« Malade », disait-elle... Transposition. Saynète morale en quatre tableaux dont le dernier peut paraître artificiellement bien pensant.

Publié le par Claire

         

                                     chercher son chemin 1

                                                       CHERCHER son CHEMIN (C.A.-L. 2011)

        ( Saynète de 2005 - éditée en auto-édition, en 2009,  bof : oui...-  examinée à nouveau en août 2011 ) 

                            « Malade », disait-elle... Transposition.

Saynète morale en quatre tableaux, dont le dernier peut paraître artificiellement bien pensant.    

Pour 9 personnages. Au minimum, 4 comédiens : 2 femmes et 2 hommes.                                       

                                                 PROLOGUE

(Interview en voix off pré-enregistrée. Journaliste imitation France Culture. Noir, sur la scène. On aperçoit, dans la pénombre, FEMME et GARDIEN, prêts à commencer à jouer ; il en sera de même pour chaque scène. On doit apercevoir "obscurément " le personnage suivant). 

LA JOURNALISTE - Madame Lotoeur, bonsoir.
MADAME LOTOEUR - Bonsoir.
LA JOURNALISTE -  Si je vous reçois, ce soir, sur le plateau du Centre, c'est pour que vous nous parliez de votre nouvelle pièce "Malade", disait-elle, une saynète morale, comme vous le précisez vous-même.. Après Téléphone sans fil ou histoire de fille, vous êtes, semble-t-il, restée des années loin de l'écriture. Comment expliquez-vous ce "passage à vide", si je puis me permettre...?

(Musique forte, comme un générique, qui couvre les propos et on entend, à nouveau l'auteure.)

MADAME LOTOEUR - ...Le concept de tableau, de scène statique destinée à décrire, presque, plutôt qu'à offrir la possibilité de suivre un mouvement, une dynamique, me semblait convenir davantage au but que...(On entend des crépitements, du brouillage et la voix revient)...Un cadre à l'intérieur duquel un semblant d' action se déploie, mais où, au fond, rien ne peut advenir pour elle, véritablement...(Crépitements suivis de la musique)
LA JOURNALISTE -(dont la voix essaie de couvrir la musique ) La seule vie possible se trouverait donc  hors-scène. 

 

La musique fait le lien entre les voix-off et le premier tableau, etc. Elle va chaque fois précéder la femme et sa requête. 
Décors épurés, réduits au minimum. Vêtements simplifiés caractérisant les fonctions.     

 

TABLEAU UN

Femme; gardien; sage/prêtre.

FEMME - Aie pitié ! Je souffre.
GARDIEN- Tu me casses les oreilles. Tu te plains...Prends ton mal en patience. Tu n'es pas la seule à souffrir. 
FEMME- J'ai mal.
GARDIEN- C'est indécent. La terre entière a besoin de miséricorde!
FEMME- Ecoute-moi ! Aujourd'hui je veux être entendue. Je te demande, oui, à toi...Il n'y a que toi et moi, ici...de me dire où le trouver.
GARDIEN- Vieille folle. De qui parles-tu ?
FEMME- De celui qui peut me guérir. Je veux le voir tout de suite. On m'a dit qu'il était dans cette maison.
GARDIEN- On t'a dit n'importe quoi. Ne crie pas comme ça. Si tu ne quittes pas immédiatement ces lieux, j'appelle les gendarmes. Ils savent quoi faire avec des gens comme toi.
(Arrive un homme qui ressemble à un sage/prêtre)
SAGE- Du calme, du calme... (A Gardien) Laisse-nous.
(Il regarde  femme sans rien dire)

FEMME- (se remettant à crier) Aie pitié, j'ai mal. Ma fille est tourmentée.

(Gardien qui s'était éloigné sans quitter la scène, écoute...Sage ne dit toujours rien. Femme se met à geindre de plus en plus fort.)
SAGE- Je ne comprends pas ton attitude. Reste digne. Lève la tête. Redresse les épaules et regarde-moi dans les yeux. Voilà, comme ça. Et maintenant tu peux parler. Qu'y-a-t-il donc ?
(Gardien approuve)
FEMME -  Merci de prendre sur votre temps, Maître. En fait, je viens pour ma fille.
SAGE- Je t'arrête tout de suite. Si c'est ta fille qui a un problème, c'est à elle et à elle seule, regarde-moi...de venir m'en parler. Quel âge a-t-elle donc ?
FEMME - 12 ans, Maître.
SAGE- C'est ce que je pensais, elle est assez  grande pour venir me parler. C'est  ça dont elle souffre, ta fille. Tu parles à sa place. Réfléchis à ce diagnostic. Va, maintenant, j'ai à faire. Prends rendez-vous. Venez toutes les deux, la prochaine fois.
FEMME- Mais...
SAGE- Gardien, reconduis madame. (Gardien pousse  Femme par les épaules. Ils sortent. Elle est sans réaction.)
SAGE (seul) Des comme ça, on en voit tous les jours. Une femme seule, une fille qui devient adolescente. Elle ne le supporte pas. Sa fille lui vole sa féminité. C'est la mère qui est malade. Elle est bien trop possessive. ( A Gardien revenu) Alors, mission accomplie ? 

GARDIEN- (salue comme un militaire. Il rit.)   Toutes des sorcières, à cet âge là. Elle vient chez moi pendant 15 jours et je te la mate, moi...
(On entend des pleurs dans les coulisses. Les 2 hommes écoutent.)

TOUS LES DEUX - Qu'est-ce qu'il y a encore ?

NOIR

TABLEAU DEUX

Secrétaire; directeur; femme.

SECRETAIRE - Asseyez-vous. Il va arriver.
(une fois qu'elle est assise, elle prend un petit mouchoir en tissu, dans un sac et sort aussi un dossier. Directeur arrive, silencieusement, le dos un peu rond. Tout entier tourné vers elle, désireux de prouver qu’il est  à la hauteur. Il lui serre la main.)
DIRECTEUR - Madame, je vous en prie, asseyez-vous( Comme elle était déjà assise, elle se lève, se remet assise, fait tomber ses papiers et son mouchoir. Elle se met à genoux pour les ramasser et enfin se rassied, calmement. Pendant ce temps, Directeur, d'un air gêné pianote sur son ordinateur portable/bureau.)
Je vous en prie. Vous êtes stressée ! Calmez-vous, prenez votre temps. ( débit rapide) Nous sommes entre adultes. Alors, comme ça, on m'a dit que vous veniez pour votre fille qui est, aujourd'hui, souffrante et qui ne peut donc honorer son rendez-vous, pris par téléphone, je le précise, pour vous montrer que chez nous, ici, rien n'est laissé au hasard, pour l'éducation du jeune en difficulté, vous le comprendrez si votre petite fait un jour partie de notre maison.
FEMME- Voici son dossier. Je veux trouver une solution. Je crois en la capacité d'un système éducatif comme le vôtre à donner aux jeunes les outils nécessaires...
DIRECTEUR ( pendant qu'il lui parle, il feuillette mécaniquement, sans le regarder, le dossier qu'elle lui a tendu et qu'il lui rend)...C'est très bien, très bien.  Je vous en prie, gardez-le. Vous nous l'enverrez par la Poste, c'est plus sûr, n'est-ce pas ? Ne  m'en veuillez pas si je vous arrête...Nous avons l'habitude... Madame,  si vous me permettez, laissez-nous faire notre métier ! Parlez-moi d'elle.
FEMME- Elle ne mange plus, Monsieur le Directeur. Elle ne semble plus avoir le goût des choses...
DIRECTEUR - Précisément. Voici le Projet de notre Etablissement. Prenez le temps de le lire. (Il lui tend un imprimé.) Personnel impliqué, dévoué, compétent, généreux. Clubs entre midi, l'épanouissement de l'enfant; suivi scolaire et psychologique... et médical, évidemment, si besoin est, accès à Internet Haut Débit pour chacun, il faut vivre avec son temps, le temps de la mondialisation et des écrans, je ne vous apprends rien, avec bien sûr, n'en doutez pas, je sais que vous allez me poser la question, tous les bons parents la posent, un verrouillage des sites "dangereux" pour notre jeunesse. Vous comprenez ce que je veux dire. Point n'est besoin de développer. Croyez-moi, votre fille se sentira bien, chez nous. Ne tardez pas trop à prendre votre décision. Il y a des listes d'attente. Rançon du succès!
(Il rit, vaniteusement, se lève, contourne le bureau va vers elle, veut lui serrer la main. Elle est toujours assise. Il hésite et retourne derrière son bureau et la regarde intensément.)
Mais, qu'elle sache que je veux absolument la rencontrer. C'est la moindre des choses. Un contact direct, franc les yeux dans les yeux, un contrat de confiance, en quelque sorte. Très important pour les dépressifs.
FEMME - Ma fille n'est pas...
DIRECTEUR- Bien sûr, bien sûr, ne vous inquiétez pas, cela ne sortira pas d'ici...Il y aura visite médicale, de toutes les façons. Moi même, voyez-vous...
(Femme se lève et part à reculons, se confond en courbettes, trébuche et quitte la scène).
DIRECTEUR- (Illuminé) Bon boulot, bon boulot !  Pauvre femme. C'est pour des gens comme elle, que je suis, enfin, que , nous sommes là, vous et moi, et toute l'équipe, cela va sans dire. Francine, vous m'entendez ? Je travaille sur l'empathie, en ce moment. Vous avez-vu, ça marche !!!  Depuis tout petit, j'ai des dons pour le "relationnel" comme on dit aujourd'hui. ( A Secrétaire qui est restée sur scène, les bras croisés, le visage inexpressif, pendant l'entretien) Dès que le dossier reviendra, vous n'oublierez pas de le classer. Merci, mon petit.
(Ils saluent le public puis,  Directeur, met la main sur l'épaule de Secrétaire qui le guide, comme s'il était aveugle vers les coulisses. Ils sortent par la même sortie que Femme, mais reviennent aussitôt. Essaient une autre issue, reviennent et enfin, trouvent une sortie différente de tous les passages qui seront utilisés durant la pièce que ce soit entrée ou en sortie.)

   NOIR    

     TABLEAU TROIS  

Femme; Producteur de films"X". Un(e) accessoiriste. (Soit Gardien du Tableau un, soit Secrétaire du tableau Deux)


(Femme arrive en titubant légèrement. Elle tient son sac serré contre son corps. Robe décolletée, boucles d'oreilles très voyantes, bijoux un peu partout. Elle tire un petit flacon de parfum de son sac. Elle se parfume derrière les oreilles en avançant vers le milieu de la scène. Elle se regarde dans un miroir en pied que lui présente l'accessoiriste qui avance, à reculons, en même temps qu'elle et qui disparaît quand arrive Producteur. Cheveux gominés. Sa chemise sort de son pantalon, comme s'il s'était rhabillé précipitamment.)
FEMME -  Monsieur... c'est pour ma fille. J'ai des photos. On m'a dit que vous cherchiez des actrices non professionnelles pour tourner un film sur Sigmund Freud. ( Elle tremble en sortant un nombre impressionnant de photos de son sac. ) Tenez, regardez, elle est belle, n'est-ce pas ? Mais, en ce moment, elle est malade. Et je veux la guérir.
PRODUCTEUR - Oh! Oh! Stop. Je ne veux  pas connaître vos raisons.  J'suis pas toubib, moi. On ne mélange pas tout. J' suis dans le business, Madame. Donnez voir. Mais elles sont en noir et blanc ! Qu'est-ce que vous voulez que je fasse de ça ? ( Il prend une loupe et s'attarde complaisamment sur certaines photos. Pendant ce temps, elle refait les plis de sa robe, se rapproche de lui et regarde aussi les photos par-dessus son épaule) Remarquez... en y regardant de plus près...Ce n'est pas si mal...Je peux peut-être vous la "guérir", comme vous dites. ( Il la repousse assez brusquement.) Je garde les 5 là. Les autres vous pouvez les jeter. Fixez votre prix. ( Elle recule affolée ,lui reprend toutes les photos et les remet dans son sac.) Madame fait sa chochotte ! Mais je  ne vous ai pas demandé de venir! Vous avez ce que vous vouliez, non ? N'oubliez pas de me l'envoyer, un de ces jours. J'ai un public pour des filles comme elle. Pour vous, essayez la tapisserie... Allez au Diable,  Madame et bonjour chez vous...( Il esquisse une révérence. Elle part, sans se retourner en déchirant les photos qu'elle a ressorties de son sac. Producteur souffle, sifflote et se sert à boire.)

 NOIR         

                                                   TABLEAU QUATRE

                                                     Femme; Homme.

(Elle est assise sur un banc, à côté d'un homme sans caractéristiques particulières, si ce n'est qu'il doit inspirer la tranquillité et la confiance. Elle est habillée en chaussures plates, sport, mode "trentaine", chemisier blanc. Elle se met à pleurer. Il continue à lire. Elle passe aux cris. Il finit par la regarder et lui tend un mouchoir.)
FEMME- S'il vous plaît, Monsieur, écoutez-moi. Ma fille est malade. Elle est jeune. Elle a douze ans. Je ne sais pas si nous allons nous en sortir. Je cherche désespérément des conseils. Je n'en puis plus.
HOMME - Vous êtes bien mignonne, Madame, mais je ne suis pas médecin. Il y en a beaucoup, dans le quartier. Vous allez trouver, j'en suis sûr.
(Il se lève et s'éloigne.)
FEMME- (paniquée) Je vous en supplie, revenez. Je suis seule. J'ai besoin de vous. D'ailleurs, je possède quelque chose qui vous appartient.
HOMME- (se retourne et revient près du banc) Je ne puis vous être d'aucun secours, je vous l'ai déjà dit. Vous vous trompez de personne. Mouchez-vous...Voilà...Et gardez le mouchoir. (Il enserre délicatement la main qui tient le mouchoir). J'ai à faire. On m'attend.
(Il commence à partir. Elle se lève et se place devant lui pour l'empêcher d'avancer.)
FEMME- S'il vous plaît...
HOMME- (Il la prend par le bras et ils se rassoient tous les deux). Vous savez, je vous connais, moi. Je vous vois passer, de temps en temps, de loin, avec votre fille. Je suis étonné qu'elle soit, comme vous le dites,  "malade". Retournez vers elle. Prenez-la par la main. Qu'elle se lève. Qu'elle marche avec vous d'abord. Puis seule,  au début, soutenue  par votre regard… Allez-y. Ayez confiance ! Marchez ... 
(Ils se regardent intensément, se lèvent et s'éloignent sur un petit signe de la main. Ils sortent l'un après l'autre, séparément, mais par la même porte.)
(Le générique du début  reprend quand la femme se lève puis  s'arrête net. Tous les personnages sont alignés au fond de la scène, dans l’ombre)                                                                                          
                                                               FIN 

                                     

Publié dans autour du théâtre

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article