Notes sur "Colette Baudoche" de Maurice Barrès prises dans un article de Jeanne BEM, in Barrès, une tradition dans la modernité ( chez H. Champion, 1991)

Publié le par Claire (C.A.-L.)

 

(Le lien donne un autre éclairage encore)

Rencontre entre un fait historique, une idéologie et des fantasmes d'écrivain.

 

" Il n’y a pas de ville qui se fasse mieux aimer que Metz” , formule brève et absolue...

Jeanne BEM, dans un très intéressant article intitulé Colette Baudoche et  "matrie" de Barrès, rédigé pour  le colloque de 1989 sur Barrès,  utilise les outils de la gynocritique, ou tout au moins la notion d' "écriture féminine" qui apparaît vers 1975,  quand Hélène CIXOUS publie La jeune née*.

                                    Colette Baudoche paraît en 1909

Comme Aragon et Proust,  Barrès nous séduit sans que nous adhérions à sa doctrine. 

(Et c'est vrai, que la lecture que j'en ai faite, il y a peu de temps, et en plus à voix haute pour ma fille clouée au lit par une forte fièvre, m'a touchée et aussi fait sourire... Je m'étais procuré le roman dans la perspective d'une prochaine soirée Barrès).

 

                            Idée maîtresse de l'article, à laquelle je souscris :

"Si Barrès écrit des oeuvres à thèse, le fonctionnement poétique du texte en contrarie leur visée."

                                                      

                                             NOTES au fil de la lecture                                                

C'est l'histoire de Colette, une jeune lorraine de Metz,  territoire occupé; d'une  orpheline qui vit chez sa grand-mère. Elle est remarquée par un jeune prof prussien Asmus qui vit dans sa maison et...une  idylle se noue. A la fin de l’année scolaire, il demande Colette en mariage. Celle-ci prend le temps des vacances pour réfléchir et... refuse.

             

Colette Baudoche  peut-être considérée comme l’allégorie de la “Lorraine captive” et son protagoniste principal, le professeur Asmus, celle du pays "ennemi". La preuve : en 1918, Barrès écrit : “ Nos soldats et leurs alliés ont mis au roman de la jeune messine un épisode triomphal, Asmus est en fuite le long de la Moselle, jusqu’au delà du Rhin”.

Barrès sait que le roman à thèse est considéré comme "honteux" entre pragmatisme et didactisme…et va prétendre que l’héroïne est l’exacte reproduction d’un “modèle”.

Il la fait sortir du livre : “Et pendant qu’elle continuait ses jours paisible auprès de la cathédrale, CB s’en alla de par le monde éveiller des sympathies pour la lorraine captive”...

Ce faisant, il l'appauvrit,  car un personnage de fiction, fût-il allégorique,  est aussi un être de papier associé à la trame du texte.

Les thèmes sont rebattus : Occupant versus occupé; sympathie inavouée; séduction réciproque etc. Comme Vercors, Barrès  brode sur le canevas de Boule de suif de Maupassant.

Il ajoute dans les dernières pages une "leçon" de patriotisme, directe, émanant d'un narrateur/auteur qui s'en mêle et apostrophe les personnages :  " Que voulez-vous mon cher Monsieur Asmus..." ou "Rentre Colette avec ta grand-mère..."  etc.

Le roman est une sorte de Conte de Fées  "à l’envers". Ils ne se marient pas et n'ont pas d'enfants. 

Une satisfaction fantasmatique est accordée à l’opprimée. Le conte semble avoir été écrit pour infliger un camouflet à l’oppresseur. 

 En quoi la "victoire" de Colette (qui s'oppose à la victoire allemande de 1870)  consiste-t-elle ?

En un acte privé, isolé, passif, défensif, événement symbolique fictif et à contre courant de la réalité historique car des mariages franco allemands il y en eut.

Manipulation du réel thèse nationaliste, manichéisme des valeurs,  stéréotypes 

Et pourtant... on prend plaisir à le lire…Comment cela se fait-il ?...C'est un auteur...

1)  Barrès sait que le pur roman à thèse est insupportable, alors il introduit  un dialogisme : une discussion entre Asmus et un pangermaniste. Discours alternés de deux profs. Une  confrontation secondaire, un 3e terme entre le "oui" et le "non"

2) Une foisonnante intertextualité. Barrès est cultivé. Littérature arts et musique : de Mozart à Wagner...

                                            Et le féminin entre en action          

Colette c'est la Charlotte de Werther, une Ondine...une nymphe, la Loreleï aussi. Son personnage est très ambigu. C'est également Mignon, pesonnage féminin d’une  comédie lyrique d’Ambroise THOMAS ... mystérieuse, qui ignore son âge, a perdu ses parents, et chante l'air célébrissime « Connais-tu le pays où fleurit l'oranger ? », et c'est encore Gretchen, Jeanne d’Arc, etc.

"Kennst du das Land, wo die Zitronen blühn(...)"

 

Marcel Proust, longtemps ami fraternel de Barrès, s’est reconnu en terrain familier : “ Je vois très bien maman à la place de Mme Baudoche”, dira-t-il, amusé. Barrès écrit deux jours avant la mort de sa mère : "Je sens Metz, parce que ma mère, jeune fille l’habitait".

Le fils de Maurice, Philippe confirme : “ Le nom de Metz avait pour mon père une résonance en quelque sorte familiale… Quelque chose dans le ton de la vieille cité mosellane lui rappelait sa maison d’enfance à Charmes, dans les Vosges..."

                      

Une terre de femmes, où le masculin est occupé par des figures (négatives) du camp ennemi, car du côté français : aucun oncle, ni vieil ami de la famille... Ce n'est pas Vercors !

 

A la fin Asmus n’est plus prussien, il est le représentant de la masculinité/virilité du roman, en compagnie des hommes  morts [qui à la messe, à la fin du roman) se lèvent de leurs sillons pour rester vent debout, face au Prussien."

 

Colette en disant "Non" à l'Allemand Asmus, dira "Non", à l'autre sexe.

 

Régression d’avant la différence sexuelle. La Lorraine de Barrès est une "matrie"

Le jeune allemand, Asmus, malgré l'avertissement des 1ères pages du roman “ Au Rhin, ...ne va pas au Rhin, Mon fils..." a accédé à la Moselle dans une Lorraine que la géographie imaginaire de Barrès assimile, pastichant Goethe, tout comme Ambroise Thomas, à l’Italie.

En fait, il détourne les références germaniques qui le fascinent... Glissements métamorphoses, Allemagne brumeuse et mystérieuse...(tout autant que Colette).


Revenons au masculin...

"Aux côtés" de Colette : le  grand-père, le seul à acquérir quelque  consistance, au cours du récit que fait la grand-mère de l’exode des Lorrains qui ont opté pour la France en 1872. Là aussi le récit triche sur les chiffres. A l'écouter, on croirait que tous les hommes  de 15 à 80 ans ont pris le chemin de la France. . "A Metz, dit-elle, de 50 000 habitants nous sommes passés à 30 000" . Il ne serait donc plus resté que des femmes. C'est contraire à la vérité des faits. Les chiffres sont à minorer et 40% des femmes ont aussi pris le chemin de la France.

Le caractère féminin et secrètement maternel de Metz se retrouve dans la double figure féminine de Colette et de sa grand-mère. “Les dames Baudoche”, qui vivent en symbiose heureuse et que le Prussien vient déranger. Elles se transformeront en une figure plus  collective, en devenant "Les Dames de Metz".

                                                  La fin du roman 
Pour Jeanne BEM, le refus de l’autre sexe peut être assimilé à une sorte de pathologie de l’anorexique. celle qui s’enferme dans sa relation à sa mère et refuse de connaître son désir. D'ailleurs, la mère de Colette n’est presque pas mentionnée.

Le secret maternel impulse l’écriture.

Plusieurs fois des lapsus de la petite fille et de la grand-mère " "mère" "maman"/ "fille",  au lieu de grand-mère et petite fille pointeront cette "lacune"...

Et la fin du roman sera pour Colette l'obligation morale d' “accepter le sommeil de la mort avec héroïsme”, dans une sorte de Carmel mental...

...Présidé par la mère de Barrès, Claire Barrès (dont les initiales sont CB )?

“Demeure courageuse et mesurée, bienveillante et moqueuse, avisée, loyale, toute claire”.

Mais  la rançon de la prose tombale, est terrible, et le pulsionnel se réfugie dans le langage …                

                            ” Garde toujours le pur langage de ta nation”
                       Car à ce moment-là, seule compte la langue maternelle

                             “ Pages Paysages” , "Pages - corps"- Oralisation
                   Le corps interdit, profané et inviolé c’est Colette Baudoche, le livre
“ De la brume, les grands peupliers, les eaux de la Moselle, les prairies, les clochers bruissants de Metz se liaient, devenaient un seul corps solide et délicat…” 
Métaphore du corps maternel, subtile musique des consonnes 
“Les eaux de la Moselle”. Ecoutons bien  "lezodelamozel”,  le z enchâssé dans un jeu de paronomase
“Il marchait volontiers le long de la Moselle; il se plaisait à la douceur de l’eau bruissante et des voix traînantes qui parlent français"...
Suivant la pente auto reflexive de tout langage poétique, la langue se met en scène. 

Moselle

elle
mirabelle
Elle est belle en son miroir

Dans une autre page où il énumère les villages avec leurs fruits, on entr’aperçoit la figure maternelle comme une baigneuse ôtant ses voiles de nuages et mirant son corps dans la Moselle : 
"On devine sous un ciel nuageux douze villages vignerons, baignés ou mirés dans la moselle et qui nous caressent comme elle par la douceur mouillée de leurs noms : Scy qui donne le premier de nos vins
Rozérieulles où chaque maison possède sa vigne
Woippy le pays des fraises
Lorry que ses mirabelles enrichissent;
tous chargés d’arbres à fruits qui semblent les abriter et les aimer.”


Tentation du non discursif de ces pages où la densité le dispute à l’incertitude du sens, ce qui, au bout du compte, parasite le discours patriotique.

 

***

Quelques mots sur H. CIXOUS et la gynocritique : 

Elle répond en quelque sorte à la question : " Que recouvre la notion de "féminin" dans l'écriture ? 

Elle y énumère trois points concernant la féminité dans l'écriture.

1) Un privilège de la voix : autrement dit, une oralisation de la langue impliquant un rapport moins sublimé (moins transcendé, idéalisé, purifié) à la mère:

"Dans la femme, il y a toujours plus ou moins de la mère qui répare et alimente, et résiste à la séparation".

2) Un privilège du corps : Cixous voit les effets de féminité dans le privilège du corps.

Ce rapport moins sublimé au corps apparaît dans l'histoire comme un revers:  "Les femmes ont vécu en rêves, en corps mais tus, en silence". 

3) Dépersonnalisation : Cixous voit les effets de la féminité dans la "dépropriation" ou la "dépersonnalisation", c'est-à-dire une subjectivité ouverte, une capacité de s'ouvrir à l'autre. La notion de féminité semble problèmatique dans son assimilation presque totale avec le maternel. Cixous va même jusqu'à parler de "sexe maternel" dans certains de ses textes de fiction. L'écriture féminine serait-elle, en somme, une "écriture au maternel" ? L'écriture féminine doit se produire et se produit en dehors de l'ordre symbolique phallocentrique, en cela qu'elle échappe aux frontières de la raison et de la logique. L'écriture féminine vient donc se situer et exister face à une autre pratique d'écriture, face à un autre rapport au langage, aux mots, à la littérature.

 

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