L'épidémie par le filtre de l'écrit. La lecture, sans masque, sans gants, autre moyen de ''distanciation''

Publié le par Claire Antoine

 L'épidémie par le filtre de l'écrit. La lecture, sans masque, sans gants,  autre moyen de ''distanciation''

Après le choléra, la tuberculose, la syphilis, le sida, la grippe "espagnole" ou A ( dont ma mère vient de mourir), depuis la fin de l'an dernier, un nouveau venu, le covid 19, accompagné de la grande faucheuse, se propage  à grande vitesse et fait vivre à l'humanité des bouleversements tragiques. "Ils n'en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés."( La Fontaine).

Pour tenter de conjurer mon angoisse et de me remettre d'aplomb, je cherche, selon mon habitude, un remède ( pour survivre aux "informations" et aux listes de chiffres qui donnent le tournis, annonçant les contaminés, les morts, les soignés vrais, les faux sauvés) dans les textes impassibles mais "commentables" à l'infini de la "littérature", et porteurs d'espoir.  

Le thème de l'épidémie est souvent traité en 3ème et au lycée. Dans les années 70 à 90 environ, c'est par le biais surtout de La Peste de Camus (la peste attaque Oran) du Hussard sur le toit de Giono, (la Provence est en proie au choléra), ou même de la pièce de théâtre, Rhinocéros, d'Ionesco (qui dépeint une épidémie imaginaire de « rhinocérite »)Sans oublier la fable de La Fontaine, "Les Animaux malades de la peste" qui au XVIIe, évoque "la peste de Thèbes". 

Dans ces œuvres,  même si comme les deux premières, elles contiennent des descriptions plus ou moins réalistes, engendrant chez le lecteur effroi et tristesse, il existe un sens second, métaphorique et allégorique, qui atteint la souveraine raison, pour un temps, au moins. Allégorie de la guerre pour Camus qui faisant référence à l'horreur des camps nazis, interroge les réactions humaines face au mal. Pour Giono, le choléra agit comme le révélateur d'une humanité sans repères qui libère les poisons de la peur et de l’égoïsme. ​​​​​  Ionesco, lui, met en garde contre le conformisme et propose la résistance au pouvoir politique, toujours, a priori, illégitime.  Chez La Fontaine, un roi, pour sauver son peuple de la peste, va , avec l'aide de ses conseillers, sacrifier, le "plus coupable" : l'âne, trop honnête et trop naïf. La peste est alors l'allégorie de l'hypocrisie et des calculs "politiciens".

Mais d'abord, très longtemps avant, dans les tragédies grecques,  la notion d'épidémie a pris une dimension mythologique répondant aux questions philosophiques que se pose l'humanité, tel le problème du mal.

Dans Œdipe roi (Ve siècle avant J.-C.),  par exemple, Sophocle fait (quelques années après le récit de Thucydide sur la peste d'Athènes, dont il sera question en infra) de la peste qui accable Thèbes, le point de départ de la découverte, par Œdipe, de l'accomplissement de son destin. Face à l'épidémie qui ravage la ville, Œdipe, roi de Thèbes et époux de Jocaste, doit, pour sauver la ville, retrouver et expulser l'assassin du roi Laïos qui court toujours. Et ...Œdipe découvre que Laïos est son père biologique; que c'est donc lui qui l'a tué. La peste ouvre les yeux d'Oedipe, le révèle à lui-même dans toute son horreur. Ce déchiffreur de l'énigme du Sphynx, ne se (re)connaît pas. En se crevant les yeux pour se punir, il rendra visible son aveuglement. Mais la pièce peut être lue aussi comme une métaphore de la violence contagieuse. 

                

                                                         La peste et l'Historien 

                               

Il existe un "premier récit d'épidémie", l'originel, celui du "père de l'Histoire", Thucydide. Il rapporte, 25 ans après les faits, l'épidémie ( dont il a été victime) qui a touché la Grèce antique durant 4 ans (de 430 à 426 avant J-C) et  a causé plusieurs milliers de morts, soit entre 1/4 ou 1/3 de la population.  La chronique est insérée dans l'Histoire du Péloponnèse. On l'évoque, en général, sous le nom de "La peste d'Athènes". 

 

Thucydide, n'est pas un "littérateur". Il se méfie des fables de l'imagination et entend faire œuvre utile, en s'adressant aux générations futures, partant du principe que le destin se répète et que la nature humaine présente des caractères permanents :

« Je laisse à chacun - médecin ou profane - le soin de dire son opinion sur la maladie, en indiquant d'où elle pouvait vraisemblablement provenir, et les causes qui, à ses yeux, expliquent de façon satisfaisante ce bouleversement, comme ayant été capable d'exercer une telle action. Pour moi, je dirai comment cette maladie se présentait ; les signes à observer pour pouvoir le mieux, si jamais elle se reproduisait, profiter d'un savoir préalable et n'être pas devant l'inconnu ; voilà ce que j'exposerai - après avoir, en personne, souffert du mal, et avoir vu, en personne, d'autres gens atteints - » (II, XLVIII).

( Tous les passages du texte grec sont traduits par l'excellent Philippe Remacle, hélas décédé le 11 mars 2011.

 

L'historien décrit les symptômes de la maladie,  en utilisant le vocabulaire médical de son temps. Ceux-ci font penser à  la rougeole, la variole, la dengue, le virus Ebola, le typhus... 

Il raconte aussi la façon dont se répand l'épidémie qui née en Éthiopie qui passe en Égypte et en Libye avant d'atteindre le monde grec. Au début de l'été 430-429, la maladie apparaît soudainement dans le port du Pirée, avant continuer sa route;

Il évoque son pouvoir de destruction. "on n'avait nulle part souvenir de rien de tel comme fléau, ni comme destruction de vies humaines". 

Toutes les formes de médecine ou de religion étant inefficaces : « les Athéniens s'abandonnent au mal ». 

 

 

Ci-dessous le lien avec le livre II ( texte grec et traduction )      

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