Ecrire au féminin NO 24 – HIVER / WINTER 2004 ( http://ent-nts.ca/journal/j24p07_diplomes.htm

Publié le par Claire

                       Les diplômées : écrire au féminin

                                     par Frédérique Doyon

Où en est la jeune dramaturgie féminine ? L’écriture théâtrale attire moins de femmes que d’hommes : depuis ses débuts, le programme d’Écriture dramatique de l’École compte toujours plus d’inscrits que d’inscrites. Question d’histoire, dira-t-on, mais la nature proprement féminine n’y serait-elle pas pour quelque chose ? Trois jeunes auteures, diplômées de l’École qui vivent (modestement) de leur écriture, témoignent : Dominick Parenteau-Lebeuf, Isabelle Hubert et Geneviève Billette.

                                          La féministe postféminisme

 

Sortie de l’École en 1994, Dominick Parenteau-Lebeuf a déjà écrit une vingtaine de textes. Sa dernière pièce, Portrait chinois d’une imposteure, prend l’affiche en février à Toronto. Cette auteure a prêté sa plume hautement poétique à des projets collectifs, à des traductions, à des nouvelles et au théâtre jeune public. « Faut être polyvalent, on n’a pas le choix ! » s’exclame-t-elle, lucide. Primée dès sa première pièce, Poème pour une nuit d’anniversaire, elle l’a aussi été pour son plus récent texte produit à Montréal, Dévoilement devant notaire.

Dans le périple intérieur de cette dernière pièce qu’est le deuil de son héroïne Irène-Iris, l’auteure retrace une voix proprement féminine.

« Il y a quelque chose dans la parole des femmes qui est plus lié à l’intime. Le féminin est particulier ; le masculin est toujours universel », souligne-t-elle. Sans s’en réclamer, elle ne dément pas son héritage féministe, légué par sa mère.

Si Dominick rêve parfois, comme dans les années 1970, d’un espace théâtral consacré aux femmes « à qui on refuse l’universel », celle qui collabore souvent avec Marc Béland s’empresse de se rétracter. « J’aime que ce soit de plus en plus difficile de formuler des généralités sur les femmes qui écrivent », avouera-t-elle finalement. Selon elle, l’un des traits de cette indifférenciation entre les deux écritures est l’humour. « C’est propre à la nouvelle génération. On a été élevées dans la modernité ; la parole, on l’avait, alors on pouvait être drôles. C’est la dernière phase du féminisme. L’humour, c’est aussi de l’autodérision… »

                                                  Toucher l’humanité

 

 

Du Mexique où elle profite d’une bourse d’écriture, Geneviève Billette, quant à elle, évacue d’emblée la question d’une dramaturgie spécifiquement féminine, dépourvue de pertinence selon elle. « Je me fais la réflexion « c’est une pièce de fille » ou « c’est une pièce de gars » quand je trouve que c’est une mauvaise pièce », affirme-t-elle avec un brin d’insolence. « Dès qu’un auteur a vraiment fait un geste d’écriture, je ne vois pas de différence », explique celle qui a fait une véritable boulimie de lecture lors de son baccalauréat en études françaises, « pour vraiment entrer dans l’écriture des auteurs » avant d’entrer à l’École. Depuis, sa boulimie s’assouvit aussi dans l’écriture puisque Geneviève a signé diverses radiofictions et deux pièces présentées à l’Espace Go par le Théâtre PàP, Le Goûteur etCrime contre l’humanité, écrites avant même qu’elle n’obtienne son diplôme en écriture dramatique en 1998. Dans un style surréaliste, ses textes traitent d’enjeux actuels, tels que le pouvoir ou l’invasion de la technologie dans nos vies, mais pour en distiller toujours l’humanité profonde. « Écrire du théâtre, c’est comme donner des rendez-vous à l’humanité », lance l’idéaliste. Geneviève hésite à parler d’un courant propre à sa génération, notant surtout sa polyphonie. Écriture métaphorique, critique sociale, « ces courants ont toujours existé », selon elle. « Peut-être que ce qu’on voit maintenant, ce sont des auteurs qui ont reçu en héritage la possibilité de traiter de thèmes politiques, mais en prenant leur pied avec la forme », analyse-t-elle.

                                            Main de fer dans un gant de velours

Dès son premier texte soumis à l’École, l’écriture d’Isabelle Hubert est étiquetée « crue, urbaine et moderne ». Les professeurs n’ont pas caché leur surprise quand ils l’ont vue arriver avec ses robes fleuries et ses petites couettes. « On m’a souvent dit : « Tu n’écris pas comme une fille ! »  Moi, je lisais entre les lignes : « Tu écris bien, pas comme une fille ! » » Difficile alors de ne pas distinguer auteurs et auteures.Depuis l’École, sa révolte s’est estompée. « J’ai mis mon gant de velours », dit-elle. Sa perception du monde a mûri aussi, deux naissances obligent. La jeune maman vit à Québec et écrit « sans arrêt », quasi uniquement sur commande. Elle a commencé sa carrière en grand en 1996 lors d’une résidence en France. Elle en est revenue avec CouteauSept façons originales de tuer quelqu’un avec, pièce présentée par le Théâtre PàP. En 2001, La Bordée a monté Boudin, révolte et camembert. De ses constructions éclatées et de son style réaliste jaillit le politique, qui l’« intrigue toujours ».

Celle qui ne croit d’abord pas à une écriture dramatique proprement féminine se ravise : « Il y a certainement quelque chose de différent, mais je ne sais pas quoi. Je n’adhère pas à la théorie que c’est la société qui forme les individus et qu’on est tous pareils. Un gars, c’est un gars, et une fille, c’est une fille » lui apprend son irréfutable expérience de mère.

Plurielle et politique,

voilà comment on pourrait définir l’écriture de ces jeunes femmes et de leur génération.

Dominick, Geneviève et Isabelle se réclament de ce qui va au-delà de la différence des sexes, bien qu’elles relèvent ici et là quelques nuances, liées à leur parcours ou à celui d’une humanité en devenir…

 

 

Publié dans citations. Notes.

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