A propos du livre de Jacques Le Brun, "le pouvoir d'abdiquer, essai sur la déchéance volontaire". Présentation/critique de P.Chevallier, D. Simonney et C.J. de Larivière

Publié le par Claire

 

Cf.  3 articles critiques sur le livre de Jacques LEBRUN 

* Le  premier, de Dominique Simonney,  que vous pouvez retrouver sur le site cairn.info : 

      http://www.cairn.info/revue-essaim-2010-1-page-153.htm

 

* Le deuxième, copié/collé  

L'historien Jacques Le Brun s'attache à un attribut iconoclaste du pouvoir: celui d'abdiquer. Et ébranle bien des certitudes.

 

* Le troisième de Claire Judde de Larivière copié/collé

 http://www.lemonde.fr/livres/article/2009/06/11/le-pouvoir-d-abdiquer


 

"L'histoire politique a longtemps été celle, spectaculaire et monotone, de la conquête du pouvoir.

A distance du faste blanc des victoires comme du noir sillon des défaites,

l'historien Jacques Le Brun a choisi de s'intéresser à un geste gris, aujourd'hui oublié :

le geste par lequel un homme qui est tout décide de n'être rien.

Inexplicable renoncement, l'abdication volontaire ne laisse sur le trône vide qu'une interrogation concernant le pouvoir et l'absolu.

Qu'est-ce qui peut pousser un monarque, au sommet de sa gloire, à renoncer à celle-ci?

Cette question n'est pas simple curiosité pour quelques figures pittoresques de l'Histoire, elle entame nos certitudes les plus profondes sur ce que signifient honneur et grandeur:

si certains hommes en viennent à refuser ce que le monde présente comme le plus vénérable, n'est-ce pas tout un univers symbolique qui s'effondre ?

Avec une belle écriture qui leur rend un éclat discret et émouvant, Jacques Le Brun analyse les plus célèbres de ces crépuscules des rois: l'empereur romain Dioclétien, Charles Quint, Philippe V d'Espagne, ou encore le Richard II de Shakespeare.

Prise dans les controverses politiques et spirituelles, l'abdication échappe aux explications trop simples: lassitude du commandement, désir de quiétude, sénilité précoce ou retraite mystique?

En multipliant les pistes, tournant sans relâche autour de son objet sans jamais prétendre le maîtriser définitivement, Jacques Le Brun rend cet acte toujours plus fascinant et paradoxal.

Comme si, à la fine pointe du pouvoir, la seule manière d'atteindre l'absolu était de renoncer à lui.

Quand l'écriture de l'Histoire dégage une telle force, c'est notre présent qui en est ébranlé."


                                                                                                                  Le troisième de Claire Judde de Larivière

 http://www.lemonde.fr/livres/article/2009/06/11/le-pouvoir-d-abdiquer




Quel acte de volonté plus éclatant, dans sa radicalité, que le refus volontaire du pouvoir pour celui, empereur ou roi, qui détient la souveraineté absolue ?

Comme renoncement suprême, l'abdication fascine.

Le caractère exceptionnel d'un tel geste, tant les cas sont rares dans l'histoire, rend toute généralisation difficile.

 

Aussi Jacques Le Brun choisit-il de parcourir une "galerie" de personnages historiques et littéraires afin d'approcher ces fins de règne volontaires :

Dioclétien, au IIIe siècle, considéré comme le premier souverain à avoir abdiqué, ou Charles Quint, qui abandonna le pouvoir pour cultiver son jardin, tombant "dans toutes les petitesses de la dévotion" ; Richard II, héros shakespearien, incarnant le dramepolitique de la déconstruction de la royauté et le drame intérieur d'une "pulsion de mort et d'abaissement" ;

Jacques II et Philippe V, enfin, qui, eux, refusèrent d'abdiquer.

Autant ces figures ont inspiré des commentaires inlassables, autant les théoriciens semblent s'être refusés à penser cet "impensable geste".

Les interprétations ne manquent pas, pourtant.

L'historien les distille successivement, cherchant chez Lactance ou saint Augustin, Montaigne ou Fénelon, ou plus récemment Walter Benjamin, les fondements d'une philosophie politique latine, chrétienne puis moderne qui expliquerait l'acte d'abdiquer.

Etablissant des filiations avec la devotio du chef antique et la tradition chrétienne de l'abnégation, les interprétations proposées oscillent entre cette aspiration chrétienne où le dégoût du monde pousse à s'en retirer, et l'expression d'un désintéressement parfait, idéal politique du dévouement. Mais l'"inavouable parenté avec la radicale négation du suicide" fait du roi qui abdique un homme qui s'arrache aux siens, un père qui abandonne ses enfants. La mélancolie et la tristesse finissent par expliquer en partie la décision extrême du refus absolu.


                               LES "DEUX CORPS DU ROI"

Se pose alors une question essentielle : quelle est la nature de l'acte posé par le souverain ? Décision privée d'un homme inquiet ou acte public d'un monarque qui s'arrache au pouvoir ? L'oeuvre d'Ernst Kantorowicz, célèbre médiéviste américain d'origine allemande, constitue la référence fondamentale de cet ouvrage. Jacques Le Brun y reprend la théorie bien connue des "deux corps du roi", où Kantorowicz montrait la complexité de ce roi qui "ne meurt jamais", figure sacrée incarnée dans un corps humain. Or l'abdication est bien cet acte extrême d'abandon de la dimension proprement immortelle de la souveraineté. Comme si aller au-devant de la mort permettait d'y échapper, comme si accepter la déchéance volontaire garantissait la perpétuité du pouvoir en son caractère absolu.


L'abdication deviendrait alors cette figure moderne, rencontre entre mystique et politique, par laquelle le prince accepterait de n'être "rien", ou simplement un homme : ce geste hors du commun révélerait donc une certaine conception du pouvoir à l'âge classique, admettant le progressif effacement de ce qu'il avait de sacré.


 

LE POUVOIR D'ABDIQUER. ESSAI SUR LA DÉCHÉANCE VOLONTAIRE de Jacques Le Brun. Gallimard, "L'Esprit de la cité", 278 p., 21,50 €.

Signalons le numéro que la revue Le Genre humain consacre au travail de Jacques Le Brun, sous le titre "L'impensable qui fait penser : Histoire, théologie, psychanalyse", sous la direction de Pierre-Antoine FabreAnnie Tardits et François Trémolières, n° 48, Seuil, 432 p., 15 €.

 

Claire Judde de Larivière

Publié dans Réaction

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