Extrait du chant 6 des "Métamorphoses" d'Ovide. Le mythe de Philomèle et de Procné
Le texte qui suit a été écrit à l'occasion d'une journée d'étude sur la violence et les femmes initiée par Bérangère Thomas, Présidente des Amis de Verlaine. Cette dernière a demandé à quelques personnes de proposer des textes, à lire à la fin des discussions de l'après-midi du samedi 5 juillet. Pour ma part, j'ai choisi l'antiquité, Ovide, les Métamorphoses, et dans le livre 6, le mythe de Philomèle et Procné. Je me suis appuyée sur la traduction de G.T. Villenay, Paris 1806 pour le revisiter un peu et tenter de l'adapter au thème de la journée.
Mots clés : infidélité – mensonge – viol – vengeance – écriture - transformation
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Térée roi de Thrace a épousé Procné une des deux filles de Pandion, le roi d'Athènes. 5 ans plus tard à la demande de son épouse qui s'ennuie de sa sœur, il revient à Athènes pour chercher Philomèle (à la belle voix)... et ...Il tombe amoureux d'elle ...le coup de foudre ! Pandion, malgré ses réticences, finit par la lui confier. Et les voilà sur le chemin du retour...
Aussitôt que Philomèle est embarquée sur le navire coloré
Et que la terre, grâce à de vigoureux coups de rames, s'est éloignée,
Térée s'exclame : "Nous avons gagné ! Nous emportons avec nous l'objet de mes désirs"
Et le barbare exulte. Il a peine à différer son plaisir :
L'ardeur de son regard, à aucun moment ne se détourne d'elle...
Pareil à l'oiseau de Jupiter, le rapace aux serres crochues
qui dépose un lièvre tout en hauteur, dans son nid,
de sorte qu'il n'y ait plus pour le malheureux aucune possibilité de fuite,
Térée, le prédateur, surveille sa proie.
A peine la traversée est-elle terminée,
A peine l'équipage a-t-il tiré les bateaux fatigués sur le rivage
que le roi tire la fille de Pandion dans les profondeurs d'une bergerie cachée
au coeur d'une forêt touffue.
Et c'est là qu'elle est enfermée, pâle, tremblante, terrorisée.
Elle éclate en sanglots et demande où est sa sœur.
C'est alors qu'il lui avoue son intention criminelle et la soumet par la force.
Philomèle, vierge et seule, ne cesse d'appeler à son secours son père, sa sœur et plus que tous les autres les dieux souverains.
Elle tremble comme une agnelle craintive, tombée blessée de la gueule d'un loup, qui a l'impression qu'elle n'est pas encore sauvée,
ou comme une colombe aux plumes rougies de son propre sang, terrifiée,
qui redoute encore les serres avides entre lesquelles elle était emprisonnée.
Bientôt, quand elle reprend ses esprits, elle arrache ses cheveux qui s'étaient détachés,
elle se frappe les bras, à la manière d'une femme qui pleure ses morts et tendant ses mains, elle l'apostrophe :
Toi, barbare, ô cruel, coupable d'actes sauvages,
rien, ni dans la confiance que mon père a mise en toi, ni les larmes qu'il a versées, gage de son affection, ni le respect que tu dois à ma sœur, ni ma virginité, ni mes droits à une union conforme à la loi, rien ne t'a touché ?
Tu as transgressé toutes les règles, tu m'as fait devenir la rivale de ma sœur.
Toi, l'époux de deux femmes, à moi tu réserves le châtiment que l'on inflige aux ennemis !
Pourquoi, afin qu'il ne te reste, à toi, perfide, plus rien de monstrueux à accomplir, pourquoi ne m'arraches-tu pas la vie ?
Tu aurais dû le faire avant cet accouplement abominable. J'aurais ainsi épargné ce crime à mon ombre.
Mais si les dieux voient ce qui s'est passé
Si leur autorité a encore un sens
Si tout n'a pas péri avec moi, alors tu devras un jour me rendre justice !
Si l'on m'en donne la possibilité, j'irai devant le peuple
Si on me retient par la force dans la forêt, la forêt se fera l'écho de mes cris.
J'attendrirai mes confidents : le rocher, le ciel et les dieux, s'il y en a pur l'habiter, entendront mes plaintes.
De tels propos eurent pour effet de provoquer la colère du cruel tyran.
Il était également mû par la peur. Il libéra l'épée du fourreau qu'il portait à la ceinture et saisissant Philomèle par les cheveux, il la contraignit à supporter les liens qui lui maintenaient les bras derrière le dos.
Elle tendit son cou vers l'épée.
Depuis qu'elle l'avait vue, elle espérait que sa dernière heure était arrivée !
Comme dans son indignation elle continuait à parler et à se lamenter,
criant le nom de son père,
il lui maintint la langue avec une pince
et d'un coup d'épée brusque et précis
la lui trancha.
Elle tombe, sur la terre sanglante et murmure, frémissante,
De même que sursaute la queue d'une couleuvre coupée en tronçons qui palpite,
Mutilée et mourante recherche, l'ensemble du corps dont elle faisait partie.
On raconte, mais à peine puis-je le croire, que même après ce crime,
Térée a continué à abuser, poussé par des pulsions destructrices,
du corps qu'il avait mutilé.
Après une telle forfaiture, Térée, se permet de revenir vers Procné.
A sa vue, celle-ci lui demande des nouvelles de sa sœur et lui de verser de fausses larmes et de raconter la mort de Philomèle...
Ses larmes lui inspirant la confiance,
Procné revêt ses habits de deuil et fait dresser un cénotaphe...
La suite est résumée
Un jour Procné reçoit une toile blanche tissée sur laquelle le sacrilège commis par son mari est inscrit au fil rouge. Philomèle s'est délivrée de son secret et elle est vivante...
Alors Procné se transforme en Bacchante, va chercher sa soeur et prépare une effroyable vengeance contre Térée. Les deux soeurs vont sacrifier pour assouvir leur fureur ce que Térée a de plus cher et de plus sacré : sa descendance, son fils : Itys.
Elles le tuent et le lui donnent à manger.
Quand il l'apprend, au moment où il se précipite à leur poursuite, les deux femmes se transforment en oiseau et s'envolent : l'une vers la forêt et l'autre sous le toit. Elles se sont métamorphosées l'une en rossignol et l'autre en alouette. Térée deviendra huppe (rapace-coucou) et Itys, le fils dans certaines variantes, un chardonneret.