''Une crise ( héritage/utopie/colère) est un « chaos d’expérience » du temps ''non-contemporanéité'' '' Lien Le Portique article de Azoumana Ouattara sur ''Ernst Bloch, visionnaire de notre temps''

Publié le par Claire Antoine

Prise de notes pour permettre d' essayer de penser les violences contemporaines de tous bords, ses feintes, ses renversements pour les uns et ses souffrances pour les autres ... Penser pour compatir en évitant de pleurer

(...)Si l’héritage est passage, il est méthode de l’utopie. L’utopie est le non-contemporain par excellence.

Elle est aux prises avec le présent vivant tout comme le passé qui contient de l’avenir entravé, sans être lestée des obscurités et des irrationalités du passé.                                                                                                                        (...) contester la modernité sans la détruire ne peut se faire que du point de vue de l’utopie qui est figuration d’un autre temps et d’un autre espace qui organise, secrètement, l’agir politique. 

(...)L’objectivement non-contemporain est ce qui n’appartient pas au présent, comme ce vide qui nous habite encore alors qu’il n’est l’ombre d’aucun être.

 

(...)La cruauté des temps modernes réside dans l’héritage d’une multiplicité de symboles du passé retournés contre l’altérité.                                                                                                               Les formes imaginaires d’inscription dans une société en crise, où les identités se trouvent fragilisées, sont ici décisives. Elles sont les ressources politiques d’une conflictualité dont les enjeux ne sont pas seulement économiques mais correspondent à la construction d’une citoyenneté ouverte, contemporaine ou restrictive et raciale.

En effet, tous les conflits, à caractère identitaire, impliquent une reconstruction imaginaire de l’autre. Bien qu’elle fasse couramment appel au passé, une telle réinvention est tentée par une suppression de l’histoire.

Son caractère non-contemporain naît de ce qu’elle mise sur la permanence des motifs d’une conflictualité qui aurait toujours fait la distinction originaire entre « eux » et « nous ».

La non-contemporanéité est l’ensemble des mécanismes sociaux de production de cette tentation de réinvention régressive de soi. Son caractère subjectif est politique, et correspond à une liquidation de l’avenir par des constructions du passé qui appelle une interrogation sur les formes modernes de l’idéologie.  Parmi celles-ci (...) l’idéologie de l’« enivrement ». L’aliénation, celle que combattait Hegel, était encore un moment de la dialectique de l’émancipation. L’« enivrement » en est la dissolutionL’expressionnisme philosophique de Bloch est une manière de se battre contre les formes sournoises du dessaisissement de soi.

Elle est une invitation au travail de ré-appropriation du passé contre les miroitements de la manipulation des mythes et des symboles, des mots par les « producteurs d’idéologie ».         

La rémanence historique d’un discours de la révolte, avec ses différents travestissements,  ne cesse de travailler l’histoire d’une conflictualité en vue de mettre fin à la domination.

Bloch est attentif à ces luttes ambiguës contre l’ordre. Le discours anti-révolutionnaire peut se saisir des symboles révolutionnaires pour les retourner dans un autre sens, pour plier la « défection » dans le sens d’une révolution conservatrice.

Une « anthropologie de la colère » Dans le monde occidental d’aujourd’hui la colère est objet de méfiance. Cependant, s’impose celle d’une colère grandiose, dans un contexte politique. La colère est la manifestation de l’indignation des opprimés, du refus même de l’oppression. C’est la noble colère des esclaves, c’est celle chantée par un Aimé Césaire écrivant : C’est vrai qu’il y a quelque chose en toi qui n’a jamais pu se soumettre, une colère, un désir, une tristesse, une impatience, un mépris enfin, une violence… et voilà tes veines charrient de l’or non de la boue, de l’orgueil non de la servitude. C’est la colère  du syndicaliste s’opposant à l’injustice, celle du polémiste qui en fait un acte du dire vrai, dans la droite ligne de l’esprit pamphlétaire des xixe et xxe siècles.

Cette colère revalorisée, dissidente, appartient à l’ère des idéologies et se fait le « témoin de la réhabilitation des passions » depuis le romantisme, voire depuis le début de l’ère moderne. Opposition à cette vie qui nous écarte, et contre laquelle on réagit avec cette violence qui peut nous jeter dans les bras du pire

La contradiction objectivement contemporaine nous oppose, de façon valable, à la société d’aujourd’hui, à ses inégalités, à sa dévalorisation des normes malgré sa rhétorique des droits, ses formes astucieuses d’exclusion.

(...) La force de contestation de cette domination, dont la figure éminente est le prolétariat, représente le lieu véritable de la contradiction contemporaine.

La non-contemporanéité métahistorique  oriente vers la « question inconstructible » :

« Le fondement de la contradiction non-contemporaine est le conte irréalisé du bon vieux temps, du mythe resté sans solution du vieil être de la nature.

Ici, par moments, se trouve un passé non dépassé du point de vue des classes, mais, matériellement aussi, un passé qui n’a pas encore été tout à fait honoré ». Bloch l’appelle « le passé non encore réglé ».                                  

Ces différents niveaux de la non-contemporanéité ne doivent pas faire oublier que la technique est essentielle à la compréhension de leur concept.  Bloch est très attentif au rapport ambigu à la technique qui permet à la fois de réaliser certains aspects de l’utopie humaine, mais qui, en même temps, ne cesse de défaire les réseaux symboliques par lesquels se maintiennent les communautés humaines. La technique décale, détruit, rend obsolètes des pans entiers de la culture, des façonnements productifs, des manières d’être ensemble.

Elle pousse à une symbolisation régressive ou à un surinvestissement des formes rapides d’une production technique faussement ouverte, incapable de porter les constellations de sens de l’agir humain.

La déstructuration technique du symbole porte atteinte à l’ancrage symbolique mais surtout elle ouvre la voie à la perte des capacités éthiques de l’homme.

 Ce mouvement de tension entre la technique et le signe est porteur de risques.

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