"Auteur ou auteure ? où l'on débat de l'orthographe d'un mot..."
Raoul et Robert sont assis et boivent un thé glacé. Raoul a les
jambes croisées autour du pied de sa chaise. Ils font
tous les deux partie d'une association littéraire dirigée par Martine. Cette dernière a osé écrire d'une femme qu'elle était une "auteure". Tollé
!
Raoul- Tu te rends compte ! Martine se croit autorisée à féminiser des noms qui, de toute
éternité, sont masculins! Bon sang de bois, même quand il porte un jupon, un auteur reste un auteur!
Robert- Raoul, du calme. Je suis d'accord avec toi par principe, parce que tu es mon ami,
mais franchement, il n'y a pas de quoi fouetter un chat. Martine donne dans l'air du temps. En chantonnant" C'est une femme libérée
talitalitalala...tsouin tsouin" Le [e] muet, à ton époque, et à la mienne, évidemment , investit aujourd'hui toutes les sphères. Foin des non-dits...c'est la démocratie! Tout s'exhibe et se donne
à voir et bien sûr, à entendre. Transparence...Mon beau souci. Donc, pour le [e], si tu veux mon avis, c'est pareil et en plus, c'est légitime... Ce petit [e] là te remue drôlement,
dis-moi.
Il se lève et d'un air taquin tourne autour de la table et de Michel,
en répétant " C'est une auteureueueu, c'est une..."
Les femmes nous rendent déraisonnables. (Il se rassoit)Le [e] c'est par là que ça passe. Dire qu'on l'élide en poésie, à la fin d'un vers ou devant une voyelle. Raisonnons. Le poète a toujours raison, s'pas.
Alors que nous dit-il le poète ? Il dit que si le [e] revendique sa place, c'est que nous sommes devenus des con...sonnes. Ah! Ah! Ah! tu ne t'attendais pas à celle-là, hein? Tu peux le dire
franchement : génial, le "mec"...
Raoul – Je n’ai rien entendu... Insensé ! Tu
me navres. Depuis que tu t'es trouvé une comment dit-on ? Petite amie… non ? Tu préfères compagne ? Bon… de 20 ans de moins que
toi,...Plus que 20 ? ( Robert lui fait des
signes en agitant les mains)30 ...Je me disais aussi, cet allant, ce je ne sais quoi, ce petit rien de folie dans
le regard...Fais attention quand même à l'épuisement de toutes tes ressources... tu me comprends ? Reste parmi nous!... Ça vient d’elle aussi, ce
style oral " limite vulgaire", hein ? ... Eclaire-moi sur cette nouvelle façon de côtoyer les
limites…
Robert- Tu voudrais changer de sujet, hein ? Je te connais. Revenons à notre propos.
Docteure, Professeure, pourquoi pas ? On dit bien Avocate. Je ne vois pas ce qu'il y a de mal, finalement. Tout bien réfléchi
.
Raoul- Ne dis plus rien. Tu m'exaspères. Tu la soutiens, je m'en doutais. Tu as parti lié avec
la ligue. "Le mal vient de plus loin..."- la référence ne t'échappe pas, j'espère...-. "On ne frappe pas une femme, même pas avec une rose", disait ma mère, elle proférait encore d'autres
balivernes de ce genre, la brave femme. Dieu ait son âme, je l'aimais beaucoup, note bien, je ne suis pas le monstre que tu crois ... Seulement , ce sont ces lieux communs là qui ont
travaillé de l'intérieur, vois-tu, notre vieux continent et aujourd'hui, "voilà pourquoi votre fille est muette...", voilà pourquoi, " l'église n'est plus au milieu du
village."
Robert - Ne la joue pas désabusé... On ne va pas refaire le monde, devant une tasse de thé glacé vide de surcroît.
Raoul- Tu trahis éhontément le camp des hommes, de la tradition et de l'art, en plus...J'ajouterai que tu me trahis moi par la même occasion. Tu es faible, tu
te défiles. Il y a des choses, si tu permets, je dirais...des valeurs, oui des valeurs, à respecter. Tu ne peux pas dire ni faire n'importe quoi. J'ai déjà accepté l'IVG, le maïs transgénique,
-hélas, c'est fait, hop-, la clé USB… mais ça, mon cher petit Robert...tu ne pourras pas me le faire avaler. Le [e] ne passera pas par moi. J'ai dit. Ne crois pas que je ne les aime pas les
bonnes femmes, je suis comme Jean-Marie Bigard, hétéro à 100%,...Tu me regardes en souriant, j'ai le droit d'avoir de la sympathie pour lui, non ?...Mais quand même, qu'est-ce qu'elles
croient ? Qu'on les attendait ? Pour moi, c'est comme si ma dernière épouse- je suis vieille France, j'épouse, moi, monsieur...- me demandait de faire le ménage. Une angoisse m'étreindrait,
alors derechef.... D'ailleurs, en littérature, elles n'ont rien à dire. Tu lis des bouquins de femmes, toi ? Ecrits vraiment par elles, je veux dire ? Moi pas. Elles réclament toujours quelque
chose. Elles nous volent, en plus, nos idées, nos sentiments. Tu sais, la prochaine fois que je divorce, je me mets avec toi. C'est d'accord, j'espère. On regardera le foot tranquillement, on
aura un homme de ménage, on achètera des plats cuisinés et ...j'écrirai. Toi, tu seras mon premier lecteur. Je nous vois un peu comme Hercule Poirot et le Docteur Watson. En attendant, je vais
démissionner de cette Association où sévissent des suffragettes qui ont mal digéré de la Simone de Beauvoir. Désolée, Martine, nos chemins se séparent ici. A la trappe! ...Auteure, je te jure.
Mieux vaudrait en rire, mais ne n'y arrive pas. Tu me donnes raison, Robert ?
Robert -Qu'attends-tu de moi ? Que je démissionne aussi. Alors, sois heureux, Celio...C'est comme si c'était fait.
Raoul - Merci. Tu es un frère. Bien plus, un alter ego. Je vais écrire, maintenant, tout de suite, ça presse, un de ces petits pamphlets dont tu me diras des
nouvelles.
Ils portent leur
tasse à leurs lèvres et on entend une voix criarde- Raoul, tu viens, c'est l'heure de ton bromure.
C.A.-L.