Rêves étoilés (appartient au recueil collectif " Coups de Lune" édité sur www.leproscenium.com)
Courte pièce en trois parties
Deux personnages :
ESTELLE : jeune femme « savante ». Relativement sûre d’elle.
DENIS : compagnon d’Estelle. Compréhensif.
Denis a faim et sa compagne Estelle n’est pas une femme d’intérieur. Ils vivent dans « leur bulle », une relation tendre, où prennent place quelques références littéraires et cinématographiques, par microscope interposé…
Première partie
( Dans une sorte de laboratoire très sommaire et peu identifiable Estelle s’affaire autour d’un microscope. Son compagnon, DENIS entre)
DENIS – Bichette, tu te souviens du passage des Femmes Savantes de Molière où Chrysale fulmine contre « cette longue lunette à faire peur aux gens » que sa femme, Philaminte,- tu me suis ?- utilise pour observer la lune…et, heu, quand elle a l’œil collé à son espèce de télescope, et qu’elle regarde ce qu’on fait sur la lune…elle…elle…oublie « mon pot », c’est lui qui le dit, et là, en général, le comédien qui joue son rôle insiste…, il parle un peu plus fort, il articule mieux, « dont j’ai besoin », …C’est la citation exacte et « mon pot » veut dire, en français actuel, « ma » nourriture, le repas…dont « il » a besoin pour…ne pas dépérir, tout simplement.
ESTELLE- Oui, oui, c’est exact, mais d’autres aussi s’y sont intéressés, à la lune, au XVIIème siècle. Je pense au vrai, à l’extravagant soldat-écrivain, Cyrano Savignien de Bergerac… « Hercule »…Il a cherché, dans un roman utopique, dont le titre m’échappe- tu vois bien que je suis occupée - des moyens pour atteindre la lune.
DENIS- Hum…Je ne cherchais pas, en fait, à tester ton érudition, Stella. Je ne me le permettrais pas. Jamais. Juré. Ce n’est pas pour cela que je parlais de lui…
ESTELLE – De Cyrano ?
DENIS- Non.
ESTELLE- Ah! C’est dommage...Un homme si… oxymorique, multiple et simple à la fois, original...
DENIS-…J’évoquais, le bonhomme, Chrysale, Estelle !
ESTELLE – Ah!
DENIS – C’est tout?
ESTELLE- Tiens, puisque tu as daigné entrer dans mon domaine…Au fait, as-tu frappé ?
DENIS- Arrête. Personne ne te regarde…Tes amies ne sont pas là pour voir si tu te comportes correctement face à ton forcément macho de « pacs ». Tu dis comment, au fait : « Bonjour les filles, voilà, je voudrais vous présenter « Denismonpacs » ?
ESTELLE- Arrête…Regarde plutôt. Et dis-moi ce que tu vois.
(Elle l’installe devant son microscope)
DENIS- Rien.
ESTELLE- Regarde mieux.
DENIS – ça grouille…
ESTELLE – (ravie) Tout juste. C’est magnifique, n’est-ce pas ? (Il s’éloigne et elle reprend sa place) Cette vie, à laquelle on ne s’attend pas…On croit qu’il n’y a rien et puis…Et les couleurs ? Tu as eu le temps de les admirer ? Les formes, aussi, qu’aucun peintre n’aurait pu imaginer.
(Il prend un air incrédule. Elle va vers lui, le prend dans ses bras et le fait tourner)
Je t’assure, même un coloriste génial !
DENIS – Certes, certes…L’infiniment petit réserve quelques surprises magnifiques…mais, pour les nourritures terrestres, que fait-on, ce soir ?
ESTELLE – Didi, sois mignon…
DENIS – Waff ! Waff !
ESTELLE - …Commande des pizzas…
DENIS – Encore ! 4 fois de suite, tu ne trouve pas que…
ESTELLE – S’il te plaît…
DENIS – Je te rappelle les préceptes diététiques de base véhiculés par tous les experts en blouse blanche via les médias chauds ou froids, je ne sais plus,- j’ai même oublié mon Mac Luhan, avec toi- : 3 légumes par jour, éviter l’abus de féculents, traquer (en n’en consommant jamais ou…le moins possible) le faux sel tapi traitreusement dans la nourriture industrielle…
ESTELLE – Tu exagères toujours. Tu es maniaque, hypocondriaque…
DENIS – Es-tu sûre d’employer le bon terme ? Je dis ça pour le dernier …
ESTELLE – Absolument, pour la rime, c’est parfait. Je trouve que « iak » est un son qui te convient très bien.
DENIS – Pourquoi ?
ESTELLE – Je ne sais pas… comme ça, quoi, sans motivation, gratuit…quoiqu’à y bien réfléchir, dans mon inconscient, tu ressembles peut-être à un yak, cette sorte de buffle qui vit au Tibet. Il faudra creuser l’idée… Dans tous les cas, à moi, ça me donne la niaque. J’ai envie de m’éclater …
DENIS – Je suis là, chérie. Reste dans ces bonnes dispositions, après le repas, tout ce que tu veux…
ESTELLE – Oh ! Tu ne penses qu’à ça ! M’éclater dans mes recherches, idiot ! Mais, le thème de la nourriture me convient, toutefois, très bien. Bon, alors, tu y vas ?
DENIS - C’est la dernière fois, tu m’entends bien ? Demain c’est à ta mère que je téléphone ou à la mienne…J’aurais préféré que tu dises: (clin d’œil et ton racoleur) « Alors on y va, chéri… »
ESTELLE – N’importe quoi ! …Pourquoi les mères ?
DENIS – Mais, parce qu’elles sauront trouver les mots, elles, pour te faire changer d’atelier, de laboratoire…Faire la cuisine à ton … « homme » devrait être le meilleur moment de ta journée. Enfin…Un des meilleurs ! Bonne table, bon lit : voilà l’homme tout entier, ou quasiment.
(Elle est replongée dans ses observations microscopiques et lui se dirige vers le téléphone.)
NOIR
Deuxième partie
Un coin salon. 2 boîtes de pizzas. Une télévision allumée. Son assourdissant. On entend pendant quelques minutes la retransmission de l’émission qui a montré les premiers pas de l’homme sur la lune. Interruption publicitaire. Ils mangent, « plateau télé », assis.)
ESTELLE – (chante) « Armstrong, tu te fends la poire, on voit toutes tes dents… »
DENIS – Tu ne peux pas chanter moins fort ? Et puis…Je ne veux pas te vexer…Mais il ne s’agit pas du même Armstrong, tu le sais, ça ?
ESTELLE – Et, pourquoi je baisserais le ton ????? Je chante juste, non ? Je remplace la télé, c’est tout. Tu préfères ça à la pub, quand même…Tu veux que je mime Nougaro ?
DENIS- Calme-toi, s’il- te- plaît.
ESTELLE – Tu n’es pas marrant… Pour Armstrong, évidemment que je le sais. Tu me prends pour une bille ? Il y a Louis, le musicien et Neil, l’astronaute … Et je sais aussi que ce n’est pas non plus le cycliste américain Lance Armstrong…Tu vois…
DENIS – D’accord. Mais, mais…Je ne puis, être aussi péremptoire que toi par rapport à la justesse de ta voix, tu n’es pas une star de l’opéra, une Callas, si je puis me permettre…
ESTELLE – Charmant… (Elle regarde l’écran) … Maintenant que j’y pense, je croyais que la pub était interdite !!!
DENIS- Sur les chaînes publiques et après 20 heures. Or suis- moi bien, la chaîne que nous avons choisie ensemble je te le rappelle, après consultation du programme – tu vois, nous Sommes en symbiose de temps en temps, tout de même, c’est à noter – pour nous permettre de revivre les merveilleux moments que je n’ai pas pu apprécier à leur juste valeur en 1969, parce que j’étais malade et surtout trop petit……n’est pas une chaîne publique et qu’il est 16 heures. Alors, madame, contente ? Rassurée ?
ESTELLE – Tu trouves que quelque chose a changé, toi, depuis qu’on a marché là-haut ?
DENIS – Non. Absolument pas. Mon père m’a raconté qu’il craignait, à l’époque, que la lune ne perde sa magie, son aura poétique.
ESTELLE – (Elle se lève, inspirée) Les femmes sont des êtres de la nuit…intuitifs… lunaires.
DENIS – Lunatiques, je dirais…
ESTELLE – Comme une des Muses de Baudelaire…Son nom m’échappe. Il en a eu 3, qui ont compté, non ? C’est peut-être… Marie Daubrun. Yeux de lune…Yeux de chats…Les yeux verts des chats…
DENIS – Il lui arrive toujours aussi sagement, gentiment, mignonnement, à la lune, de temps en temps, de se poser au-dessus du clocher de mon village, « comme un point sur un i »
ESTELLE - …Elle continue à changer de formes, à son rythme de mois lunaire…croissant, rousse, pleine…
DENIS – (Il se lève aussi) Et quand elle est pleine, les loups se rassemblent en meutes et se mettent à hurler …
ESTELLE – Les bébés veulent sortir, en avance, du ventre de leur mère…
DENIS – Il paraît, que ces soirs-là, ces soirs où la lune est pleine, pleine comme un œuf, les sorcières aussi se rassemblent, elles, tout comme les loups, dans la profondeur moite, étouffante des forêts pour célébrer quelque culte secret…
ESTELLE- Brrr…Oh ! Délicieux frisson…Et la lune rousse, qu’est-ce qu’elle évoque, pour toi ?
DENIS – Sans hésitation…. Bière !
ESTELLE – Tu as encore soif ?
DENIS – Non ! Bière rousse ! La plus forte des bières. Celle qui fait tourner les têtes, dans les Highlands.
ESTELLE - Je sens que tu vas te répéter…Les mystères de la lande, les forêts….Enfin, on sait qu’il n’y a pas de petits hommes verts…
DENIS - Hum Hum…Les petits hommes verts, c’est Mars…Tu devrais savoir ça, toi, la « ssssscientifique »
ESTELLE – Tu n’es pas fatigué d’essayer de me coincer ? Tu me reprends sur un détail, alors que c’est l’idée qui compte. La distance, les planètes lointaines que l’on aimerait conquérir, s’approprier, coloniser, et qui… échappent,… qui s’éloignent plus on a l’impression de s’en rapprocher. Médite là-dessus…Et dis-toi bien que moi aussi j’ai vu Mars Attacks…. N’empêche, personne ne nous regarde de là-haut... Il n’y, a pas de vieux savant barbu jusqu’aux pieds, genre Merlin qui nous regarderait avec une curiosité amusée l’œil rivé à un monoculaire géant.
DENIS - Et puis, c’est tout gris et on ne peut pas y vivre…Il n’y a pas d’atmosphère…
ESTELLE- (Elle se rassoit) Enfin, tu me raconteras…Je te confie à la télévision. Ah ! Je voulais te dire aussi… loin de moi l’idée de vouloir te peiner ou quoi que ce soit, mais j’ai entendu dire que ce documentaire, ce scoop d’il y a 40 ans, c’était de l’arnaque… Si ! Ne me regarde pas comme ça. Il existe une polémique au sujet de ce « voyage », de ce « trip ». Il a peut-être tout simplement été tourné en studio ! Personne ne serait parti…Et si ça se trouve… (Elle se remet debout) …Je vais finir mon expérience…
DENIS – Et si ça se trouve quoi ? Personne n’aurait jamais mis les pieds sur le satellite du Soleil, enfin, de la Terre, excuse-moi, hein, c’est ce que tu veux dire ?… (Il tourne autour d’elle) …Les hommes, eux, sont so-lai-res…Le jour… la vérité aveuglante de la raison.
ESTELLE-… Le doute…Je viens d’introduire le doute chez toi...L’envie d’en savoir plus. Renseigne-toi. Cherche. Bon, je me sauve....Mais les connaissances sur la lune on les a quand même et on les tient, on les tient bien. Il y a eu des sondes, Denis, des robots, efficaces, manœuvrés de loin … à défaut d’hommes…de vrais. Tiens, quelque chose me revient…du fond des âges…La forêt vierge, c’est là où la main de l’homme n’a jamais mis le pied…
DENIS – Qu’est-ce que c’est que ce truc, encore ? Ce n’est pas très malin ce que tu dis là. La forêt vierge, est un concept qui n’a qu’un rapport très lointain avec la virginité. Moi aussi, je m’égare…Tu me troubles…Reprenons, revenons aux astres et à la difficulté de pouvoir les approcher, les toucher.
SUITE ET FIN sur le site Le Proscenium