"Instants poétiques" Amable TASTU sur Radio Jerico en juillet 2013
La poétesse Amable TASTU - le terme de "Poétesse" aurait été créé, "inventé" pour elle - est née à Metz sous le nom de Sabine Casimir Amable Voïart à la toute fin du XVIIIe siècle.
Elle a également passé une partie de sa jeunesse à Nancy, auprès de sa jeune belle-màre Elise Voïart, née Petitpain qui l'initie au monde ses salons. Après son mariage elle vivra à Parie où son mari Joseph Tastu ouvrira un atelier d'imprimerie.
...Là, elle fréquente les poètes et gens de lettres les plus connus de l'époque, comme Victor Hugo, Alphonse de Lamartine, Charles Nodier, Marcelline Desbordes Valmore, Mme Récamier ou Chateaubriand.
Deux soirées lui seront consacrées en novembre. L'une à la Maison de Verlaine Metz où sera faite lecture à plusieurs voix de sa réécriture en vers de Peau d'âne et l'autre au Centre Culturel de Queuleu qui cherchera à cerner sa personnalité et les caractéristiques de son écriture.
Son oeuvre, de par les thèmes qu'on y découvre, ainsi que par son attirance et sa connaissance - dans le texte - de Shakespeare - une référence incontournable parmi ceux qui fréquentaient le Cénacle- de Byron et de Thomas Moore permettent de la classer parmi les poètes romantiques.
Dans certains de ses poèmes où s'exprime une veine patriotique et engagée, on peut comprendre son son sentiment d'appartenance à une région qu'elle ressent, à l'époque comme la "vaillante sentinelle du pays menacé".
Son oeuvre contient également un autre aspect, celui que nous entendrons aujourd'hui. Un questionnement constant sur sa relation à l'écriture, sa place de femme, de bourgeoise, de poète, qui se mesure aux plus grands,d'écrivain - quand elle abandonne la poésie, elle se consacre à des oeuvres en prose, qui se vendent bien et lui permettent de vivre.
Commençons par écouter ce poème plein d'esprit qu'elle a adressé à Victor Hugo qu'elle connaissait très bien. Tout en ayant conscience de ses aptitudes poétiques - elle est douée, et/donc très libre dans ses choix stylistiques, mais aussi modeste et perfectionniste. Elle opposera toujours l'intime, le privé, le profond à l'éphémère bruyant de la notoriété.
A Monsieur Victor Hugo in Poèmes de Amable Tastu
Heureux qui, dans l’essor d’une verve facile,
Soumet à ses pensers un langage docile ;
Qui ne sent point sa voix expirer dans son sein,
Ni la lyre impuissante échapper à sa main,
Et cherchant cet accord, où l’âme se révèle,
Jamais n’a dû maudire une note rebelle !…
Hélas ! ce n’est pas moi !… D’un cri de liberté
Jamais comme mon cœur mon vers n’a palpité ;
Jamais le rhythme heureux, la cadence constante,
N’ont traduit ma pensée au gré de mon attente ;
Jamais les pleurs réels à mes yeux arrachés
N’ont pu mouiller ces chants de ma veine épanchés.
Quelquefois me berçant d’espérances lointaines,
J’aurais voulu tenter ces régions hautaines
Où sous l’azur des cieux nos aigles rassemblés,
Tracent d’un vol hardi les cercles redoublés ;
Mais jamais dans les airs mon aile balancée
N’a fermé sans fléchir la courbe commencée ;
Toujours mon vol tendait au terrestre séjour,
Et mon œil s’est baissé devant l’éclat du jour.
***
Dans un mouvement de frémissante confrontation, elle cherche à apprivoiser l'élan impétueux de celle à laquelle elle ne cède que partiellement : la gloire.
Qui ! moi, moi l’envier, la chercher ou l’attendre ?
Moi, d’un immense écho flatter ma faible voix ?
Non, je n’y prétends point, mais je crois la comprendre ;
Et je m’applaudis de mon choix !
Porter dans ses travaux la flamme au ciel ravie ;
Nouveau fils de Japet douer de traits divins
Une muette argile, et d’un souffle de vie
Animer l’œuvre de ses mains ;
S’abreuver sans relâche aux flots de Castalie ;
Maîtriser à son gré le magique instrument
Qui, du chantre d’Énée au chantre d’Athalie,
A transmis son enchantement.
Émouvoir, éclairer, ou dominer le monde,
Et, frayant le premier de glorieux chemins,
Y laisser après soi cette trace profonde
Que suit la foule des humains,
Voilà, voilà la Gloire ! Un hymne que répète
Des siècles rassemblés le chœur mystérieux ,
Et non ce vain plaisir qu’à l’oreille distraite
Apporte un son mélodieux.
Cherchez-la, poursuivez l’éclat qui l’environne,
Remportez sur ses pas un immortel honneur,
Vous, qui l’aimez assez pour payer sa couronne
Au prix de tout votre bonheur.
Bravez, si vous l’osez, cette rumeur confuse
De triomphes bruyans et de blâmes amers,
Et d’un sublime effort arrachez à la Muse
Des chants dignes de l’univers.
Mais moi, qui, bégayant sa langue cadencée,
Jamais n’en attendis, sans art et sans dessein ,
Qu’un mot, pour révéler cette intime pensée
Qui mourrait peut-être en mon sein ;
Moi, qui, sans m’asservir aux larmes qu’elle coûte,
Mesurai ses accords à mes pas nonchalans,
Et qui n’ai recueilli sur ma paisible route
Que des sourires bienveillans ;
Contente d’amasser des palmes éphémères,
D’un pins long avenir j’ai sevré mon orgueil.
Il suffit que mes chants, des épouses, des mères,
Bercent ou la joie ou le deuil.
D’un triomphe si doux laissez-moi l’espérance,
Que ces chants entre nous soient un secret lien,
Qu’au nom du sol natal vos cœurs, femmes de France,
Battent à l’unisson du mien !
Si je puis, emportant le seul prix où j’aspire,
Un jour au but fatal reposer sans effroi,
D’un pas inattentif n’éveillez pas ma lyre
Endormie alors près de moi.
Qu’importe si nul bruit ne survit à ma tombe,
Si dans le cercle étroit, par mes accords rempli,
Sitôt que de mes mains le luth s’échappe et tombe,
Règnent le silence et l’oubli !
Le chant du rossignol ne laisse point de trace ,
Nulle voix après lui ne redit ses concerts ,
Et le doux bruit de l’onde expire sous la glace
Où l’emprisonnent les hivers ;
Mais, dans la nuit muette, un regret qui s’éveille
Est peut-être le prix des accens de l’oiseau ;
Peut-être on se souvient d’avoir prêté l’oreille
Au frais murmure du ruisseau.
***
Ecoutons pour finir un poème très travaillé, mélancolique dans lequel on reconnaît tous les thèmes romantiques et en particulier celui du rêve et du lien qui unit le poète par tous ses sens à la nature.
( Prévu mais non lu )