En lien, étude de Laura Marin : "L'aphérèse comme figure du neutre" dans "La Folie du jour" de Maurice Blanchot suivie de quelques notes

Publié le par Claire Antoine

En lien, étude de Laura Marin  : "L'aphérèse comme figure du neutre" dans "La Folie du jour" de Maurice Blanchot suivie de quelques notes
                                            Prise - personnelle - de notes 
 
       Une lecture  de Blanchot à  "l'épreuve du neutre" : de l'aphérèse à l' amuïssement
 
"Dans La Folie du jour, le « récit » d'une double impuissance, du corps et du sens, finit par neutraliser la possibilité de tout récit : « Un récit ? Non, pas de récit, plus jamais. »
 "Un « personnage » est empêché dans ses sens, blessé dans son corps ;  la vue est touchée, mais aussi la capacité d’une parole à répondre de soi, des événements, du sens. "
         MOTS-CLEFS :  Aphérèse/négation/Intensité/neutralité et références 
L'auteure fait de la notion d’aphérèse la clé d'entrée de son interprétation littéraire de l'oeuvre ce qui lui permet d'interroger  cette "neutralisation" de la possibilité de raconter, transformer un événement en narration, de fragmenter le temps (et l'espace).
L'aphérèse est une figure grammaticale qui consiste à retrancher une syllabe ou une lettre au commencement d’un mot . Figure de mots, ou de diction, métaplasme par suppression.   Aphérèse : action d'ôter, de dépouiller de, => écarter, éloigner de empêcher de  => exciser,  pratiquer une ablation,  ...  couper pour nettoyer, redonner vie, écarter, dépasser 
Pour Roland Barthes, l' " Intensité"  concerne le neutre parce que le neutre c'est  le champ des intensités non paradigmatiques". "L'intensité* fuit le paradigme, car dans le paradigme il y a de l' hors-intensité du privatif d'intensité " excédée,  et déjouée par extra-vagance". 
*Si  on accepte de considérer toute action racontée (comme le montre la Physique, pour la vie des "vivants") du point de vue de sa force, c'est-à-dire comme une action capable de créer une accélération ou de modifier/déformer un mouvement d'un objet, on parlera d'intensité pour évoquer la force plus ou moins grande qu'elle dégage.
 
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Le sujet-narrateur est empêché dans sa vision : ce qui entraîne pour lui la perte de la capacité d’enchaîner les événements et  de raconter l'intensité de sa propre histoire, de dire "comment ça s'est passé", cette perte . La narration, le récit, dans sa  dans sa temporalité  ne peut en rendre compte. Ce qui s'est passé ne peut se re-dérouler. Il serait remplacé par une ellipse.  
Il  n'y aurait trace de la perte que si on cherchait à comparer sur deux axes de temps celui de "la vraie vie " de la fiction à celui  de la narration, de ce qui s'écrit en considérant ce fait-événement-là.
Le « personnage », est  bloqué - interrompu  dans sa capacité à transférer un événement  fondamental pour lui, un événement fondateur de sa vie d'après. Il ne peut que dire ce qu'il ne peut pas dire. Le lien entre ce qui se passe pour lui au moment où il est interrogé par les médecins et le temps d'avant où il pouvait voir, comprendre le monde et donc le dire est coupé, cassé. D'autres choses s'écrivent  autour de cette sorte de trou noir,  d'angle mort. L'intensité est diluée par les mots qui eux vont s'enchaîner tisser quelque chose autour et à côté de ce moment de disparition - négation
Ainsi, au lieu de raconter l’événement qui a eu lieu, la narration « les faits », exigée par les médecins, le « récit » ne parvient plus qu’à se raconter lui-même, dans son énonciation ; 
Le texte devient le lieu  de l'attente de l'arrivée possible d' un événement  bouleversant qui ne pourra être raconté. Un événement pour demain, mais en quelque sorte tombé dans l'oubli, ne pouvant plus être pensé, conçu  dans la rationalité du langage  articulé qui "travaille" le sens à donner à ce qui arrive. 
Dans la lumière du jour, le savoir  de ceux qui voient est en rapport  continu avec le monde visible et  en comprennent l' invisible. Voir : c’est percevoir par les yeuxet c’est également comprendre, saisir par l’intelligence
                                              Le savoir voir est pouvoir.
            Ne pas voir soustrait à ce pouvoir, abandonne au savoir devenu invisible 
                          Supprimer tout ce qui appartient au domaine de la vue,
        dans tous les sens du terme dénotés et connotés; sens propre et sens figuré.
                     Une expérience du neutre du ni - ni, ni vu ni compris
 Aucune intensité. Les participes passés se distribuent de façon parfaitement symétrique  - même si l'un est plus long d'une syllabe que l'autre -. Rien ne ressort, ne peut se détacher, se sélectionner, s'élire, se choisir, se dire et se comprendre.   L’aphérèse qui enlève quelque chose du début  empêche le « personnage » de regarder loin mais il peut quand même regarder et dire mais au-delà, autour. Il ne peut pas revenir sur ce qui pour lui est passé indicible. Pas de prise de "la distance du regard" d'un au-là, à portée de vue, "rattaché au réel"  qui  permet sa mise en perspective.
 Distance nécessaire et suffisante pour qu'un récit puisse se donner à voir. Sans quoi il se nie devenant un « Il sans figure » Raconter sans voir, délié du vécu, c'est "défaire, dans le langage, toute structure dénotative ou « optique » et le déplacer, le tourner et le détourner, au (dé)tour initial et infini ; à quoi s’engage justement l’écriture et s’éprouve, pouvoir interrompu – le neutre."
Lorsque le corps est guéri par ablation,  la soustraction  du ni-ni continue "Déchiré, sous la violence du coup, et dépourvu de toute qualité humaine, ce corps plonge dans la souffrance, une souffrance « indifférente, et non soufferte, et neutre (un fantôme de souffrance), si celui qui y est exposé est privé, justement par la souffrance, de ce “Je” qui la lui fait souffrir »".(...)
 "A l’épreuve du neutre, cette souffrance n’est plus seulement la souffrance d’un « sujet »(...) , c’est la souffrance plus radicale d’une expropriation où le « sujet » est arraché, à soi et à l’être. Dépouillé et neutralisé, le « personnage » blanchotien exprime alors son propre retranchement : les « malaises » qu’il traverse sont les signes d’un espace marqué par l’éviction du monde référentiel, les traces de l’érosion de la « personne » qui parle, l’apparition d’une écriture sans détermination. Le « sujet » devient « quelque chose d’un peu vague et informe », une figure qui se dessaisit de sa forme au moment du saisissement, instable, dé-positionnée, un « être foudroyé qui s’éparpille et se dissipe à travers le texte ». Le préfixe privatif de l’aphérèse décrit le mouvement de régression qui touche la figure, de réduction et de retrait...:
Détruire ou blesser à mort la vérité empirique et usuelle du « sujet » qui parle dans un récit, rendre impossible toute tentative d’hypostasier le « sujet écrivant », c’est surprendre un autre type de corps dans les failles de l’écriture, passer d’un corps solide à un corps liquide (une goutte d’eau), et d’un corps liquide à un corps d’écriture (une tache d’encre). (A)voir un tel corps, au pluriel solide, liquide et écrit, c’est aussi échapper à toute forme qui pourrait incarner le savoir du visible-invisible et s’évanouir, la « faute » dont parle les médecins, leur colère devant la « parfaite nullité » du « personnage » devenu insituable, – dans cet espace particulier de l’outre-clôture qu’est l’écriture. En s’exposant ainsi, pourtant caché, le corps soustrait expose sa propreaséité, son à part soi, « ce vertigineux retranchement de soi qu’il faut pour ouvrir l’infini du retranchement jusqu’à soi », comme le dirait Jean-Luc Nancy, « l’à-soi, le par soi du Sujet » qui « n’existe que comme l’écart et le départ de cet – (de cet à part soi).»
La Folie du jour commence et finit par une négation : « Je ne suis ni savant ni ignorant », et « Un récit ? Non, pas de récit, plus jamais ». Le début du récit est lié à une négation du savoir, sans faire pour autant de l’ignorance un « état » négation neutralisante, qui dépasse toute forme de négation et toute forme d’affirmation c’est dans ce « dehors » que Jacques Derrida voit « […] la possibilité d’un “récit” au-delà du système des oppositions philosophiques. »
L’enchaînement des quatre formes grammaticales négatives (nonpasplusjamais) crée uneintensité, un crescendo, par lequel la négation du récit se soustrait à elle-même.
La Folie du jour n’est pas un récit, il n’y a pas de récit. l' Aphérèse  atteint, d’un coup trois fois porté, la possibilité elle-même de la narration, le sens de tout récit, à venir.
le texte épuise le paradigme des adverbes de négation : nonpasplusjamais,ni…ni. ..et au-delà  il y a peut-être  un amuïssement, c'est-à-dire le contraire de  l'aphérèse, la disparition, oui, mais de la fin d'un mot, d'une histoire... si l’écriture se trouve empêchée de raconter le sens et le jour, le récit et la raison. 
Parole pourtant restante, écrite, « blanchissement » noirci d’une tache d’encre qui correspondrait fort bien au silence du neutre blanchotien.
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