André Bellard ( de l'Académie de Metz ) a écrit, en 1955, un beau texte sur Amable Tastu ( 1795-1885).

Publié le par Claire (C.A.-L.)

André Bellard ( de l'Académie de Metz ) a écrit, en 1955, un beau texte sur Amable Tastu ( 1795-1885).
                                                                           Document trouvé grâce au lien suivant :

                           Je vous le livre in extenso, tant il est intéressant et agréablement écrit.

AMABLE TAST U, UNE MESSINE AU GRAND CŒUR, UNE GRANDE MÉCONNUE par  M. André BELLARD, Membre titulaire de l’académie de metz

"1955 Metz, qui se prépare à honorer Gustave Kahn — lequel fut membre honoraire de l'Académie de Metz — Metz qui se glorifie à meilleur titre encore d'avoir été le berceau de Verlaine, a donné lo jour à plusieurs femmes de lettres; toutefois, avant Charlotte de Bournon, romancière, avant Marie-Anne de Bovet,  née à metz en 1855 féministe, patriote, bilingue anglais  récits de voyage femme de lettres, romans  il sied de placer Amable Tastu.

L'Académie de Metz, à laquelle elle appartint dès 1825 (elle mourut membre honoraire), n'a peut-être pas fait par ailleurs à cette magnifique Messine la place qu'elle méritait: ainsi sommes-nous un peu responsables du fait qu'elle est demeurée, en vérité, une grande méconnue.... appelle une « société mécanique, avec ses mille machines si habiles, si merveilleuses ». Le mot y est: Amable s'émerveille, en 1837. Elle s'émerveille de très bon cœur, elle fait plus qu'en prendre son parti. Elle espère plus et mieux encore de la machine: n'est-ce pas elle qui, deux ans plus tôt, en 1835, avait troussé ce dizain dès les premières pages de ses « Poésies nouvelles » :

Que voyager est une douce chose/Quand, la vapeur nous prêtant son secours, /L'œil seul chemine, et le corps se repose/ Entre les bords d'un fleuve aux lents détours !/ Ou, si on aime un essor plus rapide,/ Quand à grand bruit le wagon intrépide/ Fuit comme un trait sur sa corde de fer !.../ Mais voyager sera meilleur peut-être/ Alors qu'un art qui ne fait que de naître /Aura conquis le domaine de l'air !

Le domaine de l'air! Vous voyez qu'elle l'embrasse déjà de ses espérances, en digne concitoyenne de Pilatre de Rozier. Mais pas davantage la grande conquête des temps modernes ne fera illusion à la sage Messine, qui tout aussitôt, dans le dizain suivant, risque une question dont le ton même nous avertit qu'elle n'y attend pas réponse :

"En voyageant par le chemin des .anges Deviendra-t-on plus pur, meilleur, plus doux ? "…

Il serait cruel d'insister. J'aime mieux observer que, lorsque Amable Tastu évoque les chemins de fer, ceux-ci ne sont encore qu'à l'aube de leur règne; Metz attendra plus d'un lustre encore le passage « à grand bruit du wagon intrépide ». Et une trentaine d'années seulement séparent du moment où Fulton essayait sur la Loire le moyen de se mouvoir, à la vapeur, .«entre les bords d'un fleuve aux lents détours »... Il est vrai, ce sont un peu rimes de circonstance, celles que j'ai cru devoir citer: sans vouloir hisser Amable Tastu au rang des grands poètes, y aurait-il scrupule à borner là les citations. Dans ce même recueil des poésies nouvelles, il s'en trouve d'une qualité musicale telle qu'on s'étonne que nul compositeur, croyons-nous, n'ait cru devoir s'en emparer :

" Lune, ma blanche sœur, dans ton serein empire/ N'entends-tu pas tout bas la terre qui soupire ?/ Et l'élan du génie, et l'hymne de la foi,/ Et les molles vapeurs, et la brise embaumée/ Gomme le souffle égal d'une haleine:calmée /S'élever jusqu'à toi ?"

Un peu de mièvrerie sans doute ? Prenez garde à l'époque où éclosent ces rimes, et qu'elles sont tombées d'une plume féminine. Au reste, à qui pourrait souhaiter plus de vigueur et dans la forme et dans le fond, proposons cet hymne où, sur un splendide rythme ennéasyllabe, palpitent avec une force saisissante jusqu'aux angoisses et aux espérances d'aujourd'hui:

"Sur le front de la foule éperdue / Nous lisons la nouvelle attendue: Des combats les" hasards sont prédits. Le vent dit: L'orage est prêt à naître; L'aube dit: Le soleil va paraître. Moi, je dis: Hâte-toi, messager de victoire,/ Hâte-toi: j'ai besoin de te croire; Levez-vous, ouragans redoutés Et, vainqueur des ténèbres obscures Toi, soleil, viens nous rendre, plus pures Tes clartés ! Car j'entends des confins de la terre Accourir comme un bruit sourd de guerre; J'ai compris les menaces du vent; Je vois l'homme, attendant la lumière, contempler. d'une avide paupière Le levant ! Réunis en phalange guerrière Serrez-vous, quel que soit le drapeau; Dussiez-vous, dans la foi qui vous mène N'arracher à la plage lointaine Qu'un tombeau ! Dieu le veut ! Que votre force unie, Or, Savoir, Rang, Jeunesse, Génie Fasse brèche à la fois devant nous: Ces faveurs, par le ciel décernées, Pour vous seuls ne vous sont point données: Tous pour tous !"

La place manquerait pour citer ceux des poèmes d'Amable d'où ...ceux-ci, encore, inspirés par le spectacle d'émigrants alsaciens :

" L'Alsace, dès longtemps vaillante sentinelle Du pays menacé A-t-elle tressailli d’une alarme nouvelle Dans son poste avancé ? ... Ce volcan d'orient, qu'est-ce donc qu'il prépare Dans son cratère ardent ? L'allons-nous voir encor d'une bave barbare Inonder l'Occident ? ... A quoi bon transporter delà cette eau profonde Les soucis d'aujourd'hui ? Mieux vaut rester, languir, mourir dans ce vieux monde Et peut-être avec lui !..."

La leçon a-t-elle vieilli ? Et de quelle langue elle se trouve assénée! Ah l'admirable Messine! L'admirable Française ! Elle ne sait que trop de quoi elle ous parle, la nièce de Bouchotte, la fille de Voïart ! C'est elle encore qui évoquait:

"Ces jours où la terre natale Aux mains d'une ligue fatale Livrait ses foyers envahis, Où la gloire, en fuyant nos armes, Vit couler mes premières larmes Sur les malheurs de mon pays !" L'occupation anglo - russo -prussienne a ému les vingt ans d’Amable Tastu à ce point qu'elle confesse en garder des cauchemars à quarante ans encore : "Je croyais voir, des toits en flammes S'enfuir les enfants et les femmes, Les époux tombés sous le fer, Et, penchée au bord de ma couche, Plus d'une fois, d'un cri farouche Je crus entendre frémir l'air. Mais l'orage dans sa furie Redouble ! et j'ai vu ma patrie Plier enfin son front puissant; Un jour j'entendis à nos portes Le pas des lointaines cohortes Sur le pavé retentissant. Rien encor ne l'a pu bannir — Et de mes plus belles années Les heures les plus fortunées Ont glissé de mon souvenir..."

Nous avons laissé naguère les dernières Dames de Metz entrer dans leur éternité. C'est à elles qu'il eût fallu demander si leur première enfance n'avait pas entendu au moins l'écho de tels vers animés de la plus vibrante ferveur patriotique. Douterons-nous que c'est depuis longtemps qu'avaient commencé de sourdre sous le ciel messin, au cœur des femmes de chez nous, cette ferveur et cette fidélité? C'est, comme elle l'écrira en 1839 dans le Prologue de ses «Chroniques de France», «sous les murs de Paris» qu'Amable Tastu avait vécu la première humiliation de l'occupation étrangère. A quelques détails près, le récit qu'elle en fait nous semblerait d'hier:

"Oui, j'entendis siffler les boulets ennemis, Oui, je vis du combat les vapeurs enflammées Et l'éclair du fusil'sur le front des armées, Et, le soir, quand hélas ! sur les monts d'alentour Les bivouacs étrangers s'allumaient tour à tour, Nos légions passaient mornes et consternées Gomme si dans un jour s'effaçaient vingt années ! Tout m'est présent encor ! Je vois dans nos remparts Des souverains ligués flotter les étendards: Frivole et curieux, le peuple lés contemple — Il ne les connaissait qu'appendus à son temple... Sans doute pour ce peuple avide de repos La paix embellissait l'aspect de ces drapeaux... Mais loin de concevoir qu'une telle espérance Nous dût faire oublier la chute de la France, Mes yeux avec horreur les voyaient parmi nous Et se détournaient d'eux pleins d'un triste courroux: Ces casques étrangers, ces écharpes flottantes, Ces armes, ces habits aux couleurs éclatantes Tout blessait mes regards dans Paris attristé."

L'inspiration patriotique, on l'a vu, tient belle place dans l'œuvre d'Amable Tastu. On voudrait être sûr que ce fait n'explique pas, pour partie, le moelleux oubli où tant de Français ont laissé enliser sa mémoire. Barrés, quelque part, a cru pouvoir porter semblable diagnostic sur le discrédit dans lequel nous avons laissé s'estomper Déroulède : qui dira le nombre des lettrés convaincus que celui-là aussi n'avait jamais troussé que vers de mirliton! Abordons aux activités littéraires qui, par la suite, allaient requérir Amable Tastu. Notre héroïne, prosatrice d'allure si moderne en somme, avait su de bonne heure s'affranchir de règles désuètes; vous allez, dans sa «Lettre à une jeune amie», trouver jusqu'à un mot qui n'était point si commun lorsqu'elle l'employa en 1842:

“. Il serait donc inutile de retracer les règles qui établissaient les limites des différents genres, puisque ces règles sont aujourd'hui tombées en désuétude; plusieurs même de celles qui regardaient le mécanisme des vers ont subi le même sort. Le vers, qui depuis Malherbe, sur le vers n'osait plus enjamber, enjambe de nouveau hardiment, c'est-à-dire que le sens, au lieu d'être terminé ou suspendu à la fin du vers, se continue et va s'arrêter au commencement, au milieu ou à la fin du vers suivant sans même avoir égard à l'hémistiche... L'hiatus, ou rencontre de deux voyelles, si sévèrement interdit, commence à se faire jour; plusieurs de nos modernes qui font autorité l'admettent dans les locutions adverbiales çà et là, peu à peu... Vous voyez, ma chère enfant, combien je vous induirais en erreur en vous répétant le vieux Code poétique aussi peu en vigueur aujourd'hui que la législation de notre ancienne monarchie. Je me bornerai donc à vous dire: « Quand vous voulez juger en poésie, examinez si le sentiment vous touche, si la pensée vous frappe, si une image juste ou brillante rend l'un et l'autre plus sensible à votre esprit, si en lisant haut, simplement avec le soin de bien observer la ponctuation, votre oreille est satisfaite, enfin si après la lecture une impression douce ou profonde vous demeure dans l'âme et dans la mémoire, et vous serez sûre de ne pas vous tromper sur le mérite d'un morceau ; en un mot, n'écoutez, en fait d'art, que votre impression et, comme l'a dit un plus grand que moi: «Laissez-vous aller de bonne foi aux choses qui vous plaisent et ne cherchez point de raisonnements pour vous empêcher d'avoir du plaisir ».

L'admirable dignité de vie d'Amable Tastu et pour tout dire sa pureté donnent, il va de soi, à ce précepte les limites convenables. La leçon reste bonne. Ce pourrait être celle même dont il convient de se bien pénétrer si l'on se propose de rendre à la poésie, à la peinture, l'audience qu'elles semblent avoir perdue auprès de tant de nos contemporains. En revenir à Sainte-Beuve, sait-on bien que l'illustre critique, non content de consacrer à Amable Tastu nostalgique des pages de la plus vive sympathie, lui avait dédié un poème affectueux, riche de dix-huit quatrains ?

« Tous ne sont pas si loin : j'en sais un qui t'écoute Et qui te suit des yeux. Va, plusieurs sont, ainsi, plusieurs, je veux le croire, De ceux qu'autour de toi charmaient tes anciens vers, De ceux qui, dans la course en commun à la gloire T'offraient leurs rangs ouverts. Mais plusieurs de ceux-là, mais presque tous, je pense Vois-tu, belle âme en deuil, depuis ce jour flatteur Victimes comme toi, sous une autre apparence, Ont souffert dans leur cœur. Heureux s'il peut pleurer ! "

Toute l'élégie est de cette qualité d'émotion sentie. Mais, dites-moi, ne vous semble-t-il pas que, cette fois encore, les temps que nous vivons nous rendent singulièrement proche l'état d'esprit de notre héroïne, et de son partenaire ? Sainte-Beuve! Voilà donc la qualité des admirations, des amitiés, des affections qu'Amable Tastu connut de son vivant. Victor Hugo lui dédia son « Moïse sur le Nil » ;

Chateaubriand, une ode sur « Camoëns » et lui rendit justice dans ses «Mémoires» ; Amable était d'ailleurs, à l'Abbaye au Bois, une habituée du salon de Mme Récamier; sous la présidence de Charles Nodier, elle appartenait au Cénacle, ayant collaboré d'autre part au « Mercure de France » et à la « Muse française ».

Mais c'est sans doute Lamartine, ému par l'accent de tristesse voilée de la plupart des « Poésies nouvelles » d'Amable et comme son chant du cygne, qui en treize stances sut le mieux correspondre à l'état d'esprit de la mère, de la femme, de la poétesse accablée d'épreuves en cette triple qualité: "...quand ta voix si connue Revint hier me visiter, Je crus que, du haut de la nue, L'ancienne joie allait chanter. Mais, hélas ! Du divin volume Où tes doux chants m'étaient ouverts, Je ne sais quel flot d'amertume coulait en moi dans chaque vers... C'est toujours le même génie, La même âme, instrument humain: Mais avec la même harmonie Comme tout pleure sous ta main ! On ne trompe pas le malheur: Les vers sont le timbre de l'âme; La voix se brise avec le cœur... Toujours au sort le chant s'accorde; Tu veux sourire — en vain: je vois Une larme sur chaque corde, Et des frissons sur tous les doigts !" Evidemment, on pleure beaucoup en tout ceci. Reste à savoir si les larmes ne sont pas, plus que les ris, le propre de l'homme et, en l'an de grâce qui nous rassemble ici, il est, ma foi, permis de se le demander. Mais ce serait trahir notre héroïne que la montrer toute noyée de pleurs. Dans le même temps, elle est la femme forte qui fait front à l'adversité, suppléant aux déficiences du chef de la famille, dirigeant magnifiquement son jeune enfant dont elle fera un splendide Français, et trouvant la force de donner courage autour d'elle à qui en a besoin. L'une de ses dernières compositions rimées sera justement une chanson d'un élan endiablé écrite pour Béranger, vieilli, déçu, et qui veut rentrer sous sa tente : "Adieu, chansons î Mon front chauve est ridé. L'oiseau se tait; l'aquilon a grondé. Le nom de Déroulède naguère est tombé de ma plume. Je vous l'assure: ce que vous allez entendre est de la veine des « Chants du Soldat » ; on croit même y reconnaître comme un premier jet du célèbre: Ah ! Clairon ! Réveille, réveille, Ah ! Clairon ! Réveille-nous donc ! y manquera la musique; Amable Tastu avait prévu que ses strophes sont à chanter « sur l'air des Contrebandiers » : Chante encor, encor, encor, Ton heure n'est pas venue;Ta voix du pauvre est connue Laisse-lui son trésor Laisse-lui, laisse-lui son trésor, Laisse-lui, Béranger, laisse-lui son trésor ! Qu'on les remet au pas ! Chante encor, encor, encor". En 1849, Amable devint veuve de Joseph Tastu. Il est certain que le mariage l'avait déçue. Ferdinand des Robert, membre correspondant de l'Académie de Metz depuis 1879, marque, dans son discours de réception à l'Académie de Stanislas (1887) et lui seul fournit ce détail: « Dans une lettre adressée à un de ses parents, en 1887, quelque temps après son mariage, Mm e Tastu lui parle d'un chagrin secret dont elle ne peut lui préciser le motif par écrit. Quel était-il ? Nous n'avons pas cherché à le savoir». Le même auteur, dont le discours était du reste entièrement consacré à notre héroïne elle-même correspondante de l'Académie de Stanislas, note plus loin: «Je n'ai aimé que trois choses, l'entendait-on dire souvent: Dieu, mon fils et ma patrie». L'amour de son fils devait bientôt revêtir chez Amable Tastu une forme héroïque. Sainte-Beuve l'a bien fait voir dans tel « Portrait de femme » de ses « Causeries du lundi.»[...].

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article