suite conclusion 2/2 maîtrise 1975 "Oberman" de SENANCOUR

Publié le par Claire

                      Conception de l'homme et de la société
...SENANCOUR lui aussi préconise l'épanouissement de l'individu, corps et âme, la réhabilitation des sens,
et déplore le peu d'efficacité et les dommages causés par une morale axée sur les efforts et les contraintes.
Il proclame lui aussi les droits du moi de l'individu face aux démonstrations fumeuses de la métaphysique et de la logique et reconnaît l'amour de soi comme le "grand principe actif", poussant l'homme à agir et à subsister,
le  fondement de l'amour d'autrui et le principe fondamental d'une nouvelle conception de la morale que Zarathoustra, quant à lui présentera sous la forme d'un évangile nouveau.

Tout comme pour ce dernier, d'ailleurs, la morale nouvelle devra être présentée à la foule - restée, malheureusement dans un état d'ineptie totale- par quelques hommes "supérieurs", dont "l'organisation" est complexe et délicate, hommes "sensibles" au sens redéfini par lui, hommes de "bien",
qui devront par l'exemple, avec amour et persuasion - et non par la contrainte  ni par la peur -, guider et entraîner la masse des gens.
Deux morales différentes se dessinent par conséquent, préludant à la morale des maîtres et des esclaves de Nietzsche, celle de la foule et des êtres supérieurs, qui sont ceux dont la personnalité bien trempée s'est formée seule.
Ils se distinguent par cette distance qu'ils ont vis à vis de tout ce qui émeut,  irrite ou fascine les autres. Leur regard va au-delà de la vision commune et leur indépendance, que SENANCOUR appelle leur caractère " invariable", les rend inaccessibles aux éloges comme aux critiques. Rien d'extérieur ne les désigne à l'attention générale sinon cette parfaite adaptation à toutes les situations, leur vrai refuge et la source secrète de leurs actions étant leur Moi avec tous les éléments duquel ils vivent en parfaite harmonie.
 Tous, qu'ils soient hommes d'Etat ou simplement hommes de bien, écrivains comme Oberman ou prêtres d'une petite paroisse ( cf supra)ont en commun de s'oublier eux-mêmes par souci du bien public. Cette morale aristocratique, élitiste, que selon Oberman, les ministres du culte de l'Eglise catholique feraient bien de mettre en pratique, est une des bases essentielles du nouveau code moral senancourien.( cf là aussi NIETZSCHE)

Si la foule doit être instruite, éclairée, persuadée, guidée, entraînée à bien faire, l'homme supérieur, lui, pratique un art de vivre qui le pousse à éluder la satisfaction de ses désirs pour en accroître l'intensité et entretenir, en lui, cette tension qui donne du prix à toutes choses. L'homme supérieur n'est pas un moralisateur au sens péjoratif du terme et ce qu'il appelle morale nouvelle, c'est en fait un art de vivre.
l'homme supérieur est un être profondément sensible, délicat dont l'âme et l'esprit s'adossent pour toute décision aux assises de son Moi. Il cherche à amener les autres, progressivement, à comprendre que la vertu, la noblesse et la délicatesse de l'âme donnent le bonheur; une vertu positive, féconde et épanouissante.
C'est sans doute ici que peut se terminer le parallèle entre Oberman et Zarathoustra. Car pour SENANCOUR vertu est encore, comme pour tout le XVIII ème siècle synonyme de bonheur.
Même s'il définit la vertu tout autrement que le code moral en vigueur, code, dont les contradictions induisent les gens en erreur et les réduisent à la misère morale, SENANCOUR n'a pas la radicalité d'un NIETZSCHE qui fera précisément porter son effort critique sur la dissociation des termes de l'équation socratique : vertu égal bonheur, égal connaissance.
Si l'un des fils conducteurs de l'oeuvre nous menait bien vers celui qui est considéré comme l'ancêtre des philosophes existentialistes, un autre nous conduit vers la pensée plus spiritualiste des personnalistes.
En effet, l'importance accordée par Oberman à sa personne,- qu'il considère comme caractéristique et universelle dans ses réactions, l'étude de la formation de ce sentiment et cette prise de conscience du moi, indépendamment des circonstances, des aléas de l'existence, cette valeur accordée à un moi libre et autonome qui rétablit paix et harmonie intérieure, sans cesse menacées par les contingences- présente bien des affinités avec les personnalistes du XXème siècle.

[Cf J. MERLANT, parlant d' Oberman, qui "est l'étude du moi, traité non pas en spectateur, mais en agent et en patient perpétuel, comme une conscience soucieuse d'être de plus en plus claire à soi-même et pour qui l'intérêt des choses extérieures, le plaisir intellectuel de regarder et de comprendre ne l'emportent jamais sur la préoccupation de sa propre permanence et de son unité. C'est la recherche passionnée du moi." ]
 
  De plus, la hardiesse de certaines conceptions senancouriennes sur l'homme, sur le droit des femmes au plaisir de l'amour, leur émancipation par l'instruction et une formation adéquates, certaines conceptions des liens de famille, des droits et des devoirs des conjoints l'un envers l'autre, liens que seul l'amour et un engagement réel de la personne parviennent à rendre nécessaires et non pas les conventions, ni les institutions - cette méthode de penser qui consiste à ne tenir compte que de l'essentiel et du nécessaire, après avoir balayé toutes les opinions reçues- paraissent d'une grande actualité et montrent à quel point une oeuvre authentique n'a jamais fini d'étonner. 

Publié dans citations. Notes.

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