de soir.
La Mort est là, quand des jours de l’enfance,
Aux mains du Temps, le sable est écoulé.
Avec effroi, la vive adolescence
Distingue alors son fantôme voilé :
Au sein des jeux, aux heures de l’étude,
Une soudaine et vague inquiétude
Vers cet objet ramène son regard ;
Le voile obscur se soulève plus tard :
Il est une heure où l’aveugle jeunesse
D’un vain espoir laisse échapper l’ivresse,
Heure funeste, où les premiers malheurs
Font à nos yeux verser les premiers pleurs,
Où tout entier le monde se révèle !
La Mort est là ; mais la Mort paraît belle !
C’est un jeune ange, au maintien triste et doux ;
D’un léger deuil le voile l’environne,
De pâles fleurs son beau front se couronne ;
C’est un ami qui s’approche de nous ;
D’aucun effroi sa marche n’est suivie ;
Ses chastes mains, du flambeau de la vie
Contre le sol pressent l’éclat mortel ;
Mais d’un regard il endort la souffrance,
Mais tous ses traits rayonnent d’espérance,
Mais il sourit et nous montre le ciel !
Du jour bientôt le midi nous éclaire,
Et, dégagé des vapeurs du matin,
L’ange grandit ; son front devient sévère
En dépouillant ce nuage incertain :
Plus il avance et plus on le redoute ;
Tous les trésors amassés sur la route,
Sa vaste main s’ouvre pour les ravir,
Et c’est alors que la Mort fait pâlir !
Mais elle approche et s’agrandit sans cesse
L’âme entrevoit le terme du chemin ;
Déjà s’enfuit, sous l’ombre qui s’abaisse,
L’éclat mourant d’un soir sans lendemain ;
Du poids des ans s’accroît notre faiblesse ;
La Mort est là ! courbés par la vieillesse,
Quand nous touchons à ses pieds redoutés,
Son front immense est caché dans la nue ;
Mais si le spectre échappe à notre vue,
Nous le sentons debout à nos côtés !
Quoi, je mourrai, quoi ? le temps à sa suite
Amènera l’irrévocable jour,
Le jour muet et sombre, où sans retour
S’arrêtera ce cœur qui bat si vite ?
Oui, quand les biens que garde l’avenir
Me chercheront, j’aurai quitté la terre,
Comme au vallon, une fleur solitaire
Se fane et meurt, laissant pour souvenir
Quelques parfums et des feuilles légères,
Faibles jouets des brises bocagères.
Vous, de la lyre amis harmonieux,
Oh ! recueillez avec un soin pieux
Ces chants épars où j’ai laissé mon âme ;
Ils vivront peu ; mais peut-être une femme,
A leur douceur séduite par degré,
Suivra de l’œil la page fugitive…
Puis tout à coup s’arrêtera pensive,
En répétant tout bas : Quoi, je mourrai !