"Pour une approche freudienne non psychanalytique de la littérature" ; Francesco ORLANDO, lecture de Phèdre

Publié le par Claire


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lecture de PHEDRE

"Un tel personnage [Alceste] qui, comme Phèdre, souffre d'un amour non partagé mais qui; comme ses neveux et petits-neveux de l'âge des Lumières, est allergique à l'irrationalité de l'organisation sociale, dont la névrose est déjà refus critique des conventions sociales mais dont le refus des conventions sociales est encore névrose, semble fait exprès pour nous rappeler que le désir de critiquer et de changer le monde, avant même d'être un besoin et une volonté, est un désir".
Lettura freudiana dei « Misanthrope » 35

 La lecture d'Orlando 
 se fait à travers un réseau hiérarchisé de « dénégations symboliques » préalablement mis en place. La première de ces (dé)négations est énoncée, à l'extérieur encore du texte, à son entrée, dans la Préface de Racine. N'y est-il pas dit en effet que dans Phèdre « la seule pensée du crime (...) est regardée avec autant d'horreur que le crime même » et que « les passions n'y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause ; (...) le vice y est peint partout avec des couleurs qui en font connaître et haïr la difformité » ?
Or, constate Orlando, ces déclarations sont contredites par la pièce, par l'effet qu'elle produit sur le spectateur-lecteur, effet évidemment prévu, voulu, ménagé, puisqu'il ne résulte de rien d'autre que de cette identification émotive avec l'héroïne incestueuse, « criminelle », identification si bien aperçue, et dénoncée, par un Bossuet quelques années plus tard : « On se voit soi-même dans ceux qui nous paraissent comme transportés par de semblables objets : on devient bientôt un acteur secret dans la tragédie ; on y joue sa propre passion, et la fiction au dehors est froide et sans agrément, si elle ne trouve au dedans une vérité qui lui réponde ».Le même mécanisme (dé)négateur se trouve mis en oeuvre et énoncé à l'intérieur du texte de la pièce où, à plusieurs reprises, l'oubli est invoqué sur cela même qui va être ou qui vient d'être dévoilé :251 Oublions-les, Madame. Et qu'à tout l'avenir

Un silence éternel cache ce souvenir.
1645 Elle expire, Seigneur. D'une action si noire
Que ne peut avec elle expirer la mémoire !

La tragédie entière se donne donc ainsi à lire comme la manifestation, la mise en place, la mise en scène d'une (dé)négation puisque, on s'en souvient, le propre de la (dé)négation c'est d'énoncer à la fois, dans une seule et même formulation, dans un seul et même acte de parole, l'affirmation et la négation de quelque chose.
« Prendre connaissance du refoulé » tout en maintenant « l'essentiel du refoulement » ou, inversement, « lever le refoulement » sans « accepter le refoulé », ce sera, par exemple, attirer sur Phèdre condamnation et sympathie, identification émotive et répulsion ; et ce sera évoquer un mythe scandaleux tout en appelant sur lui l'oubli. C'est ce qu'Orlando rendra manifeste en traduisant la formule freudienne dans un algorithme où figureront à la fois, des deux côtés de la barre, le refoulement et le refoulé, présents et actifs solidairement :
non acceptation du refoulé = refoulement
suppression du refoulé = refoulé
une autre formulation - qui illustre ou dont elle est l'illustration est la suivante en italien :
NON...
...MI PIACE 

L'italien, en effet, a l'avantage, contrairement à la formulation française (je ne l'aime pas, je n'aime pas cela), de préserver l'autonomie de la face affirmative de l'énoncé (mi piace) qu'efface ainsi sans l'altérer la (dé)négation. Il en va de même en allemand, et la phrase du patient citée par Freud offre exactement la même structure, avec cet avantage supplémentaire de présenter l'affirmation avant la négation, de sorte que le sens reste un moment suspendu à l'expiration de cette première phase positive : Meine Mutter ist es nicht (quelque chose comme : Ma mère c'est pas), avec cette différence capitale que l'énoncé allemand représente bien la manière normale, la plus « invisible », de dire : Ce n'est pas ma mère.

La solidarité entre les deux membres de la (dé)négation doit se lire aussi en termes d'énergie investie. Autrement dit : La logique propre de la (dé)négation freudienne veut que l'élément négateur exprime toujours aussi l'élément nié (...) ; de telle sorte que la force du premier soit directement proportionnelle à celle du second. (LFPH, 29).

Mais qui ne voit que cette formule dynamique et dialectique, rend compte aussi avec exactitude de la fable même racontée par Phèdre, de son « contenu » thématique et psychologique :

Dans « Phèdre » le complexe des (dé)négations symboliques revêt une importance sans comparaison plus forte et plus riche que l'expression directe du désir de Phèdre. Ce dernier tend, à proprement parler, à s'annuler sous le poids d'une combinaison extrêmement dense de symboles, à travers laquelle le désir affirme d'autant mieux sa puissance et se révèle d'autant plus séduisant et poignant qu'il est plus irrémédiablement nié (LFPH, 30).


(La suite sur le site cf supra ) 


Publié dans citations. Notes.

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C
Pardon, pas de rapport avec ton article mais juste pour saluer "SE COMPROMETTRE" qui est un texte troublant (je crois te l'avoir déjà dit) au titre foudroyant. Bisou
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